• 10 nov 2025
  • Somalie
  • Communiqué de presse

Somalie. Les autorités et la communauté internationale manquent à leur devoir envers des milliers de personnes déplacées à cause du climat - Nouveau rapport

Les autorités somaliennes et la communauté internationale ont à plusieurs reprises manqué à leur devoir de protection envers des milliers de personnes touchées par la sécheresse dans le sud de la Somalie, les exposant à des violations de leurs droits à l'alimentation, à l'eau, à la famille, à la santé et à la vie, écrit Amnistie internationale dans un nouveau rapport. 

Ce document intitulé ‘No rain, no food, no animals: The human rights impact of drought and displacement in Somalia’ explique qu’entre 2020 et 2023, la sécheresse liée au changement climatique, associée aux conflits et à la marginalisation, a obligé des milliers de personnes à s’installer dans des camps pour personnes déplacées à l'intérieur du pays, d'abord dans le sud de la Somalie, puis au Kenya, dans le camp de réfugiés de Dadaab. Au cours de ces trajets éprouvants, les autorités somaliennes n'ont pas fourni d'aide, notamment de services de santé et de nourriture. 

« La Somalie est en première ligne face au changement climatique causé par les activités humaines : elle est le septième pays du monde le plus menacé par ce changement et, à ce titre, doit remédier d’urgence, avec l’appui de la communauté internationale, à la marginalisation des populations du sud du pays, gravement touchées par le réchauffement climatique principalement engendré par la combustion des énergies fossiles, a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe à Amnistie internationale. 

« La contribution de la Somalie au réchauffement climatique est infime, mais sa population subit de plein fouet la crise climatique, tout en étant en proie à un conflit qui s’éternise et à la pauvreté. Les pays à revenu élevé, en particulier ceux qui contribuent le plus au changement climatique, doivent intervenir et remplir leurs obligations en vue d’aider la Somalie à s'adapter aux effets du changement climatique. » 

Le rapport s'appuie sur des entretiens menés entre septembre 2024 et mars 2025 auprès de 177 personnes déplacées dans le camp de réfugiés de Dadaab. Amnesty a également interrogé des fournisseurs de services d'urgence, des membres du personnel humanitaire, des responsables gouvernementaux et des experts du changement climatique, qui travaillent en Somalie ou ont une bonne connaissance et expérience des vulnérabilités du pays face à la sécheresse et au changement climatique. 

« Tout s’est asséché » 

La sécheresse qui sévit dans le sud de la Somalie depuis 2022, aggravée par le changement climatique causé par les activités humaines, s'est combinée à plusieurs facteurs, tels que la poursuite du conflit, pour provoquer des déplacements massifs de population. Les sources d'eau s'asséchant, les habitants n’ont eu d’autre choix que de boire de l'eau contaminée, favorisant la propagation de maladies véhiculées par l'eau, notamment le choléra. Du fait du petit nombre de centres de soins au niveau local, les gens ont parfois dû parcourir jusqu'à 1 000 km pour se faire soigner. 

Par ailleurs, la sécheresse a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires pouvant atteindre 160 % par rapport au niveau d'avant 2020 en Somalie. Du fait de cette situation, et de l'épuisement des stocks alimentaires, de l'assèchement des terres agricoles et de la baisse des revenus, les denrées alimentaires sont devenues à la fois indisponibles et inaccessibles, entraînant une malnutrition et une insécurité alimentaire généralisées et provoquant de nouveaux déplacements. La sécheresse a finalement été déclarée catastrophe nationale en novembre 2021. 

Alors que la crise sanitaire s’aggrave, la Somalie a manqué à son obligation en matière de droits humains s’agissant de garantir les droits des personnes touchées par la sécheresse : elle n’a pas augmenté les fonds alloués au budget de la santé – qui représente actuellement moins de 5 % de l’ensemble des dépenses publiques – à 15 %, comme le recommande la Déclaration d'Abuja : les pays de l'Union africaine, dont la Somalie, avaient ainsi pris l’engagement d'augmenter les budgets nationaux de santé. 

« Les ressources limitées et le conflit en cours ne sauraient excuser le non-respect des obligations internationales et l'inaction du gouvernement ; la Somalie a commis une erreur en restant les bras croisés. Après avoir déclaré la sécheresse catastrophe nationale, les autorités auraient dû veiller à ce que des ressources suffisantes permettent de protéger les personnes touchées par la sécheresse, notamment en sollicitant une aide internationale supplémentaire », a déclaré Tigere Chagutah. 

Mohamed, âgée de 53 ans, mère de huit enfants et originaire de Xibaalo Barbar, dans le district de Baidabo, a raconté à Amnistie internationale qu'après des années de précipitations irrégulières et de sécheresse, elle avait abandonné sa ferme et s'était installée dans un camp pour personnes déplacées dans la capitale Mogadiscio, car elle n'avait plus ni nourriture ni eau. La seule eau disponible, sale et salée, provenait d'un puits situé à 24 heures de marche ou de charrette tirée par un âne. Ne trouvant pas de travail à Mogadiscio, elle s'est installée à Dadaab. 

Amnesty a constaté que les autorités somaliennes n'ont pas empêché les séparations de familles ni les abandons d'enfants, de personnes âgées ou malades lors des déplacements provoqués par la sécheresse. 

Bile, agriculteur de 33 ans et père de huit enfants originaire de Fargarow, à Jilib, a expliqué que ses parents sont morts après qu'il ait dû partir pour Dadaab : 

« Quand la sécheresse a frappé, tout s'est asséché. J'avais huit enfants, une femme et mes parents qui étaient âgés et dépendaient de moi. Alors, quand la sécheresse est arrivée, nous avons rapidement épuisé les réserves de nourriture stockées. J'ai décidé de partir avec mes enfants et mon épouse en 2023. Comme j'étais leur seul soutien financier, mes parents ont succombé à la famine après que j’ai quitté Jilib. » 

En raison de l'absence de systèmes d'alerte précoce, les inondations ont aussi détruit les céréales stockées sous terre, aggravant encore l'insécurité alimentaire pendant la sécheresse. 

« Les autorités somaliennes doivent de toute urgence élaborer des politiques de résilience climatique prenant aussi en compte les pertes et préjudices qui en découlent, comme c’est le cas parmi les populations les plus exposées du sud et du centre de la Somalie », a déclaré Tigere Chagutah. 

Des déplacements multiples 

De nombreuses personnes déplacées ont raconté qu’elles ont dû partir plus d'une fois, d'abord vers des camps pour personnes déplacées ou des campements informels dans le sud de la Somalie, où certains services gouvernementaux étaient disponibles et certaines ONG présentes. Cependant, ces sites étant souvent situés dans des zones à forte vulnérabilité climatique, elles ont dû repartir à cause de la sécheresse ou des inondations. 

Face à la hausse considérable du nombre de personnes déplacées dans le sud de la Somalie, les acteurs humanitaires n’avaient pas les ressources suffisantes pour répondre à leurs besoins, et elles ont dû se rendre à Dadaab. 

Le trajet jusqu'à Dadaab, à la frontière entre la Somalie et le Kenya, est long et pénible. Selon le mode de transport, il dure de deux jours à six semaines. Ceux qui en avaient les moyens sont montés à bord de véhicules ou en ont loué. Mais les tarifs exorbitants sont hors de portée pour la plupart. Certaines familles ont dû vendre des articles ménagers, du bétail, des céréales ou même des terres pour pouvoir payer ce trajet. 

Les services fournis par les organisations humanitaires et les organismes gouvernementaux le long des axes de déplacement étaient quasi absents, l'aide disponible limitée semblant être centralisée autour des campements et des camps pour personnes déplacées, et non le long de ces axes. Et ce, en dépit des obligations qui incombent à la Somalie en vertu de sa Constitution et du droit international, notamment en vertu de la Convention de Kampala, de protéger les personnes déplacées par le changement climatique. 

Abdullahi, qui s’est rendu de Saakow, en Somalie, à Dadaab, a raconté : 

« Lorsque nous sommes arrivés à Dhobley, des personnes bienveillantes ont fait monter 15 femmes et enfants à bord de leur véhicule et les ont conduits à Dadaab. Les hommes ont poursuivi à pied, avec les charrettes tirées par des ânes. Nous transportions du sorgho [une céréale] et de l'eau pour les enfants, mais ils souffraient de malnutrition aigüe à leur arrivée, car nos provisions ont été épuisées en quelques jours. »