République démocratique du Congo. L’armée congolaise et le groupe armé soutenu par le Rwanda doivent cesser d’utiliser des armes explosives dans des zones densément peuplées
- Des armes explosives imprécises à large rayon d’impact ont été utilisées dans des zones densément peuplées plus de 150 fois en l’espace de sept mois, faisant plus de 100 morts.
- Face à la recrudescence des combats, les parties belligérantes doivent mettre un terme à leurs attaques contre les civil·e·s et cesser d’utiliser des armes explosives à large rayon d’impact dans des zones peuplées.
- La Cour pénale internationale doit envisager d’enquêter sur ces attaques en tant que crimes de guerre.
Entre janvier et juillet 2024, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont tiré à plus de 150 reprises des armes explosives à large rayon d’impact sur des zones densément peuplées. Ces attaques, qui ont fait plus de 100 morts et des centaines de blessés parmi la population civile, bafouent le droit international humanitaire et constituent probablement des crimes de guerre, a déclaré Amnistie internationale.
Amnistie internationale a interrogé 60 personnes, s’est rendue sur plusieurs sites d’attaque et a analysé des dizaines de photos, de vidéos et de déclarations authentifiées émanant notamment des parties belligérantes. Elle a constaté que le M23 et l’armée congolaise ont utilisé de manière répétée des roquettes non guidées tirées depuis le sol, notamment des roquettes Grad de 122 mm. Ces systèmes d’armement sont imprécis par nature et leur utilisation dans des zones habitées présente un risque très élevé de pertes civiles.
« L’escalade dévastatrice de l’utilisation d’armes explosives est un fait nouveau et dangereux dans un conflit déjà marqué, depuis trois décennies, par des violations des droits humains et du droit humanitaire, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnistie internationale.
« Dans le contexte d’une flambée des combats, le M23 et l’armée congolaise doivent cesser de tirer des roquettes, des mortiers et d’autres explosifs à large rayon d’impact sur des zones densément peuplées. Les belligérants doivent respecter le droit international humanitaire en prenant toutes les précautions possibles pour éviter ou réduire au minimum les préjudices causés aux civils lors des attaques. »
Des bombardements imputables aux deux camps
En vertu du droit international humanitaire, les parties à un conflit doivent toujours faire la distinction entre combattants et civils. Le droit international humanitaire interdit les attaques disproportionnées ou aveugles et exige que les parties à un conflit prennent les précautions nécessaires pour éviter et, en tout cas, réduire au minimum les dommages causés aux civil·e·s. Le fait de lancer une attaque sans discrimination qui tue ou blesse des civil·e·s constitue un crime de guerre.
En cas d’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact en zones habitées, la probabilité d’effets indiscriminés est très forte, car elles ne peuvent pas être dirigées de manière précise vers une cible militaire spécifique, comme l’exige le droit international humanitaire. Dans les conflits armés récents, les armes explosives sont la principale cause de souffrance de la population civile : elles sont couramment utilisées au mépris des règles pourtant claires du droit international humanitaire en matière de protection des civils. Cette situation a incité 83 États membres à approuver en 2022 la Déclaration politique sur le renforcement de la protection des civils contre les conséquences humanitaires découlant de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées.
Dans l’est de la RDC, l’utilisation accrue de munitions explosives a coïncidé avec une offensive de grande envergure menée par le M23, avec le soutien appuyé des Forces rwandaises de défense (RDF) d’après un rapport de l’ONU, contre l’armée congolaise sur plusieurs fronts dans la province du Nord-Kivu, en janvier 2024. Les combats s’intensifiant, les deux parties ont multiplié les attaques et tiré des armes explosives sans faire grand cas des civils. Après un cessez-le-feu de courte durée fin juillet, de violents combats ont repris en octobre, marqués le mois dernier par de nombreuses attaques impliquant des armes explosives contre des zones civiles.
Les recherches d’Amnistie ont révélé que quelques-uns des nombreux bombardements ont eu des conséquences particulièrement meurtrières pour les civils, soulignant à quel point il est dangereux d’utiliser des armes explosives à large rayon d’impact dans de telles circonstances.
Trois attaques ont à elles seules causé la mort de plus de 50 civil·e·s, soit plus de la moitié du bilan total.
Le 25 janvier 2024, un tir d’artillerie provenant probablement des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) a détruit une maison du quartier de Bukama, dans la ville de Mweso, à environ 100 kilomètres au nord-ouest de Goma, la capitale du Nord-Kivu. Il a fait au moins 19 morts et 25 blessés, dont 15 enfants, selon des sources médicales.
Amnistie internationale n’a trouvé aucune preuve de l’existence de cibles militaires à l’intérieur ou à proximité de la zone d’impact, et des sources médicales ont confirmé qu’il n’y avait pas de combattants parmi les victimes.
Selon quatre témoins, les tirs provenaient du district de Katsiru, à l’est de Mweso, alors sous contrôle des FARDC. Deux témoins à Katsiru ont déclaré avoir vu des soldats congolais tirer avec un lance-roquettes monté sur un pick-up de l’armée en direction de Mweso, le 25 janvier. En outre, quatre sources au sein des services de sécurité et du personnel humanitaire ont indiqué que lors de réunions d’information à Goma, les responsables militaires ont reconnu « une bavure » et ont promis que le commandant de l’unité devrait rendre des comptes.
Le 4 mars 2024, une munition a touché une colonne de civil·e·s fuyant à pied la ville de Nyanzale, attaquée par le M23, faisant au moins 17 morts et une dizaine de blessés, selon des témoins et des sources médicales. Toutes les victimes étaient des civil·e·s en fuite, parmi lesquels des enfants. Certains s’étaient précédemment réfugiés à Nyanzale après avoir fui d’autres zones de combat.
Selon trois témoins et un observateur local des Nations unies, les tirs provenaient d’une colline appelée Kihondo, à l’ouest de Nyanzale, une zone contrôlée à l’époque par le M23.
Lors d’un autre événement, le 3 mai 2024, plusieurs roquettes ont atterri près de Goma, probablement tirées par le M23 en riposte à un tir de roquettes de l’armée congolaise, qui avait pris position à proximité des camps de personnes déplacées, près de la ville. L’une de ces roquettes a touché un camp appelé 8ème CEPAC, au nord-ouest de Goma ; selon des sources médicales, elle a tué au moins 18 civil·e·s, parmi lesquels 15 enfants, dont six âgés de moins de cinq ans. Parmi les 30 civil·e·s blessés, 28 étaient des femmes ou des enfants.
Amnistie internationale a interrogé de nombreuses victimes et vérifié 27 photos et trois vidéos prises après l’attaque, qui montrent que la munition était une roquette Grad de 122 mm non guidée. Le M23 possède de nombreux lanceurs Grad-P, susceptibles de tirer ce type de roquettes, et la distance entre la position du M23 à ce moment-là et l’impact correspond à la portée de cet armement.
Les autorités congolaises et les dirigeants du M23 n’ont pas répondu aux conclusions préliminaires qu’Amnistie a partagées en décembre 2024.
« Amnistie internationale a examiné les attaques perpétrées entre janvier et juillet 2024, avant le cessez-le-feu, mais nous savons que ce type de bombardements n’a pas cessé, a déclaré Agnès Callamard. Les civil·e·s, y compris les personnes déplacées à l’intérieur du pays entassées dans des camps de fortune à travers la région, risquent toujours sérieusement d’être tués ou blessés par des roquettes et d’autres armes explosives utilisées par les belligérants. »
« Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? »
Les victimes de ces attaques aveugles et leurs proches ont livré des récits déchirants marqués par la terreur et le deuil.
John*, 46 ans, père de sept enfants, dont la fille aînée a été grièvement blessée lors de l’attaque au 8ème CEPAC, a raconté : « L’explosion était assourdissante… Des dizaines de tentes ont été soufflées. Les corps des victimes, dont de nombreux enfants, étaient déchiquetés, tandis que les blessés appelaient désespérément à l’aide. Une scène apocalyptique. »
Angèle, qui a perdu ses quatre filles lors de la même attaque, a déclaré que l’explosion avait réduit ses enfants à « des débris et des corps déchiquetés ». Elle a confié leurs noms, montrant une à une leurs robes préférées : « Gisèle, 15 ans, Furaha, 12 ans, Lumoo, 10 ans, et Ndoole, 6 ans. Toutes tuées en quelques secondes. »
Un homme, qui a perdu sa femme lors d’une attaque à la roquette, s’est dit consterné par le fait que les deux parties au conflit s’affrontent si près des camps de personnes déplacées : « Nous avons fui nos villages dans l’espoir de trouver un peu de sécurité. Ici, nous n’avons rien à part nos enfants. Mais ils nous pourchassent jusqu’ici et tuent nos enfants. Le M23 nous tue, le gouvernement nous tue, qu’avons-nous fait pour mériter cela ? »
Outre le bilan meurtrier, la recrudescence de l’utilisation d’armes explosives l’année dernière a entraîné une forte hausse du nombre de civil·e·s blessés.
D’après un médecin d’un hôpital de traumatologie à Goma, son établissement a traité plus de patients pour des blessures liées à des armes explosives entre février et mai 2024 que pendant toute l’année 2023, 37 % de l’ensemble des blessures ayant été causées par ce type d’armes.
Début mars, le Comité international de la Croix-Rouge a également indiqué que 40 % des civils blessés dans le Nord-Kivu avaient été victimes de bombardements ou d’autres armes lourdes utilisées dans des zones densément peuplées.
Les victimes souffrent de profonds traumatismes psychologiques. Christine, 12 ans, blessée au visage, à la poitrine et à la jambe, a déclaré qu’elle craignait de quitter sa mère pour aller jouer avec d’autres enfants, car « je pense qu’une bombe va encore frapper et me blesser ».
En outre, les attaques menées à l’aide d’armes explosives ont causé d’innombrables dégâts aux infrastructures civiles, dont des établissements de santé essentiels, perturbant l’activité économique et l’acheminement d’une aide humanitaire vitale.
Garantir la justice
Toutes les victimes ayant survécu à des attaques aux armes explosives interrogées par Amnistie internationale ont demandé aux autorités de rétablir rapidement et durablement la sécurité afin de pouvoir rentrer chez elles et de vivre sans crainte.
Elles ont également exprimé leur désir de vérité et de justice. Cependant, les enquêtes menées sur ces bombardements meurtriers, promises par les autorités, semblent être au point mort, abandonnant les victimes et permettant aux attaques de se poursuivre.
Le bureau du procureur de la Cour pénale internationale, qui a réactivé ses investigations sur la situation dans l’est de la RDC après avoir été saisi par Kinshasa, doit envisager d’enquêter sur les attaques menées contre des zones civiles densément peuplées à l’aide d’armes explosives à large rayon d’impact en tant que crimes de guerre, en vue de traduire en justice les responsables présumés, puisque les autorités congolaises ont montré leur manque de volonté ou de capacité en la matière.
Le M23 et les FARDC, ainsi que leurs alliés tels que la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en RDC, les Forces rwandaises de défense (RDF) et la myriade de milices alliées à l’armée congolaise, doivent cesser d’utiliser les zones peuplées, notamment les camps de personnes déplacées, comme champs de bataille.
Tous les États impliqués dans le conflit dans l’est de la RDC doivent également approuver la Déclaration politique de 2022 sur le renforcement de la protection des civils contre les conséquences humanitaires découlant de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées.
Le gouvernement de la RDC doit en outre veiller à ce que les victimes des bombardements reçoivent des soins médicaux et psychologiques adéquats, ainsi que des réparations, notamment un soutien matériel et financier suffisant pour reconstruire leur vie.
La communauté internationale – notamment l’Angola qui assure la médiation entre la RDC et le Rwanda et dispose d’observateurs militaires sur le terrain, ainsi que la Communauté d’Afrique de l’Est, la SADC, l’Union africaine, l’ONU, l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique – doit condamner publiquement l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact dans des zones civiles densément peuplées, exhorter les parties belligérantes à cesser de s’en prendre aux civils et exiger qu’elles rendent des comptes.
Tous ceux qui coopèrent militairement avec la RDC et le Rwanda, notamment l’UE, la Belgique, la SADC et l’ONU, doivent faire davantage pour s’assurer que leur soutien militaire ne contribue pas à des violations des droits humains et du droit humanitaire, et soutenir activement les enquêtes et les poursuites engagées contre les auteurs présumés.
« Comme en témoigne la longue histoire du conflit dans l’est de la RDC, en l’absence d’obligation de rendre des comptes, les violations des droits humains et du droit humanitaire se poursuivent, a déclaré Agnès Callamard. Le M23 et l’armée congolaise doivent cesser immédiatement de bombarder les civils. »
* Tous les noms ont été modifiés afin de protéger les personnes concernées.