Liban. Un an après le tremblement de terre dévastateur, des milliers de personnes à Tripoli vivent dans des logements dangereux
Des milliers de personnes à Tripoli, ville du nord du Liban, vivent dans des bâtiments dangereux qui mettent en péril leur droit à un logement convenable et leur droit à la vie, dans l’indifférence du gouvernement, plus d’un an après les tremblements de terre dévastateurs qui ont ravagé de grandes parties de la Turquie et de la Syrie, et endommagé des bâtiments au Liban, a déclaré Amnistie internationale le 20 février 2024.
Dans une nouvelle synthèse intitulée Lebanon: People in Tripoli Continue to Live in Unsafe Buildings one year after the post-earthquake ‘emergency plan’, l’organisation note que même avant le séisme, les habitant·e·s de Tripoli avaient tiré la sonnette d’alarme quant à l’état désastreux de leurs logements, conséquence de décennies de négligence et de non-respect des règles de sécurité par les entrepreneurs, et d’une crise économique dévastatrice qui a privé les habitant·e·s des moyens de rénover ou de déménager.
Le tremblement de terre a exacerbé les problèmes structurels existants, mettant davantage encore les habitant·e·s en danger. Cependant, le gouvernement n’a pas mené d’inspections approfondies des bâtiments à risque ni fourni d’aide aux habitants ; au contraire, les interventions des autorités se sont limitées à l’envoi d’avis d’expulsions et dans certains cas, d’amendes.
« Le gouvernement libanais a clairement manqué à sa responsabilité d’établir un plan clair de réparation des structures endommagées et d’accorder aux habitants une aide, notamment sous la forme d’une indemnisation et d’une solution de relogement le cas échéant. Et ce, malgré des études incomplètes réalisées au niveau municipal qui ont conclu que les bâtiments n’étaient pas sûrs et pouvaient s’effondrer à tout moment, a déclaré Sahar Mandour, chercheuse sur le Liban à Amnistie internationale.
« Le droit à un logement convenable est un droit fondamental. Il est honteux que les habitants de la ville où le taux de pauvreté est le plus élevé du Liban soient livrés à eux-mêmes et que, dans certains cas, des avis d’expulsion leur aient été remis. Du fait de la négligence du gouvernement libanais et de son manque flagrant de préparation, un an après le séisme, des milliers de personnes se retrouvent chaque jour face à un dilemme : rester vivre dans une maison dangereuse ou sombrer dans le dénuement. »
Au cours des six derniers mois seulement, huit personnes au Liban sont mortes dans l’effondrement de leur immeuble. Le 11 février, un immeuble de cinq étages s’est effondré à Choueifat, au sud de Beyrouth. Il a commencé à trembler 15 minutes avant, ce qui a donné aux habitants suffisamment de temps pour évacuer les lieux.
Lors d’une enquête réalisée en 2022, la municipalité de Tripoli a conclu que 236 bâtiments risquaient de s’effondrer. En août 2023, six mois après le tremblement de terre, elle a déclaré avoir identifié entre 800 et 1 000 bâtiments à risque, soit plus de quatre fois plus qu’avant le séisme.
Les chercheurs d’Amnistie internationale ont effectué des visites sur le terrain dans les quartiers d’El Tal et de Zehrieh, du Vieux Souk, d’al Qubbeh et de Dahr El Maghar, à Tripoli, en avril 2023. L’équipe a interviewé 13 familles vivant dans des immeubles classés en état de péril par la municipalité locale. Les chercheurs ont mené des interviews de suivi avec 12 de ces familles en décembre 2023. Ils se sont aussi entretenus avec des représentants du gouvernement au niveau national et local, et avec des organisations de la société civile.
Tout de suite après les tremblements de terre, le gouvernement a chargé les municipalités de réaliser des inspections sur les bâtiments dangereux et d’en rendre compte au ministère de l’Intérieur dans un délai de 72 heures. Le Premier ministre intérimaire a également autorisé le Haut Conseil du secours, un organe gouvernemental créé en 1976 et chargé de recevoir les dons et de les répartir aux personnes dans le besoin, à distribuer 30 millions de livres libanaises (environ 300 euros) à titre d’« allocation logement » aux personnes vivant dans des bâtiments en péril, afin de couvrir le loyer pendant trois mois, au cours desquels elles sont censées réparer leur habitation ou trouver une solution plus durable, à leurs frais.
Un an plus tard, tous les habitants interrogés par Amnistie internationale ont déclaré qu’ils vivaient toujours dans des maisons fortement endommagées parce qu’ils n’avaient pas les moyens de les réparer ni de trouver un autre logement. Le gouvernement n’a pas terminé l’enquête sur les bâtiments dangereux, et une seule personne interrogée connaissait l’existence de l’allocation logement de 300 euros.
Comptant parmi les villes les plus marginalisées du Liban, Tripoli abrite la plus forte concentration d’immeubles dangereux du pays. Le 18 septembre 2023, un bâtiment historique de trois étages, inhabité, s’est effondré dans le quartier d’al Zehrieh, ravivant les craintes des habitants en matière de sécurité. En juin 2022, Jumana Diko, cinq ans, a été tuée dans l’effondrement d’un bâtiment dans le quartier de Dahr El Maghar, à Tripoli. Son père, Khaled, a raconté : « Nous avons pu sauver ma femme : nous l’avons secourue en premier. Le temps que nous arrivions à ma fille, elle était morte. » Sept mois avant cette tragédie, en octobre 2021, les sœurs Sabah et Hayat El Zohbi sont mortes lors de l’effondrement du balcon de leur ancienne maison familiale dans le quartier d’Al Qubbeh.
L’incompétence du gouvernement est aggravée par des années de mauvaise gestion et de corruption, et par une grave crise économique qui a plongé plus de 75 % de la population dans la pauvreté en l’absence d’un système de protection sociale opérationnel. La majorité des bâtiments au Liban ne répondent pas aux normes de sécurité minimales.
« Le gouvernement libanais doit assumer ses obligations et protéger le droit à un logement sûr et adéquat, malgré la crise économique. Il doit sans attendre prendre des mesures afin de garantir la sécurité et le droit au logement des habitants d’immeubles considérés comme présentant un risque d’effondrement, a déclaré Sahar Mandour.
« Il s’agit notamment d’accélérer l’enquête nationale sur les bâtiments à risque, de restaurer les logements endommagés, d’informer les habitants de leurs droits à l’allocation de logement temporaire, de fournir des logements alternatifs à ceux qui ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins – tout cela dans le cadre d’un processus de véritable consultation avec les personnes concernées. »