• 5 Mar 2025
  • Liban
  • Communiqué de presse

Liban. Les attaques israéliennes visant des établissements de santé, des ambulances et des secouristes doivent faire l’objet d’enquêtes pour crimes de guerre

Les attaques illégales répétées de l’armée israélienne pendant la guerre au Liban qui ont visé des établissements de santé, des ambulances et des secouristes, pourtant protégés par le droit international, doivent faire l’objet d’enquêtes en tant que crimes de guerre, a déclaré Amnistie internationale mercredi 5 mars. 

Le gouvernement libanais doit accepter la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les crimes couverts par le Statut de Rome qui ont été commis sur le territoire libanais, poursuivre leurs auteurs présumés et garantir le droit des victimes à des voies de recours, notamment en appelant Israël à fournir des réparations pour ses graves violations du droit international humanitaire.  

Dans ses conclusions publiées mercredi 5 mars, Amnistie internationale présente les résultats de son enquête sur quatre attaques israéliennes ayant visé des établissements de santé et des véhicules de transport sanitaire à Beyrouth et dans le sud du Liban entre le 3 et le 9 octobre 2024, qui ont fait 19 morts et 11 blessés parmi le personnel de santé et ont endommagé ou détruit plusieurs ambulances et deux infrastructures médicales en moins d’une semaine.  

Au cours de la guerre au Liban en 2024, l’armée israélienne a attaqué à plusieurs reprises des établissements de santé et des véhicules de transport sanitaire. Elle n’a pas fourni de justifications suffisantes ou d’éléments de preuve précis montrant que des cibles militaires étaient présentes sur les lieux des frappes aériennes pour expliquer ces attaques répétées, qui ont affaibli un système de soins déjà fragile et mis en danger des vies.  

« Les attaques illégales d’Israël contre des structures et du personnel de santé constituent non seulement de graves violations du droit international humanitaire et probablement des crimes de guerre, mais elles ont également des conséquences dramatiques pour la population civile plus largement. Nous appelons le gouvernement du Liban, avec le soutien de la communauté internationale, à intervenir et à agir pour que les auteurs présumés de crimes de guerre puissent être amenés à rendre des comptes. Le nouveau gouvernement libanais doit accepter la compétence de la Cour pénale internationale pour tous les crimes relevant du Statut de Rome commis sur son territoire ou depuis celui-ci », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice générale des recherches, de l’élaboration des lignes de conduite, du travail de plaidoyer et des campagnes à Amnistie internationale. 

Le Liban doit de toute urgence adhérer au Statut de Rome de la CPI et faire une déclaration acceptant la compétence de cette juridiction à compter de 2002. Dans l’intervalle, le Liban doit produire une déclaration ad hoc acceptant l’exercice de la compétence de la CPI pour tous les crimes relevant du Statut de Rome commis sur son territoire ou depuis celui-ci. 

L’armée israélienne a, à plusieurs reprises, accusé le Hezbollah d’utiliser des ambulances pour transporter des combattants et des armes, et de se servir de centres médicaux affiliés au Comité sanitaire islamique (CSI) comme « couverture pour des activités terroristes ». Dans le cas des quatre attaques sur lesquelles Amnistie internationale a enquêté, l’organisation n’a pourtant trouvé aucun élément indiquant que les véhicules ou infrastructures touchés étaient utilisés à des fins militaires au moment des faits. 

« Quand un système de santé est attaqué, les civil·e·s souffrent. Même lorsque des hôpitaux sont soupçonnés d’être utilisés à des fins militaires et perdent ainsi leur statut de protection au regard du droit international, ils ne peuvent être pris pour cibles que si un avertissement laissant assez de temps pour évacuer les patient·e·s et le personnel a été ignoré. Une partie attaquante reste en toutes circonstances tenue de respecter le principe de proportionnalité, en mettant en balance l’avantage militaire concret et direct que pourrait apporter une attaque et les préjudices que pourrait causer cette attaque à la population civile et aux biens de caractère civil, y compris ses conséquences humanitaires indirectes » a déclaré Erika Guevara Rosas. 

Amnistie internationale s’est entretenue avec 17 personnes, parmi lesquelles des professionnel·le·s de la santé, des témoins des attaques, des responsables locaux et des membres de familles de victimes. L’équipe de recherche de l’organisation s’est également rendue sur les lieux de l’attaque contre le centre du CSI à Bachoura, un quartier de Beyrouth. Par ailleurs, Amnistie internationale a vérifié 46 photos et vidéos des attaques qui lui ont été directement transmises ou qui ont été publiées dans les médias et sur les réseaux sociaux. L’organisation a écrit à l’armée israélienne pour lui faire part de ses conclusions le 11 novembre 2024, mais n’avait reçu aucune réponse au moment de la publication de ce communiqué.  

Le personnel médical, les hôpitaux et les autres établissements de santé sont protégés par le droit international humanitaire. Selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les personnes qui occupent exclusivement des fonctions de non-combattant dans des groupes armés ou qui sont simplement membres ou relèvent d’entités politiques dotées d’une branche armée, comme le Hezbollah, ne peuvent pas être prises pour cibles sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. Le personnel médical affilié au Hezbollah, notamment les personnes affectées au sein d’organisations de défense civile, exerçant exclusivement des missions médicales ou humanitaires, sont protégées des attaques. 

Un cessez-le-feu a été annoncé au Liban à la fin du mois de novembre 2024. Au début de l’année 2025, des professionnel·le·s de la santé pour qui les quatre attaques israéliennes avaient eu des répercussions ont expliqué qu’ils faisaient de leur mieux pour fournir des soins malgré leurs difficultés liées aux dégâts ou destructions ayant touché les structures et les véhicules avec lesquels ils travaillaient et à la perte de leurs collègues. Un membre de la défense civile, dont le centre de santé avait été détruit lors d’une attaque israélienne, a indiqué que lui et son équipe travaillaient désormais depuis le domicile d’une personne habitant à proximité, qui l’avait mis à leur disposition temporairement jusqu’à ce qu’ils trouvent de nouveaux locaux où s’installer. 

« Il est essentiel que toutes les attaques contre du personnel et des établissements de santé donnent lieu à des enquêtes afin que les responsables soient sanctionnés, que les victimes obtiennent réparation et que ces crimes ne se reproduisent plus jamais. Un cessez-le-feu ne suffit pas pour mettre fin au préjudice et l’empêcher. Pour pouvoir avancer, les victimes de graves violations commises par les différentes parties ont besoin d’obtenir justice et réparation », a déclaré Erika Guevara Rosas. 

Avant qu’Israël ne lance son opération Flèches du Nord le 23 septembre 2024, Amnistie internationale avait déjà vérifié plus de 80 photos et vidéos de 11 attaques ayant touché des équipes et des infrastructures médicales au Liban entre le 8 octobre 2023 et le 24 juin 2024. 

D’après le ministère libanais de la Santé, entre octobre 2023 et novembre 2024, l’armée israélienne a pris pour cible 67 hôpitaux, 56 centres de soins de santé primaires et 238 équipes médicales d’urgence, tuant au moins 222 personnes qui fournissaient des soins médicaux ou de l’aide d’urgence. 

Selon l’Organisation mondiale de la santé, à la date du 21 novembre 2024, « 47 % des attaques contre les soins de santé, soit 65 sur 137, ont entraîné la mort d’au moins un patient ou un agent de santé au Liban ». 

Le secteur de la santé libanais était déjà en grande difficulté à la suite des multiples crises accumulées et persistantes, notamment la grave crise économique qui s’est intensifiée à la fin de l’année 2019, suivie de l’explosion du port de Beyrouth en 2020, alors que le pays peinait encore à se remettre de l’impact de la pandémie de COVID-19.  

Le 27 novembre, Israël et le Liban ont signé un accord de trêve de 60 jours. Dans les jours qui ont suivi, de nombreuses violations de cet accord ont été signalées. Le 27 janvier, le cessez-le-feu a été prolongé de quelques semaines supplémentaires. Israël a ensuite annoncé avoir l’intention de garder un certain nombre de positions sur le territoire libanais. 

Amnistie internationale a également rassemblé des informations sur des frappes aériennes illégales qui ont tué et blessé des civil·e·s. Dans un rapport publié en décembre 2024, l’organisation a souligné que quatre frappes aériennes distinctes menées par les forces israéliennes au Liban qui ont tué au moins 49 civil·e·s et décimé des familles entières devaient faire l’objet d’une enquête en tant que crimes de guerre.  

Pendant la guerre, le Hezbollah a tiré à plusieurs reprises des salves de roquettes non guidées contre le nord d’Israël, qui ont tué et blessé des civil·e·s. Dans certains cas, il a insisté sur le fait qu’il visait des cibles militaires, mais dans d’autres, il a déclaré avoir lancé une attaque globale contre la ville ou la localité peuplée de civil·e·s qui était visée.