Myanmar. Le gel brutal et irresponsable de l’aide américaine constitue une menace existentielle pour les droits humains

Le gel brutal et global des programmes d’aide étrangère décrété par le gouvernement des États-Unis met gravement en péril les droits fondamentaux des réfugié·e·s, des civil·e·s dans les zones de conflit armé et de ceux qui fuient les persécutions au Myanmar, a déclaré Amnistie internationale le 13 février 2025.
L’organisation a averti que cette décision risquait de coûter des vies si elle n’est pas annulée ou modifiée d’urgence, ou si des exemptions pour l’aide vitale ne sont pas rapidement accordées et mises en œuvre pour ceux qui travaillent sur le terrain.
« La décision du gouvernement de Donald Trump d’émettre des ordres stoppant sur-le-champ les programmes d’aide étrangère a des répercussions instantanées et dévastatrices à travers le monde ; au Myanmar, elle frappe la population pendant une période particulièrement sombre, a déclaré Joe Freeman, chercheur sur le Myanmar à Amnistie internationale.
« Cette décision se traduit par la fermeture brutale d’hôpitaux dans des camps de réfugié·e·s, des risques d’expulsion pour les défenseur·e·s des droits humains en fuite et la mise en péril des programmes qui aident les gens à prévenir les atrocités, à survivre dans les zones de conflit et à reconstruire leur vie entre les vagues de violence successives. »
Le 20 janvier, le président américain Donald Trump a signé un décret suspendant toute aide étrangère en attendant les résultats d’un examen de 90 jours visant à déterminer si elle est cohérente avec la politique étrangère des États-Unis. Le 24 janvier, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a ordonné à ceux qui fournissent de l’aide dans le monde d’arrêter le travail dans le cadre de cet examen, mais a prévu des exemptions pour l’aide alimentaire d’urgence, ainsi que pour l’assistance militaire à Israël et l’Égypte.
Une exemption supplémentaire datée du 28 janvier concerne l’aide « susceptible de sauver des vies », tandis que des clarifications de suivi apportées au cours de la première semaine de février ont élargi les dérogations à des activités spécifiques. Cependant, d’après les dernières recherches d’Amnistie, l’application de ces dérogations n’est pas encore parvenue jusqu’à plusieurs organisations travaillant le long de la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar.
« La décision du gouvernement américain a des répercussions instantanées au niveau mondial, dont les effets concrets doivent encore être perçus et appréhendés. Nos conclusions sur le Myanmar et la Thaïlande ne sont qu’un exemple des préjudices causés par cette mesure impitoyable », a déclaré Joe Freeman.
Au Myanmar, l’interruption du financement aggrave encore la situation de la population, déjà confrontée à une escalade du conflit armé, à des déplacements massifs et à de graves violations des droits humains imputables à l’armée qui s’est emparée du pouvoir à la faveur d’un coup d’État il y a plus de quatre ans. Elle sème aussi le chaos, le désespoir et l’angoisse parmi les dizaines de milliers de réfugié·e·s du Myanmar qui vivent en Thaïlande.
Jusqu’à présent, les fonds américains ont permis à beaucoup de faire face aux bouleversements : aider à fournir des abris d’urgence ou des logements à des militant·e·s, apporter une aide alimentaire, contribuer à la création de systèmes d’alerte rapide en cas de frappes aériennes, dispenser des traitements médicaux dans les zones de guerre et offrir des possibilités d’éducation à ceux qui ont perdu tout espoir en l’avenir.
Du 3 au 10 février, Amnistie internationale s’est entretenue avec 12 réfugié·e·s du Myanmar qui vivent dans des camps situés le long de la frontière thaïlandaise, et avec des représentants de 14 organisations qui mènent des activités au Myanmar. Il s’agit notamment de professionnel·le·s de santé, de chercheurs·euses dans le domaine des droits humains, d’ONG fournissant une assistance transfrontalière, ainsi que des médias et des prestataires de services éducatifs. Tous ont mis en garde contre les graves conséquences que pourrait avoir cette décision si elle n’est pas annulée ou modifiée. Aucun n’a reçu d’avis ou de confirmation d’une exemption du gouvernement américain lui permettant de poursuivre ses activités.
« La mission est de ne pas mourir »
Malgré la promesse d’exemptions pour l’aide humanitaire susceptible de sauver des vies, la suspension décrétée fait peser de graves risques sur les droits à la santé de plus de 100 000 personnes installées dans neuf camps de réfugié·e·s du côté thaïlandais de la frontière avec le Myanmar. La majorité sont là depuis des années, après avoir fui les précédentes vagues de violence au Myanmar, mais les camps se sont agrandis depuis le coup d’État.
Amnistie internationale s’est entretenue avec des réfugié·e·s vivant dans deux camps le long de la frontière. Tous ont déclaré que les hôpitaux des camps, gérés par le Comité international de secours (IRC) grâce au financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), avaient brusquement fermé après l’ordre d’arrêter les activités. Les autorités et les hôpitaux thaïlandais ont pu intervenir et prodiguer des services aux habitants, mais leurs ressources sont limitées. Le 11 février, l’IRC n’avait toujours pas reçu de dérogation lui permettant de poursuivre ses activités.
L’impact de la fermeture initiale s’est fait sentir immédiatement. Dans le camp d’Umpien, des habitants ont affirmé qu’au moins quatre personnes étaient mortes parce qu’elles n’avaient pas reçu l’oxygène fourni par les hôpitaux. Amnistie internationale n’a pas été en mesure de confirmer cette information de manière indépendante. Le 7 février, Reuters rapportait que Pe Kha Lau, 71 ans, est décédée quatre jours après avoir été renvoyée d’un centre de soins financé par les États-Unis par l’intermédiaire de l’IRC.
« C’était vraiment flippant, ils ont forcé tout le monde à sortir de l’hôpital... et certains sont morts parce qu’ils n’avaient plus d’oxygène. Nous étions tristes, mais aussi effrayés par ce qui allait se passer », a déclaré U Htan Htun, 62 ans.
Ma Su Su, travailleuse médicale bénévole dans le camp d’Umpien, a indiqué que le jour où la suspension a été annoncée, les personnes ayant besoin d’un traitement ont reçu l’ordre de quitter l’hôpital. Elle a vu le personnel retirer une perfusion à un patient et a raconté qu’une personne sans formation adéquate a dû faire des points de suture à un habitant blessé.
« J’ai dit à tout le monde que ce n’était que 90 jours. Tout ira bien au bout de 90 jours. Mais je me sens désespérée, a-t-elle déclaré. La mission est de ne pas mourir. »
Les services d’approvisionnement en eau dans les camps sont interrompus, selon les habitants, et l’aide alimentaire risque également de disparaître.
Maximillian Morch, du Thai Border Consortium (TBC), qui livre de la nourriture et du combustible pour la cuisson aux neuf camps situés le long de la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar, a déclaré qu’il essayait d’obtenir une dérogation susceptible de sauver des vies de la part du gouvernement américain, mais attendait toujours confirmation.
Un peu plus de 60 % du financement du Thai Border Consortium provient des États-Unis, par l’intermédiaire du Bureau de la Population, des Réfugiés et de la Migration (BPRM) du Département d’État américain. La majeure partie sert à l’alimentation et à la cuisine. Le Consortium n’a pas reçu l’ordre d’arrêter son travail, mais ses fonds pour la nourriture seront épuisés dans quatre à six semaines si son financement est interrompu dans le cadre du réexamen des programmes d’aide étrangère.
« La nourriture est tout à fait inoffensive. Et si vous coupez son financement, ce n’est pas seulement un problème pour le Thai Border Consortium, mais un problème humanitaire international », a déclaré Maximillian Morch.
« Des jours très durs pour nous »
Depuis que l’armée du Myanmar a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 2021, le conflit armé s’est intensifié dans tout le pays. Des frappes aériennes militaires de plus en plus nombreuses ont tué des civil·e·s et visé des écoles, des hôpitaux et des monastères, tandis qu’ailleurs, l’armée a pris pour cible des manifestant·e·s, des militant·e·s et des journalistes. Financées par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), les organisations de la société civile au Myanmar aident les civil·e·s, les journalistes et les défenseur·e·s des droits humains à trouver un abri, de l’aide et la sécurité en exil s’ils doivent fuir le pays.
Dans le sud-est du Myanmar, région particulièrement touchée par les frappes aériennes de l’armée, des organisations gèrent plusieurs programmes financés par les États-Unis qui peuvent être considérés comme vitaux. Elles proposent des unités médicales mobiles dans les zones du front, contribuent à payer les transferts à l’hôpital pour des soins plus spécialisés et aident les civils à trouver nourriture et abri après une attaque aérienne.
« En même temps que toutes les frappes aériennes, les bombardements, les tirs d’artillerie, les déplacements,… le financement est suspendu, a déclaré Saw Diamond Khin, directeur du département karen de la santé et du bien-être, qui aide sept districts dans le sud-est du Myanmar. Ce sont des jours très durs pour nous. »
Pas d’exemptions pour un travail susceptible de sauver des vies
Selon Saw Thar Win, de l’Ethnic Health Systems Strengthening Group (Groupe de renforcement des systèmes de santé ethnique), son organisation avait prévu de fournir des échographes et des radiographes portables, chargés sur batterie, aux populations touchées par le conflit au Myanmar. On estime qu’un appareil peut servir à 50 000 personnes. Mais du fait de l’ordre d’arrêter le travail, qui a impacté le financement du transport, les machines sont restées dans des cartons dans son bureau.
Un autre professionnel de santé local a déclaré que du fait du gel des fonds américains, ils ne peuvent plus financer des traitements d’urgence vitaux au Myanmar. Ces fonds permettaient de couvrir les coûts des opérations chirurgicales d’urgence pour soigner les blessures causées par des frappes aériennes ou liées au conflit armé, ainsi que les soins néonatals d’urgence, les opérations chirurgicales pour l’appendicite et les transfusions sanguines.
Malgré l’annonce d’exemptions fin janvier, les médicaments contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, ainsi que les services de santé mentale pour les traumatismes liés au conflit armé, sont tout aussi concernés. Aucune des organisations avec lesquelles Amnistie s’est entretenue n’a reçu d’information ou de confirmation d’une dérogation pour leur travail vital, alors que leurs activités, telles que l’aide apportée pour nourrir, abriter et soigner des civil·e·s dans des zones de guerre, seraient clairement éligibles.
Toutes ont déploré le manque de communication claire de la part des agences américaines telles que l’USAID et de leurs partenaires sur le terrain. Selon l’Overseas Irrawaddy Association, qui s’efforce de réinstaller d’urgence des centaines de militant·e·s du Myanmar, où les manifestant·e·s sont régulièrement emprisonnés et torturés par l’armée, le gel compromet sa capacité à aider des centaines de personnes vulnérables.
« En privant ces organisations de la possibilité de protéger certains des plus fragiles au Myanmar, les États-Unis offrent en fait à la junte birmane, qui bafoue les droits, une occasion précieuse de continuer de réprimer les droits à la liberté d’expression et d’information, a déclaré Joe Freeman.
« Le risque d’arrestation, de torture et, pour ceux qui ont fui en Thaïlande et dépendent des aides pour trouver un refuge, d’expulsion vers le Myanmar, est accru. Il importe que les États-Unis fassent savoir de manière immédiate et directe que les organisations qui apportent une aide susceptible de sauver des vies au Myanmar peuvent poursuivre leur travail. »