Paraguay. Le Sénat adopte un projet de loi mettant en danger la défense des droits humains
Amnistie internationale est extrêmement préoccupée par l’adoption par le Sénat paraguayen, le 8 juillet 2024, d’un projet de loi qui porte atteinte au droit à la liberté d’association et pourrait mettre en danger les organisations de la société civile dans le pays, menaçant notamment leur autonomie et leur capacité à obtenir les ressources nécessaires pour mener à bien leurs activités de défense et de promotion des droits humains.
Le 8 juillet 2024, lors d’une session extraordinaire, le Sénat du Paraguay a voté en faveur du projet de loi « établissant le contrôle, la transparence et la responsabilité des organisations à but non lucratif », sans convoquer aucune audience ou consultation publique. Le texte sera maintenant soumis à l’examen de la Chambre des députés. S’il était adopté par la Chambre des députés, le pouvoir législatif paraguayen approuverait des conditions très restrictives imposées aux organisations de la société civile dans le pays.
« Les organisations de la société civile sont essentielles à la défense des droits humains, et de nombreuses personnes dépendent de leur travail. Ces entités ont donc besoin des ressources, de la liberté et de la sécurité nécessaires pour exister et agir correctement », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale. « Le débat sur des mesures arbitraires et restrictives du droit à la liberté d’association et l’adoption de ces mesures créent un climat de méfiance infondée vis-à-vis de l’action de ces organisations, rendant difficile le maintien d’un espace ouvert et sain pour la défense des droits humains au Paraguay ».
Principaux risques du projet de loi pour les droits humains
Le projet de loi adopté le 8 juillet par le Sénat est contraire à bien des égards aux normes internationales relatives aux droits humains auxquelles le Paraguay a souscrit, en particulier celles qui protègent les droits à la liberté d’association et d’expression, mais également celles portant sur le droit à la vie privée, le droit de participer à la vie publique et le droit de défendre les droits humains.
L’un des principaux sujets de préoccupation concernant le texte approuvé est le manque de précision et de clarté quant à sa portée et à sa mise en œuvre. Il n’établit aucune distinction entre les organisations recevant des fonds publics et celles recevant des fonds privés, les soumettant aux mêmes obligations d’enregistrement et de contrôle de l’État. En outre, le projet de loi n’offre aucune explication quant à la nécessité d’introduire ces nouvelles restrictions, ignorant le vaste cadre normatif national existant, qui permet actuellement à l’État paraguayen de garantir la transparence et la reddition de comptes nécessaires à l’action des organisations à but non lucratif.
Par sa formulation vague et ambiguë préoccupante, le projet de loi pourrait ouvrir la voie à une vaste interprétation qui permettrait aux autorités d’intégrer les fonds privés des organisations au budget national. Dans la pratique, cela impliquerait la confiscation des biens et des ressources des organisations de la société civile, de leurs membres et de leurs donateurs. Cela contreviendrait à la Constitution paraguayenne et constituerait une violation du droit international relatif aux droits humains, qui garantit à toute personne, individuellement ou collectivement, la possibilité de demander, de recevoir et d’utiliser des ressources dans le but de promouvoir et de protéger les droits humains.
La vaste portée et le manque de précision des dispositions du projet de loi, prévoyant notamment des obligations de présenter des rapports détaillés sur l’utilisation et la destination des ressources reçues, menacent également l’indépendance nécessaire à l’action des organisations de la société civile et compromettent la vie privée et la sécurité de leurs membres et des personnes dont elles cherchent à défendre les droits.
Enfin, le projet de loi prévoit des sanctions en cas d’infraction aux dispositions de la loi non seulement pour des personnes morales, mais également pour les personnes physiques chargées de la direction et de l’administration des organisations. Ces sanctions comprennent notamment des amendes exorbitantes et peuvent aller jusqu’à la « cessation définitive de leurs activités », sans préciser dans quels cas chaque sanction serait appliquée. L’imposition de ces sanctions sans les précisions nécessaires et sans procédure régulière contrevient au principe de légalité et bafoue le droit à la liberté d’association, qui ne doit en aucun cas faire l’objet de restrictions disproportionnées ou si lourdes qu’elles mettraient en péril le droit lui-même.
« Ce projet impose aux organisations de la société civile un contrôle arbitraire et abusif de l’État, sans leur donner la possibilité de se défendre. Plus grave encore, il met en danger les défenseur·e·s des droits humains et toutes les personnes qui bénéficient aujourd’hui de l’action indispensable de ces organisations », a déclaré Ana Piquer. « Nous appelons instamment la Chambre des députés à rejeter fermement ce projet de loi et rappelons à l’État paraguayen que toute loi ou politique publique affectant la société civile doit faire l’objet d’une vaste consultation participative, à laquelle doivent participer les défenseur·e·s des droits humains et les organisations de la société civile, et doit être conforme aux obligations internationales du Paraguay ».
Complément d’information
Amnistie internationale a constaté, dans divers pays de la région et du monde, une tendance aux attaques contre l’espace civique, notamment par le biais de réglementations imposant des restrictions arbitraires et injustifiées aux organisations, associations et groupes de la société civile.