Liban. La décision majeure du Conseil d’État doit marquer un tournant en vue de mettre fin au règne de l’impunité pour la torture

En réaction à la décision du Conseil d’État, plus haute juridiction administrative au Liban, qui a ordonné au gouvernement de verser à l’acteur Ziad Itani la somme de 480 millions de Lires libanaises (environ 5 000 euros) à titre de réparation pour les préjudices que lui ont causés les autorités libanaises, qui n’ont pas interdit, empêché ni dûment enquêté sur ses allégations de torture et de mauvais traitements, Kristine Beckerle, directrice adjointe du programme régional Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnistie internationale, a déclaré :
« Cette décision est une rare avancée pour la justice qui doit ouvrir la voie à la fin de l'impunité pour la torture qui règne depuis longtemps au Liban.
« Ziad Itani a subi une série de graves injustices et a fait preuve d'un très grand courage dans sa lutte pour obtenir que les responsables rendent des comptes. Il a été détenu sur la base d'accusations forgées de toutes pièces, placé à l'isolement, soumis à la torture et à des mauvais traitements et privé de la possibilité de consulter un avocat.
« En concluant que les autorités libanaises avaient manqué à leurs obligations en matière de prévention de la torture et en leur ordonnant de verser des réparations à Ziad Itani, le Conseil d’État a reconnu son calvaire et fait un grand pas vers la mise en œuvre de la loi anti-torture adoptée en 2017 par le pays – une loi que les principaux acteurs au Liban refusent d'appliquer depuis sept ans.
« Tout récemment, le tribunal militaire libanais a manqué l'occasion d’amener à rendre des comptes les auteurs des actes de torture ayant conduit à la mort en détention du réfugié syrien Bashar Abd Saud, le 5 novembre 2024. Toutefois, la décision du Conseil d’État offre enfin aux victimes de torture au Liban une lueur d’espoir d’obtenir justice. Les autorités libanaises doivent maintenant prendre des mesures afin de garantir que les auteurs d’actes de torture soient amenés à rendre des comptes, que toutes les personnes détenues soient protégées contre la torture et les mauvais traitements, et que les victimes de violations flagrantes des droits humains aient accès à des voies de recours efficaces. »
Complément d’information
En août 2020, l’avocat de Ziad Itani a porté plainte devant le Conseil d’État. La décision du Conseil, rendue le 5 décembre 2024 et rendue publique le 10 mars 2025, reconnaît le manquement de l’État s’agissant d’interdire les actes de torture, de protéger la présomption d’innocence, de mener les enquêtes requises et d’engager des poursuites pour faire en sorte que les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements rendent des comptes.
Le 23 novembre 2017, la Direction générale de la sécurité d'État a arrêté Ziad Itani sur la base d’accusations forgées de toutes pièces d’espionnage pour le compte d’Israël. Lorsqu’il a comparu pour la première fois devant le juge du tribunal militaire, Ziad Itani a décrit avec force détails les tortures qu’il avait subies en détention, mais le tribunal n’a pas ordonné la tenue d’une enquête. Le 13 mars 2018, le tribunal militaire l’a acquitté et a ordonné sa libération.
Le 20 novembre 2018, Ziad Itani a intenté une action au civil pour torture contre les agents qui avaient enquêté sur sa plainte, mais l’affaire n’a jamais donné lieu à un procès. Par la suite, il a porté plainte devant le Conseil d’État afin de demander des réparations.
En octobre 2017, le Liban a ratifié une loi de lutte contre la torture. Tout en pénalisant la torture, cette loi précise le caractère irrecevable des déclarations extorquées sous la torture, demande au procureur général de prendre des mesures dans les 48 heures en cas de plaintes ou d'informations faisant état de torture, établit le droit à la réadaptation et déclare que la torture est un crime qui ne saurait se justifier par la nécessité ou des critères de sécurité nationale. Ce texte de loi présente des lacunes ; en effet, il ne précise pas explicitement que le Tribunal militaire du Liban n’est pas qualifié pour examiner les affaires comportant des allégations de torture.
Depuis son adoption en 2017, Amnistie internationale a recensé des dizaines de plaintes déposées en vertu de la loi contre la torture n° 65/2017, qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes dignes de ce nom et n’ont pas abouti à un procès.