• 4 avr 2025
  • Philippines
  • Communiqué de presse

Philippines. Le harcèlement en ligne cautionné par l’État a un « effet dissuasif » sur les jeunes défenseur·e·s des droits humains

* Les noms ont été modifiés afin de protéger l’identité des personnes interrogées    

Le tout premier rapport d’Amnistie internationale rédigé par des jeunes révèle que le harcèlement en ligne exercé par les autorités philippines, notamment la pratique du « marquage rouge » ou le fait d’attribuer à des personnes une affiliation communiste, instaure un climat de peur qui dissuade les jeunes défenseur·e·s des droits humains de s’engager dans le militantisme et de s’exprimer librement. 

Dans le rapport intitulé Left to their own devices : The chilling effects of online harassment among young human rights defenders (YHRDs) in the Philippines, des jeunes militant·e·s âgés de 18 à 24 ans ont fait part de leur expérience en matière de marquage rouge, de divulgation en ligne d’informations personnelles sans leur consentement et de harcèlement. Ils expliquent que le harcèlement en ligne les a conduits à l’autocensure, a porté atteinte à leurs droits à la liberté d’expression et d’association et, dans certains cas, les a contraints à abandonner leur travail de militant·e·s ou de journalistes. 

« L’effet dissuasif du harcèlement en ligne porte gravement atteinte aux droits de ces jeunes défenseur·e·s des droits humains. Il menace non seulement l’individu, mais aussi sa capacité à mener à bien son travail de défense des droits fondamentaux », a déclaré Mia Tonogbanua, vice-présidente d’Amnistie Philippines et ancienne représentante du Conseil de la jeunesse. 

Le rapport souligne que l’âge, l’orientation sexuelle, le statut d’étudiant·e et les affiliations institutionnelles des jeunes militant·e·s amplifient les risques et l’impact du harcèlement en ligne qu’ils subissent. 

Ce document s’inscrit dans le cadre de RightUp, le premier projet de recherche d’Amnistie internationale mené par des jeunes, dans lequel des voix jeunes, souvent négligées dans les travaux traditionnels sur les droits humains, occupent le devant de la scène. Neuf jeunes chercheurs ont enquêté et fait état de leurs expériences du harcèlement en ligne, ainsi que des expériences d’autres défenseur·e·s des droits humains, par le biais de recherches documentaires, d’un questionnaire en ligne et d’entretiens avec 29 jeunes âgés de 18 à 24 ans. Amnistie internationale a fourni des ressources, des conseils et une assistance technique.  

Menaces de mort, autocensure et peur  

Le harcèlement en ligne cautionné par l’État a eu des effets perturbants sur les jeunes militant·e·s. Ils disent souffrir de détresse psychologique, être isolés de leurs familles et de leurs cercles sociaux, et avoir le sentiment que leur contribution à la défense des droits humains a été dévalorisée. 

Habagat*, militant étudiant, a reçu des menaces de mort après avoir été publiquement qualifié de « rouge » sur la page Facebook de l’Unité spéciale nationale pour mettre fin au conflit communiste armé local (NTF-ELCAC). 

« J’ai eu du mal à dormir pendant les trois semaines qui ont suivi », s’est-il souvenu. « J’avais tout le temps peur pour ma sécurité. » 

La NTF-ELCAC est une unité créée par le gouvernement philippin en 2018 dans le cadre de sa réponse à l’insurrection communiste en cours dans le pays. Depuis sa création, elle a été critiquée par des militant·e·s et des groupes de défense des droits humains, dont Amnistie internationale, pour s’être livrée au marquage rouge. 

Marisol*, défenseure de l’environnement, a déclaré qu’elle avait « fait preuve de prudence » et s’était autocensurée afin de minimiser les réactions sur des sujets controversés. Cette approche lui a cependant laissé une impression mitigée : « C’est comme si vous ne preniez pas position sur ce qui doit être fait. » 

Sarita*, jeune militante pour la paix et la sécurité dans le sud des Philippines, a déclaré que le harcèlement en ligne « [l]’a fait [se] sentir si faible, si inférieure par rapport à ces politiciens et tous leurs pouvoirs ». 

Le harcèlement en ligne porte atteinte à plusieurs droits, notamment le droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique, à la santé, à un recours, à la non-discrimination et à la défense des droits humains. 

Les jeunes militant·e·s ont également parlé d’une peur omniprésente de participer à des discussions publiques. Certains jeunes défenseur·e·s des droits humains ont attribué cette peur à la crainte de représailles de la part des autorités sous la forme de harcèlement en ligne. Beaucoup ont exprimé des doutes quant à la valeur de leur voix et de leur expertise en tant que jeunes face à la violence et à la haine dans les espaces en ligne.  

Un appel à l’action et à la responsabilité collectives  

Malgré ces difficultés, des jeunes défenseur·e·s des droits humains ont trouvé des moyens d’adapter leur approche afin de pouvoir continuer à défendre les droits humains. Cela a inclus la mise en place de comités internes pour le bien-être, l’application de protocoles de sécurité et l’accession à des services de santé mentale. 

« Être un jeune défenseur des droits humains aux Philippines n’est ni sûr, ni confortable, ni idéal. Les jeunes militant·e·s continuent cependant à se battre, motivés par des stratégies visant à prendre soin d’eux-mêmes et un engagement en faveur de la justice », a déclaré Mia Tonogbanua, d’Amnistie Philippines. 

Le gouvernement philippin manque systématiquement à son obligation de protéger les droits des défenseur·e·s des droits humains dans le pays. Les personnes qui commettent des actes de harcèlement en ligne ne sont dans les faits pas amenées à rendre des comptes, tandis que les défenseur·e·s des droits humains doivent faire face aux conséquences de ce harcèlement sans bénéficier d’un soutien ou d’une protection suffisants. 

Au moment où nous publions ce document, le gouvernement philippin n’a pas répondu à une demande de commentaire sur les conclusions du rapport d’Amnistie internationale. 

Amnistie internationale exhorte le gouvernement philippin à mettre un terme aux manœuvres de marquage rouge, aux actes d’intimidation, au harcèlement, aux menaces ou aux attaques cautionnés par l’État contre les militant·e·s, notamment les jeunes défenseur·e·s des droits humains. 

Ces recherches s’appuient sur les conclusions de précédentes enquêtes d’Amnistie internationale, notamment sur la manière dont les deux gouvernements successifs du président Duterte et du président Marcos Jr ont utilisé les outils numériques, la désinformation et des lois antiterroristes vagues pour instaurer un climat de peur et d’intimidation parmi les jeunes défenseur·e·s des droits humains aux Philippines.