• 28 mai 2025
  • Israël et territoire palestinien occupé
  • Communiqué de presse

Palestine. Les services de sécurité du Hamas doivent cesser d’exercer des représailles contre les manifestant·e·s et respecter la liberté de réunion pacifique à Gaza

Les autorités de la bande de Gaza occupée doivent respecter le droit de réunion pacifique et la liberté d'expression et mettre fin à la répression qui s'abat sur les manifestant·e·s, a déclaré Amnistie internationale le 28 mai 2025.

Au cours des deux derniers mois, l'organisation a recueilli des informations inquiétantes faisant état de menaces, d'actes d'intimidation et de harcèlement, notamment des interrogatoires et des passages à tabac, imputables aux forces de sécurité dirigées par le Hamas contre ceux qui exercent leur droit de manifester pacifiquement, alors qu'Israël poursuit son génocide et a récemment intensifié ses bombardements et ses déplacements massifs de population.

Depuis le 25 mars, les habitant·e·s de Beit Lahia, une ville du gouvernorat de Gaza Nord, ont organisé de nombreuses marches pour demander la fin du génocide et des déplacements illégaux orchestrés par Israël. Ces manifestations ont attiré des centaines, voire des milliers de Palestinien·ne·s. Ils ont scandé des slogans et brandi des pancartes critiquant les autorités de Gaza dirigées par le Hamas, certains appelant à la fin du régime du Hamas. Des manifestations de moindre ampleur ont également eu lieu dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Shuja'iya et à Khan Younis, où ils ont également scandé des slogans contre des dirigeants précis du Hamas.

« Le Hamas doit cesser de réprimer les Palestiniens qui expriment courageusement et ouvertement leur opposition à ses pratiques à Gaza. Les informations faisant état de passages à tabac, de menaces et d'interrogatoires sont très inquiétantes et constituent de graves violations des droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice générale de la recherche, du plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnistie internationale.

« Il est ignoble et honteux de voir que la population à Gaza, qui subit déjà les atrocités commises par Israël, est en proie à des souffrances exacerbées par les autorités du Hamas, qui multiplient les menaces et les actes d’intimidation à l'égard de ceux qui osent dire “ Nous voulons vivre ”. Les Palestinien·ne·s à Gaza protestent contre l'impact dévastateur du génocide et des déplacements forcés, ainsi que contre l'incapacité des autorités de Gaza à les protéger contre de telles attaques. Ils ont le droit d’émettre des critiques sans craindre de violentes représailles. »

Amnistie internationale a interrogé 12 personnes – 10 hommes et 2 femmes – qui ont participé à des manifestations ou les ont organisées, ainsi que des membres de la famille de trois manifestants qui ont déclaré que leurs proches avaient été menacés s'ils s’obstinaient à manifester. D’après leurs témoignages, ceux qui ont participé à des manifestations ont parfois été convoqués pour interrogatoire sans respecter la procédure officielle, frappés à coups de bâton et, dans certains cas, menacés d'être abattus.

Beaucoup ont dit craindre d'autres actes répressifs, certains membres des familles de manifestants ayant fait état de menaces et de violences à l'encontre de leurs proches. 

D'autres ont expliqué leur défi. Un habitant d'al Atatra, à Beit Lahia, dont la famille a été décimée par une frappe aérienne israélienne l'an dernier, a déclaré à Amnistie internationale :

« Nous avons le droit de vivre dans la dignité. Nous avons commencé à défiler parce que nous voulons une solution à nos souffrances. Personne ne nous a incités à le faire ni ne nous a ordonné de le faire. Les gens manifestent parce qu'ils ne peuvent plus vivre, ils veulent du changement... Les forces de sécurité sont arrivées pour nous menacer et nous frapper, nous accusant d'être des traîtres, simplement pour avoir osé revendiquer. Nous continuerons de manifester, quels que soient les risques. »

Selon son témoignage, après un rassemblement le 16 avril, des membres des services de sécurité du Hamas l'ont convoqué pour interrogatoire, tout comme plusieurs habitants du quartier d'al Atatra où il vit. Il a été, avec d’autres, emmené dans un bâtiment de Mashrou Beit Lahia transformé en centre de détention improvisé, et une cinquantaine d'hommes armés en civil les ont roués de coups :

« J'ai été frappé au niveau du cou et du dos, à coups de bâtons de bois. Ils me criaient dessus... Ils m'accusaient d'être un traître, un collaborateur du Mossad [l'agence de renseignement israélienne]. Je leur ai dit que nous sommes descendus dans la rue parce que nous voulons vivre, nous voulons manger et boire... J'ai perdu ma famille dans l'un des pires massacres de cette guerre, cinq de mes frères et sœurs et leurs enfants ont péri. C'est horrible d'être traité de collaborateur, de voir son patriotisme remis en question lorsque sa famille a été décimée », a-t-il déclaré, ajoutant que le gouvernement de Gaza abandonne ses citoyens et que, si les gens savent qu'Israël est à blâmer, ils ont également le sentiment que les autorités du Hamas ne « voient » pas leurs souffrances.

Il a été libéré après près de quatre heures de détention et d'interrogatoire et a reçu l'ordre de ne plus participer à aucune manifestation.

Depuis qu’il a pris le contrôle de Gaza en 2007 et qu’il a mis en place des services de sécurité et d'application des lois parallèles, le Hamas impose de sévères restrictions à la liberté d'association, d'expression et de réunion pacifique ; il a fait un usage excessif de la force en réponse à plusieurs mouvements de protestation, notamment en 2019, et détient et torture régulièrement des dissidents. Même pendant le génocide commis par Israël, les services de sécurité du Hamas continuent d’étouffer la liberté d'expression, notamment en qualifiant les détracteurs de traîtres.

Sept manifestants interrogés par Amnistie internationale ont déclaré avoir été qualifiés de « traîtres » par des membres des forces de sécurité en civil qui les avaient abordés après les manifestations ou au cours d'un interrogatoire. 

L'un d'entre eux a raconté : « Ici, à Beit Lahia, nous sommes attachés à notre terre... Alors quand nous avons été déplacés, c'est comme si quelqu'un nous avait enlevé toute notre vie. Nous avons appelé nos voisins, nos amis, à manifester après les ordres d'évacuation, parce que nous redoutions un nouveau déplacement. C'était une protestation contre l'occupation et aussi contre le Hamas. Nous voulions être entendus ».

Selon lui, les manifestants ont d'abord demandé qu’Israël mette fin au génocide, instaure un cessez-le-feu et ouvre les points de passage vers Gaza. Toutefois, beaucoup se sont mis à scander des slogans hostiles au Hamas parce que « les gens sont en colère et en ont marre ».

Il a indiqué à Amnistie internationale qu’il avait été convoqué pour interrogatoire à de multiples reprises mais avait refusé d’y aller, jusqu’à ce que des individus affiliés aux services de sécurité du Hamas viennent chez lui le 17 avril :

« Ils m’ont asséné des coups de bâton et des coups de poing au visage, sans vraiment me rouer de coups, je pense que c’était surtout un avertissement. Auparavant, après une manifestation, une personne qui leur est affiliée est venue chez moi et a menacé de me tirer dans les pieds si je participais encore à des manifestations. »

Au cours de son interrogatoire, il a été accusé d'avoir été recruté par le chef des services de renseignement des autorités palestiniennes basées à Ramallah et payé par les services de renseignement israéliens.

« Tout cela est absurde, a-t-il déclaré. Ils le savent très bien. Oui, je m'identifie au Fatah [l'autre grand parti politique palestinien], mais à Gaza aujourd’hui, ce n'est pas une question de Hamas ou de Fatah. Nous voulons survivre, nous voulons vivre. »

D'autres habitant·e·s de Beit Lahia ont déclaré que les autorités les avaient menacés, mais sans chercher à les blesser physiquement. Ainsi, selon un étudiant de 18 ans, des hommes en civil ont menacé de lui faire du mal, ainsi qu'à sa famille, s'il continuait de manifester.

Une femme qui a participé à l'organisation d'une veillée dirigée par des femmes à Beit Lahia a indiqué que son mari et ses enfants ont été menacés d'arrestation pour avoir participé aux manifestations : « Après les menaces proférées contre les hommes, nous avons voulu faire entendre notre voix en tant que femmes. Il s'agissait d'une petite action, mais nous voulions adresser un message à nos dirigeants, ainsi qu'à l'occupant [Israël], pour leur dire que nous ne pouvons plus tolérer cette situation. Nous voulons protéger nos enfants, nous voulons vivre. »

Ces derniers jours, les forces israéliennes ont étendu leurs opérations militaires à l'ensemble de la bande de Gaza occupée, redéployant des chars à Beit Lahia et forçant la plupart des habitant·e·s à partir. Une femme déplacée de Beit Lahia au camp de réfugiés de Shati, dans la ville de Gaza, le 16 mai, a raconté :

 « Nous avons protesté contre le Hamas et contre la guerre, et maintenant nous sommes à nouveau déplacés par Israël. »

Faisant référence aux propos tenus par Sami Abu Zuhri, haut responsable du Hamas, qui a affirmé « La maison sera reconstruite et pour chaque martyr [...] nous donnerons naissance à des dizaines de bébés », elle a déclaré :

« Ils [les dirigeants du Hamas] ne se soucient pas de nos souffrances. Même si je rebâtis ma maison détruite, je ne pourrai pas reconstruire les souvenirs et la vie que j'avais. Ma cousine a perdu son mari et ses trois enfants lors d'une frappe israélienne. Peut-il la regarder en face et lui dire que ses enfants seront reproduits ? »

Des personnes déplacées qui ont organisé une manifestation spontanée lorsque Khan Younis a reçu un « ordre d'évacuation » de masse le 19 mai ont critiqué les propos de Sami Abu Zuhri et les déclarations des dirigeants du Hamas qui semblent minimiser la souffrance des Palestinien·ne·s à Gaza.

« Les autorités de Gaza doivent permettre aux manifestant·e·s pacifiques, aux dissident·e·s et aux journalistes d'exercer leurs droits sans subir d'intimidation, de harcèlement ni de violence. Elles doivent cesser de soumettre les manifestants à des interrogatoires, et les auteurs de violences ou de menaces doivent rendre des comptes. Les autorités gazaouies doivent respecter les droits de la population civile et la protéger, alors que sa survie est en jeu », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Complément d’information

La récente répression des manifestations dans la bande de Gaza occupée s'inscrit dans le contexte du génocide perpétré par Israël et d'une crise humanitaire sans précédent. Le 2 mars, Israël a totalement interrompu l'acheminement de l'aide humanitaire et d'autres produits indispensables à la survie de la population civile. Le siège total de 77 jours, qu'Israël a légèrement mais insuffisamment assoupli du fait des pressions internationales, et les restrictions sévères mises en place constituent une tentative flagrante et calculée de punir collectivement plus de deux millions de civils et de créer des conditions de vie aboutissant à la destruction physique des Palestiniens à Gaza.