• 13 Mar 2025
  • Bangladesh
  • Communiqué de presse

Bangladesh. La communauté internationale doit agir afin d’éviter des réductions d’aide dévastatrices pour les réfugié·e·s rohingyas

La communauté internationale doit intervenir d’urgence et apporter le soutien nécessaire afin d’empêcher des conséquences dévastatrices sur la vie des réfugié·e·s rohingyas au Bangladesh, au lendemain de l’annonce de la forte réduction des aides dans le cadre du Programme alimentaire mondial (PAM), a déclaré Amnistie internationale le 13 mars 2025, à la veille de la visite du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. 

Amnistie internationale a récemment mené des entretiens avec des réfugié·e·s : la communauté des Rohingyas se prépare à l'impact extrême des coupes sombres dans le financement du Programme alimentaire mondial (PAM) qui toucheront un million de réfugié·e·s rohingyas au Bangladesh à partir du mois prochain. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 95 % des foyers rohingyas dépendent de l’aide humanitaire. Le PAM prévoit de réduire de moitié leurs rations alimentaires au Bangladesh, pour les ramener à seulement 6 dollars par mois, ce qui impactera grandement leur vie à un moment où les ressources sont déjà sous vive tension. D’après un article paru dans les médias, le PAM a indiqué que la réduction des fonds découle de la baisse générale de financement et n’est pas expressément liée au gel de l’aide étrangère américaine décrété par le président Donald Trump.  

« Le déficit de financement ne fera qu’exacerber la pénurie déjà forte de fournitures et de services essentiels dans les camps. Et ce d’autant plus pour les personnes les plus exposées à la marginalisation et à la discrimination parmi les réfugié·e·s, en particulier les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées, a déclaré Smriti Singh, directrice régionale pour l’Asie du Sud à Amnistie internationale.  

« La communauté rohingya à Cox’s Bazaar n’a guère d’autre choix que de s’en remettre à l’aide du PAM. Leur accès à des possibilités d’emploi est fortement restreinte par le gouvernement du Bangladesh, qui leur interdit de circuler hors du camp. » 

« Nous allons devoir réduire le nombre de repas consommés par jour » 

Amnistie internationale s’est entretenue avec six jeunes réfugié·e·s rohingyas à Cox's Bazaar au lendemain de l'annonce du PAM. 

Mohamed Ayes est un étudiant de 18 ans, arrivé à Cox's Bazar en 2017 après la violente répression menée par l'armée du Myanmar, qui a poussé plus de 740 000 Rohingyas à traverser la frontière pour se réfugier au Bangladesh. Il a déclaré que l'aide alimentaire prévue pourrait être insuffisante pour assurer trois repas par jour : « Certains devront réduire le nombre de repas ». 

Selon Mohamed Mirza, bénévole dans les camps âgé de 23 ans, au taux d'inflation actuel, les 6 dollars par mois permettront d’acheter des quantités minimales de denrées de base comme le riz, les lentilles et le sel, mais pas d'autres produits pour répondre à leurs besoins nutritionnels – lait, œufs, fruits et légumes notamment. « Cela va nous plonger dans une situation vraiment très difficile », a-t-il déploré. 

Amaarah*, bénévole de 21 ans, a déclaré que dans le cadre du programme précédent, chaque personne dans la famille recevait 13 kilos de riz par mois. Cette ration sera désormais réduite à environ 10 kilos, soit le strict minimum pour survivre au quotidien. 

« Pourrez-vous survivre avec seulement 6 dollars par mois ? » 

Les baisses de financement du PAM vont aggraver la situation de malnutrition déjà généralisée parmi les réfugié·e·s rohingyas, exposant en particulier les femmes et les enfants à des risques accrus. Près de la moitié des enfants ont montré des signes physiques de malnutrition, dont 15 % d’enfants âgés de 6 mois à 5 ans – soit les pires niveaux depuis 2017. Selon le HCR, plus de 75 % de la population réfugiée rohingya est composée de femmes et d’enfants. 

Auparavant, en 2023, le PAM avait réduit la ration mensuelle, de 12 à 8 dollars par personne. Les rations avaient été augmentées par la suite grâce à l'obtention d'un financement supplémentaire, mais la dernière réduction aura probablement des effets similaires, voire pires. Selon l’UNICEF, en février 2025, on notait déjà une augmentation de 27 % d’enfants atteints de malnutrition aiguë ayant besoin de traitements par rapport à l’an dernier ; des rations encore réduites seront probablement synonymes d’une hausse du nombre d'enfants atteints de cette maladie potentiellement mortelle. 

Sumaiya*, 19 ans, a déclaré : « Chacun se demande comment il va réussir à nourrir ses enfants. Nous sommes tous très stressés ... Nous ne pouvons pas nous en sortir avec moins de nourriture. Si ce n’est pas assez pour vous, ce n’est pas assez pour nous. Nous sommes toutes et tous des êtres humains. » 

Les foyers ayant une femme à leur tête pâtiront énormément de ces réductions. Les maigres moyens dont disposent les réfugié·e·s pour générer des revenus sont encore plus limités pour les femmes. En conséquence, la plupart de ces foyers dépendent uniquement de l’aide alimentaire pour satisfaire leurs besoins nutritionnels. Selon une personne réfugiée*, certains foyers ayant une femme à leur tête pourraient être contraints de mendier pour survivre. D’autres réfugié·e·s qui se sont entretenus avec Amnistie internationale ont pointé le risque accru d’exploitation et de violence que cela fait peser sur les femmes et les filles, comme l’avait signalé le PAM au lendemain des réductions de rations en 2023. 

Cette nouvelle annonce intervient à un moment où des dizaines de milliers de réfugié·e·s rohingyas sont arrivés au Bangladesh en quête d'un abri pour échapper à l'escalade du conflit armé au Myanmar, ce qui pèse encore sur des ressources limitées. 

En outre, d’après les recherches d’Amnistie internationale menées en octobre 2024, les familles rohingyas se voient contraintes de partager leurs ressources avec des parents et des proches nouvellement arrivés du Myanmar qui avaient fui les affrontements entre l'armée du Myanmar et un groupe de rebelles. 

Le gel de l'aide de l'USAID a des répercussions directes sur les services de santé dans les camps de réfugiés rohingyas. Au moins cinq hôpitaux qui dépendaient du financement américain ont dû suspendre leurs services et 14 établissements qui prodiguaient des soins de kinésithérapie et d’autres traitements ont fermé leurs portes. 

« Les pays donateurs doivent prendre des mesures immédiates afin de combler les déficits de financement et éviter que la situation, déjà précaire, ne s'aggrave encore. Sans ce soutien, les Rohingyas, qui vivent déjà l'une des plus grandes crises de réfugiés au monde, s’enfonceront dans une situation de faim et d'insécurité. Il faut à tout prix l’éviter, a déclaré Smriti Singh. 

« Par ailleurs, le gouvernement par intérim du Bangladesh doit ratifier la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967. Il doit permettre aux Rohingyas d'accéder au marché du travail pour assurer non seulement leur survie, mais aussi les aider à sortir du désespoir cyclique et des graves conséquences des réductions de l'aide. » 

* Les noms ont été modifiés ou retirés pour protéger l'identité des personnes interrogées.