Amnistie internationale se réjouit que la Cour suprême ait accueilli favorablement la demande d’entendre la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21)
Montréal, 24 janvier 2025 - Amnistie s’inquiète du recours de plus en plus fréquent à la clause dérogatoire, dont les critères pour l’application sont malheureusement très peu contraignants. « La banalisation de son application dans le but de contourner les droits fondamentaux est une tendance très préoccupante, qui évoque une dérive autoritaire », a exprimé France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone. C’est pour cette raison que l’organisation s’oppose à la Loi 21, laquelle est non seulement en contradiction des Chartes québécoise et canadienne, mais également du droit international. Amnistie internationale est donc ravie que sa contestation soit entendue devant le plus haut tribunal du pays.
Alors que la Cour supérieure du Québec, en première instance, avait conclu que certaines dispositions de la Loi 21 pouvaient faire l’objet d’une contestation en vertu des articles de la Constitution canadienne qui ne tombaient pas sous le coup de la clause dérogatoire, le 29 février 2024, la Cour d’appel du Québec a renversé la décision pour conclure qu’aucune intervention n’était possible, en raison même de l’utilisation des clauses dérogatoires. Madame Langlois avait alors affirmé que « le recours à la disposition dérogatoire prive les personnes du droit humain fondamental de contester une loi ce qui, à terme, aura pour effet de réduire de façon significative la protection des minorités ».
Cette volonté de miner nos protections constitutionnelles est aussi observable ailleurs au Canada. La Saskatchewan a récemment adopté une loi, en ayant recours à la disposition de dérogation, pour empêcher le personnel des écoles publiques d’utiliser le nom ou le genre préféré des jeunes trans et non-binaire sans le consentement de leurs parents.
Le gouvernement du Parti conservateur de l’Ontario a utilisé la même disposition en novembre 2022, lorsqu’il a adopté la Loi 28 pour imposer une convention collective à des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs du milieu de l’éducation et leur retirer leur droit de grève, avant de faire marche arrière. C’était la deuxième fois que l’Ontario invoquait cette clause. En juin 2021, le gouvernement ontarien avait menacé d’en faire usage afin de limiter le financement des élections par des tiers.
Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a déjà clairement laissé entendre, que s’il devient premier ministre, il aurait recours à tous les outils à sa disposition, dont la clause dérogatoire, pour s’assurer que la Cour suprême du Canada n’ait pas le dernier mot et invalide ses initiatives, notamment en matière de justice criminelle, comme cela avait été le cas sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Madame Langlois invite les Québécoises et Québécois, comme les Canadiennes et les Canadiens, à se demander : « Quels seront les prochains droits qui nous seront retirés ? Quel sera le prochain groupe de personnes qui sera visé ? »
La Cour d’appel n’a pas voulu statuer sur de possibles atteintes au droit au travail, à la liberté de religion ou au principe d’égalité entre les sexes tels que définis par la Charte canadienne et la Charte québécoise, en raison du recours au mécanisme dérogatoire. Mais les magistrats de la Cour avaient manifesté leur inquiétude quant aux mesures dérogatoires, ayant pris la peine d’indiquer dans leur jugement que le fait « qu’un législateur puisse soustraire une loi à l’application de certaines dispositions de la Charte canadienne ou de la Charte québécoise et la soustraire de ce fait au contrôle judiciaire à cet égard est de nature à susciter la réflexion, si ce n’est l’inconfort ».
En outre, « la Cour d’appel reconnaît l’importance des ententes internationales comme sources pertinentes et persuasives notamment pour l’application de la charte canadienne, » avait alors souligné madame Langlois. Pour que le droit canadien soit conforme au droit international, les dispositions de dérogations des chartes doivent être interprétées conformément aux Pactes internationaux ratifiés par le Canada. Selon Amnistie internationale, pour concilier les obligations internes et internationales du Canada en matière de droits et libertés fondamentaux, il faut faire la démonstration que la dérogation n’est pas discriminatoire et qu’il existe un « danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation ».
Le recours est porté par la commission scolaire English-Montréal, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC).
À titre de tiers partie, Amnistie internationale Canada francophone fera donc de nouveau valoir la primauté du droit international, eu égard aux obligations dont sont parties le Québec et le Canada pour respecter les droits humains fondamentaux des personnes visées.