• 3 déc 2025
  • International
  • Communiqué de presse

L’humanité en procès : l’affaire de Seán Binder, sauveteur bénévole

Wies Da Graeve est le directeur d’Amnistie internationale Belgique néerlandophone. 

Le 4 décembre, Seán Binder comparaîtra devant la Cour d'appel de Mytilène à Lesbos, en Grèce, pour avoir fait son travail de sauveteur bénévole en aidant des personnes en détresse qui risquaient de se noyer en mer. Aux côtés de 23 co-accusé·e·s, il fait l'objet de poursuites pénales pour appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d'argent et trafic d’êtres humains, et encourt jusqu'à 20 ans d’emprisonnement s'il est reconnu coupable. 

 J'ai rencontré Seán pour la première fois en 2019. Ce militant irlandais brillant et éloquent, âgé d'une vingtaine d'années, était notre invité lors du lancement en Belgique de la campagne de fin d'année d'Amnistie internationale. À cette occasion, il a raconté son histoire tout aussi inspirante que choquante, marquée par l’injustice : il était, ainsi que d'autres à ses côtés, poursuivi pour avoir sauvé des vies. 

Deux ans auparavant, Seán s'était rendu à Lesbos en tant que bénévole, rejoignant une ONG locale de recherche et de sauvetage afin de patrouiller les côtes du littoral à la recherche de petits bateaux en détresse et de prodiguer les premiers soins à ceux qui traversaient de la Turquie vers la Grèce.  

Depuis 2015, la guerre en Syrie a amené d'innombrables personnes à fuir leur foyer et à chercher refuge en Europe en empruntant des itinéraires dangereux, notamment la périlleuse traversée de la mer Égée. Rien qu'en 2017, plus de 3 000 personnes ont été déclarées mortes ou disparues alors qu'elles tentaient de traverser la Méditerranée. Face à l'inaction des autorités, de nombreux bénévoles venus de toute l'Europe se sont mobilisés. 

Seán était l’un d’entre eux. Il a fait ce que n'importe lequel d'entre nous aurait espéré faire à sa place : sauver des vies et aider des gens. Pourtant, en 2018, il a été arrêté par les autorités grecques et placé en détention provisoire pendant plus de 100 jours avant d'être inculpé d'une série d’infractions aux côtés d'autres travailleurs humanitaires. 

Visant à présenter comme des criminels ceux qui viennent en aide aux personnes en mouvement, ces accusations s'inscrivent dans une tendance qui se généralise en Europe et consiste à criminaliser la solidarité. 

À Malte, trois adolescents originaires d'Afrique de l'Ouest sont accusés d'avoir aidé à mettre en sécurité plus de 100 personnes secourues en mer et inculpés d’infractions passibles d’une peine de réclusion à perpétuité. En Italie, des navires de sauvetage d’organisations caritatives sont saisis. Tandis qu’en France, des guides de montagne ont été poursuivis pour avoir aidé des personnes à la frontière avec l'Italie. 

Non seulement les gouvernements européens manquent à leur devoir envers les personnes en quête de protection, mais ils sanctionnent ceux qui tentent de combler ce vide. 

J'ai revu Seán en 2021 et en 2023, les deux fois devant le tribunal de Mytilène, sur l'île de Lesbos. En 2023, les accusations mineures portées contre lui et les accusés étrangers – falsification, espionnage et utilisation illégale de fréquences radio – ont été abandonnées. Puis, en 2024, les autres accusés ont été acquittés des mêmes chefs d'inculpation.  

En quittant le tribunal ce jour-là, encore inculpé d’actes criminels graves, tout comme les 23 autres travailleurs humanitaires, Seán a déclaré : « Nous réclamons justice. Aujourd'hui, il y a eu moins d'injustice, mais justice n’a pas été rendue. » 

Amnistie internationale n'a eu de cesse de réclamer l'abandon de ces accusations. L'ONU et de nombreuses organisations de défense des droits humains ont aussi fait part de leur vive inquiétude au sujet de cette affaire, tandis que des milliers de personnes en Europe et dans le monde ont soutenu Seán en signe de solidarité avec les personnes migrantes et réfugiées, par le biais de pétitions et de lettres. 

Ce procès devrait alerter la société civile européenne, mais aussi toute personne désireuse d'agir selon sa conscience. Ce n'est pas seulement le procès de Seán qui se joue ici, mais celui de la solidarité. Il faut cesser de criminaliser ceux qui font preuve de compassion à l’égard des personnes contraintes de quitter leur foyer en raison de la guerre, de la violence ou d'autres épreuves. 

Parallèlement, 10 ans après l’arrivée sur les côtes européennes des premiers Syrien·ne·s fuyant la guerre en quête de sécurité et de protection, les dirigeant·e·s européens doivent réfléchir. Ils devraient s’inspirer de personnes comme Seán et non les poursuivre en justice ; et au lieu de concentrer leurs efforts sur la dissuasion, veiller à ce que le mot « asile », du grec « asylon », continue de désigner un lieu de refuge ou un sanctuaire pour ceux qui cherchent la sécurité dans notre région. Ceux qui sauvent des vies méritent d’être soutenus, et non traînés en justice. 

Cette semaine, six ans après notre première rencontre, nous allons nous retrouver avec Seán devant le tribunal de Mytilène pour la reprise de son procès. Je serai là par solidarité, représentant les milliers de personnes qui demandent l'abandon des charges retenues contre lui. 

J'espère de tout mon cœur le voir enfin obtenir la justice à laquelle il a droit. 

L'humanité doit l'emporter.