Égypte. Les autorités doivent mettre fin à la campagne d’arrestations massives et de retours forcés de réfugié·e·s soudanais
Les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre fin aux arrestations arbitraires massives et aux expulsions illégales de réfugié·e·s soudanais ayant franchi la frontière pour se mettre en sécurité en Égypte en raison du conflit en cours au Soudan, écrit Amnistie internationale dans un nouveau rapport diffusé le 19 juin à l’approche de la Journée mondiale des réfugiés.
Ce rapport, intitulé “Handcuffed like dangerous criminals”: Arbitrary detention and forced returns of Sudanese refugees in Egypt, révèle que des réfugié·e·s soudanais sont rassemblés et illégalement expulsés vers le Soudan - une zone de conflit actif – en l’absence de toute procédure régulière et de toute possibilité de demander l’asile, ce qui porte atteinte au droit international de manière flagrante. Des éléments de preuve indiquent que des milliers de réfugié·e·s soudanais ont été arrêtés arbitrairement, puis expulsés collectivement ; le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime que 3 000 personnes ont été expulsées d’Égypte vers le Soudan pour le seul mois de septembre 2023.
« Il est incompréhensible que des femmes, des hommes et des enfants soudanais fuyant le conflit armé dans leur pays et cherchant la sécurité de l’autre côté de la frontière égyptienne soient arrêtés en masse et détenus arbitrairement dans des conditions déplorables et inhumaines avant d’être expulsés illégalement », a déclaré Sara Hashash, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre un terme à cette campagne virulente d’arrestations massives et d’expulsions collectives. Elles doivent respecter les obligations qui leur incombent, en vertu du droit international relatif aux droits humains et aux réfugiés, d’assurer aux personnes fuyant le conflit au Soudan un passage sûr et digne vers l’Égypte, et un accès sans restriction aux procédures d’asile. »
Pendant des décennies, l’Égypte a accueilli des millions de Soudanais·e·s qui étudiaient, travaillaient, investissaient ou recevaient des soins de santé dans le pays. Les femmes et les filles soudanaises, ainsi que les garçons de moins de 16 ans et les hommes de plus de 49 ans étaient exemptés des conditions d’entrée. On estime qu’environ 500 000 réfugié·e·s soudanais ont fui vers l’Égypte après qu’un conflit armé a éclaté au Soudan en avril 2023. Le mois suivant, cependant, le gouvernement égyptien a introduit une obligation de visa pour tous les ressortissant·e·s soudanais, ne laissant d’autre choix à ceux qui fuyaient que de s’échapper par des points de passage irréguliers à la frontière.
Le rapport décrit en détail les épreuves subies par 27 réfugié·e·s soudanais qui ont été soumis à des arrestations arbitraires, en compagnie de quelque 260 autres personnes entre octobre 2023 et mars 2024, par des membres de la police égyptienne des frontières, relevant du ministère de la Défense, ainsi que par des policiers, relevant du ministère de l’Intérieur. Il révèle en outre que les autorités ont renvoyé de force au moins 800 détenu·e·s soudanais entre janvier et mars 2024, qui se sont tous vu refuser la possibilité de demander l’asile, y compris en s’adressant au HCR, ou de contester les décisions d’expulsion.
Le rapport s’appuie sur des entretiens avec des réfugié·e·s détenus, leurs proches, des responsables communautaires, des avocats et un professionnel de la santé, ainsi que sur un examen des déclarations et documents officiels, et des éléments audiovisuels. Les ministères égyptiens de la Défense et de l’Intérieur n’ont pas répondu aux lettres d’Amnistie internationale partageant ses constats et ses recommandations, tandis que le Conseil national des droits humains, l’institution égyptienne de protection de ces droits, a rejeté les conclusions affirmant que les autorités respectaient leurs obligations internationales.
La flambée des arrestations et des expulsions de masse a fait suite à un décret du Premier ministre, publié en août 2023, exigeant que les ressortissant·e·s étrangers en Égypte régularisent leur statut. Cela s’est accompagné d’une montée des sentiments xénophobes et racistes à la fois en ligne et dans les médias, ainsi que de déclarations de responsables gouvernementaux critiquant le « fardeau » économique que représente l’accueil de « millions » de réfugié·e·s.
Cela survient également sur fond de renforcement de la coopération de l’Union européenne avec l’Égypte en matière de migration et de contrôle des frontières, malgré le sinistre bilan de ce pays sur le terrain des droits humains et les violations avérées contre les migrant·e·s et les réfugié·e·s.
En octobre 2022, l’UE et l’Égypte ont signé un accord de coopération de 80 millions d’euros, qui portait notamment sur le renforcement des capacités des gardes-frontières égyptiens, afin de freiner la migration irrégulière et la traite des êtres humains au-delà de la frontière égyptienne. L’accord vise à appliquer des « approches fondées sur les droits, axées sur la protection et sensibles au genre ». Le nouveau rapport d’Amnistie internationale met pourtant en évidence l’implication des gardes-frontières dans des violations contre des réfugié·e·s soudanais.
Un autre ensemble de mesures d’aide et d’investissement, dont la gestion de la migration est un pilier, a été convenu en mars 2024 dans le cadre du partenariat stratégique et global récemment annoncé entre l’UE et l’Égypte.
« En coopérant avec l’Égypte dans le domaine de la migration, sans garanties rigoureuses en matière de droits humains, l’UE risque de se rendre complice des violations des droits humains commises par l’Égypte. L’UE doit faire pression sur les autorités égyptiennes pour qu’elles adoptent des mesures concrètes afin de protéger les réfugié·e·s et les migrant·e·s », a déclaré Sara Hashash.
« L’UE doit également procéder à des évaluations rigoureuses des risques en matière de droits humains avant de mettre en œuvre le moindre accord de coopération en matière de migration, et mettre en place des mécanismes de suivi indépendants assortis de critères clairs en matière de droits humains. La coopération doit être interrompue ou suspendue immédiatement en cas de risques ou de signalements d’abus. »
Arrestations arbitraires dans les rues et les hôpitaux
Les arrestations de masse ont principalement eu lieu dans le Grand Caire (englobant le Caire et Guizeh), ainsi que dans les zones frontalières du gouvernorat d’Assouan ou à l’intérieur de la ville d’Assouan. Au Caire et à Guizeh, la police a procédé à des contrôles d’identité de masse ciblant les personnes noires, semant la peur au sein de la communauté des réfugié·e·s et dissuadant beaucoup d’entre eux de quitter leur foyer.
Après leur arrestation par la police à Assouan, les réfugié·e·s soudanais sont transférés dans des postes de police ou dans un camp des Forces centrales de sécurité, un lieu de détention non officiel, dans la région de Shallal. Les personnes appréhendées par la police des frontières dans le gouvernorat d’Assouan sont placées dans des centres de détention improvisés, notamment des entrepôts à l’intérieur d’un site militaire à Abou Simbel et une écurie dans un autre site militaire près de Nagaa Al Karur, avant d’être forcées à monter dans des bus et des fourgonnettes, et conduites à la frontière soudanaise.
Les conditions dans ces centres de détention sont cruelles et inhumaines, caractérisées par la surpopulation, un manque d’accès à des toilettes et à des installations sanitaires, une nourriture insuffisante et de mauvaise qualité, et la privation de soins de santé adéquats.
Amnistie internationale a également recueilli des informations sur l’arrestation d’au moins 14 réfugié·e·s dans des hôpitaux publics d’Assouan, où ils recevaient des soins pour des blessures graves subies lors d’accidents de la route survenus alors qu’ils se rendaient en Égypte depuis le Soudan. Les autorités les ont transférés - contre avis médical et avant qu’ils ne se soient complètement rétablis - en détention, où ils ont été contraints de dormir sur le sol après des opérations chirurgicales.
Amira, une femme soudanaise de 32 ans qui a fui Khartoum avec sa mère, recevait des soins dans un hôpital d’Assouan après avoir connu le 29 octobre 2023 un accident de voiture qui lui a valu des fractures au cou et au dos. Nora, une proche d’Amira, a déclaré à l’organisation que les médecins lui avaient dit qu’elle aurait besoin de trois mois de soins, mais qu’au bout de seulement 18 jours, la police l’a transférée dans un poste de police à Assouan où elle a été forcée à dormir à même le sol pendant environ 10 jours.
Des centres de détention froids et infestés de rats avant les expulsions collectives
Le Laboratoire de preuves d’Amnistie internationale a examiné des photos et des vidéos vérifiées, datant de janvier 2024, montrant des femmes et des enfants assis sur des sols crasseux, au milieu des ordures, dans un entrepôt contrôlé par la police des frontières égyptienne. Les anciens détenu·e·s ont déclaré que les entrepôts étaient infestés de rats et de nids de pigeons, et que les personnes incarcérées enduraient des nuits froides sans vêtements adaptés ni couvertures. Les entrepôts accueillant les hommes étaient surpeuplés, plus d’une centaine d’hommes y vivant à l’étroit, avec un accès limité à des toilettes qui débordaient, ce qui les obligeait à uriner dans des bouteilles en plastique la nuit.
Au moins 11 enfants, dont certains âgés de moins de quatre ans, ont été détenus avec leur mère dans ces sites.
Israa, qui est asthmatique, a déclaré à Amnistie internationale que les gardiens, dans une écurie surpeuplée près du village de Nagaa Al Karur, l’ont ignorée quand elle a demandé un inhalateur, même lorsqu’elle a proposé d’en acheter un à ses propres frais.
Après des périodes de détention allant de quelques jours à six semaines, la police et les gardes-frontières ont menotté et conduit des détenu·e·s au poste-frontière de Qustul-Ashkeet et les ont remis aux autorités soudanaises, sans évaluation individualisée du risque de violations graves des droits humains en cas de retour. Aucune de ces personnes n’a eu la possibilité de demander l’asile, même lorsqu’elles avaient des rendez-vous d’enregistrement auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qu’elles avaient demandé à parler au HCR ou avaient supplié de ne pas être renvoyées. Ces retours forcés bafouent les obligations internationales de l’Égypte en vertu du droit relatif aux droits humains et aux réfugiés, notamment le principe de « non-refoulement ».
La police des frontières a expulsé Ahmed, sa femme et leur enfant de deux ans avec un groupe d’environ 200 détenu·e·s le 26 février 2024, après les avoir maintenus sur le site militaire d’Abou Simbel pendant six jours.
Depuis le début du conflit au Soudan, les autorités égyptiennes n’ont pas fourni de statistiques ni reconnu qu’elles menaient une politique d’expulsion. Selon le HCR, 3 000 personnes ont été expulsées d’Égypte vers le Soudan au seul mois de septembre 2023.