• 10 oct 2025
  • Canada
  • Article d'opinion

Le projet de constitution québécoise soulève des inquiétudes chez Amnistie internationale

Amnistie internationale s'inquiète des prémisses sur lesquelles le ministre de la Justice du Québec semble avoir assis son projet de Constitution. Des prémisses apparemment fausses, pour certaines du moins, et contraires aux principes des droits humains en droit international. 

Contrairement à ce qui est sous-entendu, à certains égards, il s'agit d'une attaque frontale sur les principes mêmes des droits humains selon le droit international. Lesquels sont, et doivent demeurer, universels, indivisibles et interdépendants. Ce qui signifie qu'aucun droit ne peut avoir préséance sur un autre droit. Par conséquent le droit à la liberté de religion n'a pas préséance sur le droit à l'égalité, et ne peut être exercé en brimant aucun autre droit. L'inverse est tout aussi vrai. 

En entrevue, le ministre a laissé entendre qu'actuellement, le droit à la liberté de religion aurait préséance sur le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes. À notre connaissance, aucune loi au Québec, ni au Canada, ne donne préséance à un droit sur un autre. Une telle affirmation induit la population en erreur et porte préjudice aux personnes exerçant leur droit à la liberté de religion, à commencer par les femmes musulmanes.  

Le ministre a également laissé entendre que le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes serait un droit collectif. Ce qui est faux, du moins selon les préceptes de droits humains en droit international. Il s'agit d'un droit individuel, exercé individuellement par tous les membres de la collectivité, en même temps, également et équitablement. Le droit à la liberté de religion est également un droit individuel. 

Les droits collectifs sont exercés collectivement par un groupe particulier, une communauté spécifique. Ils protègent l'identité culturelle, l'autodétermination et les modes de vie. On pense ici aux Peuples autochtones. Le droit à l'autodétermination des peuples est, par exemple, un droit collectif. 

Enfin l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas une valeur strictement québécoise. Il s'agit d'une valeur universelle enchâssée depuis 1948 dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme, tandis que son article 2 stipule l'égalité entre les sexes. 

Le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, comme les droits des femmes dans leur ensemble, sont partagés à travers le monde, où partout des femmes et des hommes se battent pour leur pleine réalisation. Y compris dans les pays musulmans. 

Enfin, nous nous inquiétons également du processus et des intentions derrière cet exercice. A priori, cela donne l'impression qu'on a voulu une constitution pour contraindre les droits de certaines personnes de certains groupes, et se donner les coudées franches pour de futures limitations. Or ce devrait être tout le contraire. 

Une constitution devrait servir à asseoir les droits de la personne, en conformité avec le droit international, selon les plus hauts standards.  

Dans un État de droit qui se respecte, selon les experts du Haut Commissariat aux droits de l'homme, pour que les résultats soient valables, le processus menant à l'élaboration d'une constitution doit être fondé sur une large participation de tous les segments de la société, sans que le pouvoir en place ne contraigne de quelque façon leur libre expression. 

Dans un Québec qui se respecte, les Peuple autochtones devraient particulièrement être au cœur de cet exercice, en plus des groupes de défense des droits des femmes, des droits des personnes LGBTQI2+, des droits des personnes noires et racisées, du droit au logement, du droit à un environnement sain... 

C'est en outre l'occasion par excellence pour le Québec de se conformer à la Déclaration des Nations unies pour les droits des peuples autochtones (DNUDPA), et se placer parmi les États qui se positionnent en leader des droits humains et du droit international, lesquels sont de plus en plus mis à mal. 

Pour le moment, on a plutôt l'impression d'une constitution qui aurait été rédigée comme d’autres États peu scrupuleux des droits l'auraient fait. Dans un contexte où on assiste à une montée des pratiques autoritaires, cela provoque un grand malaise. 

Amnistie internationale prendra le temps d'analyser en profondeur le projet de constitution au regard du droit international et partagera ses conclusions au bénéfice tant du législateur que de la population.