Honduras. Amnistie internationale demande aux autorités de veiller à ce que justice soit rendue dans l’affaire du meurtre de Juan López

Le 3 juin, une audience préliminaire aura lieu au palais de justice de San Pedro Sula, au Honduras, contre trois hommes accusés d’avoir pris part au meurtre du défenseur de l’environnement Juan Antonio López, coordinateur du Comité municipal de défense des biens communs et publics (CMDBCP). Cette procédure judiciaire pourrait s’avérer essentielle afin que la famille de Juan López obtienne vérité, justice et réparations pour ce crime commis le 14 septembre dans la municipalité de Tocoa, a déclaré Amnistie internationale. L’organisation exhorte les autorités honduriennes à veiller à ce que toutes les personnes soupçonnées d’avoir participé à l’assassinat de Juan López, qu’il s’agisse des auteurs ou des commanditaires, soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables.
« Le crime commis contre Juan López est un clairement le signe que la situation des défenseur·e·s de l’environnement ne s’est pas améliorée au Honduras. L’organisation se félicite que le ministère public fasse avancer l’enquête, et espère que toutes les autorités concernées s’acquitteront de leur devoir consistant à véritablement garantir vérité, justice et réparations pour la famille de Juan López », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale.
Le 6 octobre dernier, le parquet général a annoncé que trois personnes soupçonnées de l’homicide de Juan López avaient été arrêtées. Trois jours plus tard, un tribunal local a ordonné qu’elles soient inculpées du meurtre du défenseur de l’environnement Juan López et placées en détention provisoire. Ces trois hommes sont depuis lors maintenus en détention provisoire.
Des communautés de Tocoa gravement menacées
Juan López faisait partie d’un groupe composé de 30 défenseur·e·s, dont des membres du CMDBCPT, et de leurs avocat·e·s, du cabinet Bufete Justicia para los Pueblos (BJP), à qui la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) avait accordé des mesures de protection en octobre 2023. Quelques jours avant son meurtre, Juan López avait donné une interview dans laquelle il dénonçait l’application inefficace de ces mesures de protection par le gouvernement hondurien. Toujours dans les jours précédant le crime, le Commissaire national aux droits humains du Honduras (CONADEH) a lancé une alerte urgente sur l’absence de mise en œuvre de ces mesures.
Les défenseur·e·s de la communauté de Tocoa et leurs avocat·e·s sont visés par des attaques persistantes - le meurtre de Juan López n’est pas un cas isolé- et par des poursuites depuis 2015, en raison de leur contestation pacifique de la légalité du projet minier dans le parc national de la Montaña de Botaderos Carlos Escaleras Mejía.
En 2021, Amnistie internationale a désigné huit défenseurs de Guapinol comme prisonniers d’opinion après qu’ils ont été injustement emprisonnés pendant plus de deux ans pour avoir défendu le droit à l’eau de manière pourtant pacifique.
Le 7 janvier 2023, les défenseurs des droits humains Aly Magdaleno Domínguez Ramos et Jairo Bonilla Ayala ont été interceptés par des agresseurs armés qui les ont abattus sur place. Cinq mois plus tard, le 15 juin 2023, Oquelí Domínguez, frère d’Aly Domínguez, a également été tué dans la communauté de Guapinol. À ce jour, personne n’a été traduit en justice pour ces crimes.
En février 2025, le BJP a signalé que Kenia Oliva, l’une des avocates s’efforçant d’obtenir justice dans l’affaire Juan López et les autres affaires liées à la protection du parc national Carlos Escaleras, avait été suivie. Le CMDBCP et le BJP ont dénoncé plusieurs épisodes de surveillance, de diffamation sur les réseaux sociaux et d’intimidation, ainsi que le déplacement forcé de défenseur·e·s des droits humains.
Selon Global Witness, le Honduras est le pays comptant le plus grand nombre par habitant d’homicides de défenseur·e·s de l’environnement et des droits à la terre. Dans un rapport de 2016, Amnistie internationale a constaté que les défenseur·e·s de l’environnement, même lorsqu’ils bénéficient de mesures de protection de la CIDH, sont agressés et parfois tués. C’est le système national de protection, qui relève du Secrétariat aux droits humains, qui est tenu de mettre en œuvre ces mesures. Ces dernières années, cependant, cet organisme a été critiqué par des organisations internationales et nationales pour sa faiblesse et son inefficacité.
« Il est déplorable que les autorités honduriennes ne prennent pas au sérieux le risque encouru par les défenseur·e·s des droits humains dans le pays. Il est impératif que le gouvernement de Xiomara Castro cesse de détourner le regard, et prenne des mesures fermes et immédiates afin de mettre un terme à la violence contre les communautés de Tocoa qui défendent l’environnement, notamment en enquêtant sur toutes les agressions dont elles ont été victimes », a déclaré Ana Piquer.
Amnistie internationale demande également à l’État hondurien de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de la famille de Juan López, ainsi que de tous les membres du CMDBCPT, du BJP et des témoins du meurtre du défenseur, en accord avec les personnes concernées. L’organisation exhorte en outre le Honduras à élaborer et à mettre en œuvre un protocole d’enquête sur les attaques contre les défenseur·e·s des droits humains, comme l’a ordonné la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Escaleras Mejía et al. c. Honduras en 2018.
Garantir le droit à un environnement sain
Juan López était coordinateur du CMDBCP, une organisation qui regroupe des dizaines de communautés, de groupes religieux et d’organisations environnementales locales de la municipalité de Tocoa qui, depuis 2015, contestent pacifiquement la légalité des concessions d’extraction de fer accordées à Inversiones Los Pinares (ILP), et qui affirment que celles-ci ont affecté la qualité de l’eau des fleuves Guapinol et San Pedro, et le parc national protégé de Montaña de Botaderos Carlos Escaleras Mejía.
Dès le début, le CMDBCP a demandé aux autorités compétentes des informations sur les concessions et les évaluations environnementales, et a déposé des plaintes auprès du Congrès, des tribunaux locaux et des organes gouvernementaux. Des poursuites pénales ont récemment été engagées contre trois cadres de la société ILP, accusés d’exploitation illégale de ressources naturelles et de dommages aggravés dans le parc national de la Montaña de Botaderos Carlos Escaleras Mejía. Par ailleurs, dans une autre affaire, le ministère public a accusé la secrétaire municipale de Tocoa de falsification de documents, pour des faits survenus dans le cadre d’une consultation organisée en 2016 et qui aurait favorisé le développement de projets miniers.
En revanche, le 6 mai 2024, grâce à l’impulsion des communautés de Tocoa et du Bureau du haut Commissaire aux droits de l’homme au Honduras, le décret 18-2024 est entré en vigueur. Ce décret rétablit la configuration originale du parc national Carlos Escaleras, qui avait été remise en question il y a une dizaine d’années par un autre décret ayant réduit la zone la plus protégée du parc. Le décret 18-2024 prévoit par ailleurs des mesures de protection et de restauration. Les autorités compétentes n’ont pas encore annoncé publiquement les plans de mise en œuvre.
Le président du Congrès hondurien a en revanche présenté l’initiative « Loi spéciale pour la promotion des investissements par le biais du renforcement de l’efficacité des processus d’autorisation environnementale », qui a suscité l’inquiétude des organisations nationales et internationales en raison de la possibilité qu’elle facilite la mise en œuvre de projets d’extraction sans garanties suffisantes. La Commission de l’environnement a indiqué qu’elle excluait les projets miniers et les territoires des peuples autochtones et des communautés afro-descendantes du champ d’application de ce règlement. Toutefois, d’après les informations reçues, le texte n’inclut pas encore de garanties liées à la participation, notamment concernant l’accès à l’information.
Dans un rapport de 2024, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable, Astrid Puentes Riaño, a réaffirmé que l’accès à l’information, la participation et l’accès à la justice sont non seulement des droits humains reconnus, mais aussi des éléments fondamentaux du droit à un environnement propre, sain et durable. Elle a également rappelé que la transparence active est fondamentale à l’exercice d’autres droits, en particulier dans les questions d’intérêt public, comme dans le cas des informations relatives à l’exploration et à l’exploitation des ressources naturelles.
« Garantir le droit à un environnement sain n’est pas facultatif, c’est une obligation pour l’État hondurien. L’engagement de l’État hondurien en faveur de l’environnement et des personnes qui le défendent a été insuffisant et manque de direction, mais il est encore temps de revenir sur la bonne voie. Étant donné qu’il s’agit d’une responsabilité à long terme, nous exhortons également les candidat·e·s aux prochaines élections générales de novembre 2025 à inclure dans leurs programmes des propositions qui reflètent la nécessité de s’attaquer en urgence à ce problème », a conclu Ana Piquer.
L’organisation exhorte également le Honduras à adhérer à l’« Accord régional sur l’accès à l’information, la participation publique et l’accès à la justice à propos des questions d’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes ».
Pour en savoir plus :
En 2012, le Congrès du Honduras a désigné comme parc national la zone de confluence des fleuves Guapinol et San Pedro dans la montagne de Botaderos (décret 127-2012). L’idée était que ce parc - baptisé « Carlos Escaleras Mejía » en 2016 en l’honneur d’un agriculteur ayant consacré sa vie à la défense de la terre et de l’eau dans la région - soit protégé des effets des industries lourdes, notamment de l’exploitation minière. Les autorités ont désigné des zones exemptes d’activités nuisibles à l’environnement, ainsi que des « zones tampons », dans lesquelles l’exploitation minière ne peut avoir lieu qu’après une série d’évaluations, notamment une étude d’impact sur l’environnement.
Un an après que la zone a été déclarée protégée, le Congrès a décidé d’étendre la zone tampon du parc national et de réduire ainsi la taille de la zone la plus protégée (décret 252-2013). L’Institut national de géologie et d’exploitation minière du Honduras (INHGEOMIN) a ainsi pu accorder des permis d’exploitation minière dans ce secteur. En 2014, l’INHGEOMIN a accordé deux concessions d’exploration à la société minière Emco Mining (rebaptisée Inversiones Los Pinares en 2017) sous les noms ASP et ASP2. L’année suivante, la même société a obtenu une concession d’exploitation pour le projet ASP, après avoir reçu la licence environnementale requise, non sans controverse. Ces projets sont actuellement suspendus.
Le mégaprojet développé dans les environs du parc national Montaña de Botaderos Carlos Escaleras Mejía comprend également une usine thermoélectrique de coke de pétrole et une usine de granulation d’oxyde de fer. Le 9 décembre 2023, des centaines d’habitant·e·s de Tocoa se sont rendus à un conseil municipal afin d’exprimer leur opposition au projet énergétique. Le CMDBCP a indiqué que l’INHGEOMIN a émis le 14 mai 2025 une résolution déclarant que l’opposition de la population au renouvellement de la concession pour le projet d’usine de granulation n’était pas fondée.