• 3 oct 2025
  • Équateur
  • Communiqué de presse

Équateur. Amnistie internationale sonne l’alarme concernant la répression des manifestations, l’indépendance judiciaire et les disparitions forcées

Amnistie internationale exprime sa préoccupation face à la récente détérioration de la protection des droits humains en Équateur, dans le contexte des manifestations relevant du mouvement de grève nationale, qui se caractérise par de nombreuses allégations de recours à une force excessive contre les manifestant·e·s par les forces de sécurité, d’arrestations arbitraires, l’ouverture de procédures pénales abusives et le gel des comptes bancaires de dirigeant·e·s de la société civile et de manifestant·e·s.  

Cela s’ajoute aux attaques menées ces dernières semaines par le pouvoir exécutif contre la Cour constitutionnelle, qui mettent en péril l’indépendance judiciaire, et au manque de coopération persistant des forces armées dans le cadre des enquêtes menées par le parquet général de l’État sur les dizaines de disparitions forcées survenues en 2024.  

« Lors de notre récente mission en Équateur, nous avons reçu des informations préoccupantes sur les mesures prises par l’exécutif afin de réduire au silence l’opposition et de favoriser l’impunité. La répression des manifestations, les attaques contre la Cour constitutionnelle et l’accent mis sur une stratégie de sécurité militarisée, en dépit de son inefficacité avérée contre la criminalité et des graves violations des droits humains qu’elle a entraînées, placent l’Équateur sur la liste des pays de la région qui connaissent une montée inquiétante des pratiques autoritaires », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale. 

Répression de la protestation sociale 

Ces derniers jours, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour exprimer leur mécontentement, notamment face à la hausse du prix du diesel annoncée par le gouvernement en septembre. Divers mouvements sociaux se sont joints à une grève nationale, qui a donné lieu à des manifestations et à des barrages routiers dans plusieurs provinces du pays. Dans ce contexte, Amnistie internationale a reçu des informations préoccupantes faisant état d’un possible recours excessif à la force contre les manifestant·e·s par la police nationale et les forces armées, de dizaines d’arrestations arbitraires et d’actes de harcèlement contre des responsables de la société civile. 

Au 1er octobre, l’Alliance pour les droits humains de l’Équateur avait recensé que 85 personnes avaient été arrêtées - dont certaines ont depuis lors été libérées - et 100 autres blessées lors des manifestations. Le 28 septembre, la mort d’Efraín Fuerez a été signalée. Selon l’organisation INREDH, il aurait succombé après avoir été atteint par une balle, vraisemblablement tirée par les forces armées, dans la province d’Imbabura. En réaction à ces événements, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association a appelé au respect des normes internationales en matière de gestion des manifestations et a demandé à l’État de créer un environnement sûr pour le militantisme.  

Amnistie internationale a parallèlement reçu des informations faisant état de l’ouverture d’enquêtes pénales semble-t-il abusives par le parquet général contre des manifestant·e·s et des responsables de la société civile, ainsi que du gel de leurs comptes bancaires et de ceux de leurs représentants juridiques. L’arrestation apparemment arbitraire de 12 personnes dans la ville d’Otavalo - dont 10 sont des autochtones kiwcha - qui ont été inculpées de terrorisme et sont incarcérées dans des centres de détention de différentes provinces, est particulièrement préoccupante. L’Instance permanente sur les questions autochtones a fait part de sa préoccupation au sujet de cette situation.  

Face à la poursuite des manifestations, Amnistie internationale appelle fermement les autorités équatoriennes à garantir les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et à respecter strictement les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité dans l’usage de la force. Elle demande également que des enquêtes impartiales soient menées dans les meilleurs délais sur les possibles violations des droits humains commises dans ce contexte. Enfin, l’organisation exhorte les autorités à libérer immédiatement toutes les personnes arbitrairement détenues et à respecter les droits des peuples autochtones, avec lesquels elles doivent engager un dialogue afin de répondre à leurs revendications légitimes.  

Représailles contre la Cour constitutionnelle   

Depuis plusieurs mois, la Cour constitutionnelle de l’Équateur fait l’objet d'une campagne menée par le pouvoir exécutif et le gouvernement, visant à discréditer les juges qui la composent et à les présenter comme des « ennemis du peuple ». En août, la Cour a annoncé la suspension temporaire de certains articles de trois lois promulguées par le président Noboa en matière de sécurité et de transparence, le temps qu’elle se prononce sur leur constitutionnalité. Après cette décision, les juges de la Cour ont été victimes de manœuvres de harcèlement, d’agressions et de stigmatisation publique.   

En août, des pancartes géantes ont été installées, montrant le visage des juges et les accusant de « voler la paix » au pays. Le président a par ailleurs convoqué une marche contre la Cour et ordonné le déploiement des forces armées autour de ses bureaux. En septembre, les locaux de la Cour ont été visés par une alerte à la bombe, ce qui a obligé les juges et leur équipe à quitter les lieux. Des personnels de la Cour ont dit avoir reçu des menaces après l’ouverture de procédures pénales à leur encontre en représailles à leur travail, et après avoir été victimes de piratage informatique.  

Ces attaques ont été largement condamnées par la communauté internationale, notamment par la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats, et par la Commission interaméricaine des droits de l’homme.   

Amnistie internationale estime que ces agissements constituent une grave menace pour l’indépendance de la justice en Équateur. Nous appelons l’État à garantir que les juges, ainsi que tous les acteurs de la justice, puissent faire leur travail sans subir de pressions politiques et dans des conditions de sécurité.  

Les disparitions forcées restent impunies  

Dans son rapport intitulé Son militares, yo los vi, rendu public le 23 septembre dernier, Amnistie internationale a conclu que les forces armées se sont rendues coupables de disparitions forcées dans le cadre de la stratégie de sécurité militarisée du président Noboa, connue sous le nom de « Plan Fénix ». L’organisation a recueilli des informations sur la disparition forcée de 10 personnes, dont six mineur·e·s, lors de cinq opérations de sécurité menées par les forces armées en 2024 dans les provinces d’Esmeraldas, du Guayas et de Los Ríos, sur la côte équatorienne. Selon le parquet général, depuis le début du mandat du président Noboa, à la fin de l’année 2023, 43 cas de disparitions forcées potentielles ont été signalés.   

Bien que ces disparitions remontent à plusieurs mois, les appels à la justice des familles des victimes restent d’actualité, car leurs plaintes continuent à être ignorées et la plupart d’entre elles ignorent toujours où se trouvent leurs proches et ce qui leur est arrivé. C’est seulement dans le cas de quatre garçons de la zone de Las Malvinas, portés disparus puis retrouvés sans vie en décembre 2024, que les auteurs présumés ont été arrêtés. Ces 17 soldats se trouvent actuellement en détention provisoire. Le principal obstacle à la progression des enquêtes a été le manque de coopération des forces armées, qui ont refusé de manière répétée de fournir les informations demandées par le parquet général, invoquant la « confidentialité ». 

Amnistie internationale rappelle aux autorités équatoriennes que la disparition forcée est un crime international qui implique l’obligation d’enquêter dans les meilleurs délais et de manière exhaustive sur les faits, et de rechercher les victimes, en permettant la participation de leurs familles. À cet égard, nous réitérons notre appel aux forces armées afin qu’elles collaborent aux enquêtes, et à toutes les autorités pour qu’elles garantissent la protection des familles des victimes. Nous demandons également au président Noboa de renoncer complètement à l’approche militarisée de la sécurité publique qui a favorisé ces graves violations des droits humains.