Iran. La mort du président Raisi ne doit pas empêcher les victimes de son sinistre bilan en matière de droits humains d’obtenir des comptes
La mort du président Ebrahim Raisi ne doit pas priver les Iranien·ne·s de leur droit à la justice, à la vérité et à des réparations pour la multitude de crimes de droit international et de violations des droits humains commis depuis les années 1980, tandis qu’il évoluait dans les sphères de pouvoir, a déclaré Amnistie internationale mercredi 22 mai, après son décès dans un accident d’hélicoptère dans la province de l’Azerbaïdjan oriental.
Ebrahim Raisi, nommé procureur général de Karaj, dans la province d’Alborz, en 1980 à l’âge de 20 ans, a rapidement gravi les échelons pour occuper divers postes judiciaires et exécutifs de haut niveau, avant de devenir président en 2021. Au cours des 44 dernières années, il a été directement responsable ou a assuré la supervision de la disparition forcée et des exécutions extrajudiciaires de milliers d’opposant·e·s politiques dans les années 1980, de l’homicide illégal, la détention arbitraire, la disparition forcée et la torture de milliers de manifestant·e·s, ainsi que de la persécution violente de femmes et de jeunes filles défiant le port obligatoire du voile, entre autres violations graves des droits humains.
« Ebrahim Raisi aurait dû faire l’objet, de son vivant, d’une enquête pénale, notamment pour les crimes contre l’humanité que sont le meurtre, la disparition forcée et la torture. Sa mort ne doit pas priver ses victimes et leurs familles de leur droit à la vérité et de la possibilité de voir toutes les personnes complices de ses crimes rendre des comptes », a déclaré Diana Eltahawy, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Depuis des décennies, des personnes ayant une responsabilité pénale dans des crimes ont bénéficié de l’impunité systématique qui prévaut en Iran. La communauté internationale doit agir maintenant pour établir des moyens de faire respecter l’obligation de rendre des comptes pour les victimes de crimes de droit international et d’autres violations graves des droits humains commises par Ebrahim Raisi et d’autres responsables iraniens. »
Implication dans les massacres de prisonniers de 1988
En 1988, Ebrahim Raisi était membre de la « commission de la mort » responsable de la disparition forcée et de l’exécution extrajudiciaire de plusieurs milliers d’opposant·e·s politiques à la prison d’Evin, à Téhéran, et à la prison de Gohardasht, dans la province d’Alborz, entre la fin juillet et le début septembre 1988. Les personnes ayant survécu et les familles des victimes sont cruellement privées de la vérité, de la justice et de réparations depuis des décennies, et ont été persécutées pour avoir demandé des comptes.
En mai 2018, Ebrahim Raisi a publiquement défendu ces massacres, les décrivant comme « l’un des accomplissements du système [de la République islamique] ».
Dans un rapport rendu public en novembre 2018, Amnistie internationale a demandé qu’Ebrahim Raisi fasse l’objet d’une enquête pénale pour des crimes contre l’humanité qui continuent à ce jour, tels que des disparitions forcées, des persécutions, des actes de torture et d’autres actes inhumains, notamment la dissimulation systématique du sort réservé aux victimes et l’endroit où se trouvent leurs dépouilles.
Implication dans la répression meurtrière de manifestations
Ces dernières décennies, Ebrahim Raisi a occupé diverses fonctions judiciaires, notamment en tant que responsable du pouvoir judiciaire de 2019 à 2021. L’appareil judiciaire iranien a joué un rôle moteur dans des violations des droits humains et des crimes au regard du droit international, soumettant des dizaines de milliers de personnes à des arrestations et détentions arbitraires, à des disparitions forcées, à la torture et à d’autres mauvais traitements, à des procès manifestement iniques et à des peines violant l’interdiction de la torture et d’autres mauvais traitements, telles que la flagellation, l’amputation et la lapidation.
Sous l’égide d’Ebrahim Raisi, le pouvoir judiciaire a accordé une impunité totale aux représentants du gouvernement et aux forces de sécurité soupçonnés de responsabilité pénale dans l’homicide illégal de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, dans l’arrestation arbitraire massive de milliers de manifestant·e·s et dans la disparition forcée, la torture et les autres mauvais traitements infligés à au moins des centaines d’entre eux pendant et après les manifestations nationales de novembre 2019.
En tant que président de l’Iran et président du Conseil suprême de la sécurité nationale pendant le soulèvement « Femmes. Vie. Liberté » de septembre-décembre 2022, Ebrahim Raisi a salué et supervisé la violente répression des manifestations nationales par les forces de sécurité, qui s’est soldée par l’homicide illégal de centaines de manifestant·e·s et de passant·e·s, a fait des milliers de blessé·e·s, et a donné lieu à des actes de torture et d’autres mauvais traitements, notamment le viol et d’autres formes de violence sexuelle, contre des manifestant·e·s arrêtés.
Implication dans l’augmentation effrayante du nombre d’exécutions
Après l’arrivée d’Ebrahim Raisi à la présidence en 2021, lui-même et plusieurs hauts responsables se sont prononcés en faveur d’un recours accru à la peine de mort dans le cadre d’une nouvelle « guerre contre la drogue ». Depuis lors, les exécutions ont fortement augmenté, culminant avec l’exécution d’au moins 853 personnes en 2023, soit une augmentation de 172 % par rapport à 2021.
Cette hausse terrifiante des exécutions est en grande partie due au retour d’une politique antidrogue meurtrière qui s’est traduite par au moins 481 exécutions liées aux stupéfiants en 2023, soit une augmentation de 264 % par rapport à 2021.
En décembre 2022, le gouvernement a soumis au Parlement, sur les instructions d’Ebrahim Raisi, un projet de loi qui, s’il est adopté, élargira le recours à la peine de mort pour les infractions liées aux stupéfiants. Le 8 janvier 2024, la Commission juridique et judiciaire du Parlement a approuvé les principes généraux de ce projet de loi.
Sous l’égide d’Ebrahim Raisi, d’abord comme responsable du pouvoir judiciaire, puis comme président, les autorités iraniennes ont exécuté au moins 2 462 personnes à travers l’Iran.
Implication dans des atteintes violentes aux droits des femmes
En 2022, Ebrahim Raisi a orchestré une application plus stricte des lois sur le port obligatoire du voile, qui a culminé avec la mort en détention de Mahsa/Zhina Amini en septembre, quelques jours après son arrestation violente par la « police des mœurs », sur fond d’informations crédibles faisant état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements, ce qui a conduit au soulèvement « Femme. Vie. Liberté » et à la répression meurtrière qui s’en est suivie.
Depuis le soulèvement, les autorités iraniennes, sous la présidence d’Ebrahim Raisi, et les différents organes exécutifs, tels que le ministère de l’Intérieur, qui opèrent sous son autorité, ont persécuté des femmes et des jeunes filles dans le cadre d’une violente campagne répressive visant à faire appliquer les lois dégradantes et discriminatoires du pays sur le port obligatoire du voile.
Depuis la mi-avril 2024, date à laquelle les autorités, les forces de sécurité du pays ont intensifié encore davantage la mise en œuvre violente de la politique du port obligatoire du voile, avec le lancement d’une nouvelle campagne nationale baptisée « Plan Noor [lumière] ». Ces dernières semaines, il est visible que les patrouilles de sécurité sont de plus en plus nombreuses dans les espaces publics, le but étant de faire respecter le port obligatoire du voile. Cela passe par la surveillance des cheveux, du corps et des vêtements des femmes.
Des vidéos choquantes ont émergé sur les réseaux sociaux, montrant les forces de sécurité agresser physiquement des femmes et des filles en public, et procéder à l’interpellation violente de certaines d’entre elles, notamment en les traînant dans des fourgons de police tout en leur criant dessus.
« Le bilan d’Ebrahim Raisi nous rappelle brutalement la crise de l’impunité en Iran, où non seulement les personnes raisonnablement soupçonnées de crimes au regard du droit international échappent à toute responsabilisation, mais sont en outre récompensées par des louanges et des postes de haut niveau au sein de l’appareil répressif de la République islamique. Faute de réformes constitutionnelles, législatives et administratives fondamentales, cette situation est vouée à se poursuivre », a déclaré Diana Eltahawy.
« Les États doivent ouvrir des enquêtes pénales sur les fonctionnaires iraniens sur lesquels pèsent des soupçons raisonnables de crimes au regard du droit international, en vertu du principe de compétence universelle, afin que les personnes ayant survécu et les familles des victimes voient les auteurs de ces crimes jugés et amenés à rendre des comptes pour leurs actes. »
Complément d’information
Selon les médias d’État et les autorités iraniennes, Ebrahim Raisi est mort le 19 mai 2024, lorsque son hélicoptère s’est écrasé dans la région de Varzeghan, dans la province iranienne de l’Azerbaïdjan oriental. Les personnes à bord de l’hélicoptère, notamment le ministre des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, ainsi que les pilotes et l’équipage, ont toutes été tuées.