Colombie. La difficile quête des femmes qui recherchent les victimes de disparition forcée
Selon les chiffres officiels, plus de 200 000 personnes ont été victimes d’une disparition forcée en Colombie. Ce sont majoritairement des femmes qui consacrent leur vie à la recherche de ces personnes disparues.
Les organisations de femmes menant des recherches, comme la Fundación Nydia Erika Bautista, sont des exemples de persévérance, mais elles témoignent aussi des drames qui frappent les personnes qui dénoncent les disparitions forcées et qui consacrent leur vie à la recherche de leurs proches.
- Amnistie internationale met en avant l’adoption de la Loi 2364 de 2024 visant à protéger les droits des femmes menant des recherches, et lance un appel pour que l’État colombien s’engage à appliquer ce texte.
Amnistie internationale présente au Teatro Colón de Bogotá le rapport Transformar los dolores en derechos: Riesgos, amenazas y ataques a las mujeres buscadoras en Colombia, qui porte sur la vie que mènent les femmes qui se consacrent à la recherche des victimes de disparition forcée en Colombie, et qui insiste sur la nécessité pour la société de les reconnaître et pour les autorités de garantir leurs droits, face à tous les obstacles qui se dressent sur le chemin de celles qui demandent la vérité et la justice.
Ce rapport s’inscrit dans le cadre de la campagne #BuscarSinMiedo d’Amnistie internationale, lancée le 30 août dernier (Journée internationale des victimes de disparition forcée) dans toutes les Amériques pour demander la reconnaissance et la protection sur tout le continent des femmes qui mènent ces recherches.
Selon le rapport, l’ampleur des disparitions forcées en Colombie est terrifiante. L’Unité de recherche des personnes disparues a recensé, en mars 2024, 111 640 cas de personnes disparues. Parallèlement, la Commission de la vérité a affirmé dans son rapport final qu’environ 210 000 personnes ont été victimes de disparition forcée entre 1985 et 2016, si l’on tient compte du sous-enregistrement, un phénomène habituel qui repose sur le subterfuge et la dissimulation.
Selon Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale, « les femmes jouent un rôle de premier plan dans la recherche et dans la formation et l’encadrement des organisations de familles de victimes de disparition forcée en Colombie ». Elle a ajouté que « les mères, les épouses, les sœurs et les filles sont les plus durement touchées par ce crime. Ce sont elles qui ont pris la parole pour le dénoncer et le rendre visible ; elles ont entrepris des actions pour exiger le respect des droits à la vérité et à la justice et elles ont subi l’aggravation des répercussions dans leur lutte contre l’impunité. »
Risques, menaces et attaques auxquels sont confrontées ces femmes
Le rapport présente l’expérience de la Fundación Nydia Erika Bautista (FNEB), organisation issue de la lutte pour la vérité et la justice concernant la disparition forcée de Nydia Erika Bautista, le 30 août 1987, aux mains de l’armée colombienne. Le rapport rend compte de ce qu’ont vécu Yanette Bautista, sœur de Nydia Erika et directrice et fondatrice de la FNEB, et Andrea Bautista, nièce de Nydia Erika, directrice adjointe et responsable pour les affaires juridiques de la FNEB. Leur expérience est le reflet de ce que vivent des milliers de femmes qui mènent de telles recherches en Colombie.
Les femmes qui mènent ces recherches en Colombie sont stigmatisées dans le discours public et elles subissent des atteintes à leur dignité humaine et à leur réputation, ainsi qu’une discrimination en conséquence des actions qu’elles mènent. Elles sont victimes de violences physiques, qui ont un caractère spécifique et causent des préjudices particuliers dans leur cas, car elles sont victimes de violences fondées sur le genre et exposées à la violence sexuelle, avec une persistance de la violence contre les femmes tout au long de la recherche des proches soumis à une disparition forcée.
Les femmes qui mènent ces recherches en Colombie sont en outre constamment menacées, et certaines ont même dû fuir le pays et vivre en exil. Celles qui entreprennent une recherche de la vérité et de la justice après une disparition forcée sont généralement et systématiquement en butte à des menaces, au harcèlement et des intimidations.
Le vol d’informations et l’intrusion dans des lieux privés sont également fréquents, ce qui empêche ces femmes d’accomplir leur travail et, surtout, de conserver la mémoire d’années de recherche. Yanette Bautista décrit cela ainsi : « On nous a volé le passé et on nous vole aussi l’avenir. »
Cependant, les femmes qui mènent ces recherches en Colombie souffrent de problèmes qui vont au-delà de la violence, en particulier avec l’appauvrissement. Selon le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, il s’agit d’un facteur de vulnérabilité face aux disparitions forcées : quand une disparition a lieu, les droits économiques, sociaux et culturels des membres de la famille, des autres proches et de la communauté à laquelle appartient la personne disparue sont souvent gravement affectés.
Enfin, l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontées les femmes qui mènent ces recherches est l’impunité, non seulement celle qui résulte de l’absence de justice pour l’immense majorité des disparitions forcées qui ont eu lieu en Colombie, mais aussi celle qui concerne les violences qui sont commises contre les femmes à la recherche de leurs proches et qui ne donnent pas lieu à des enquêtes adéquates.
La loi sur les femmes qui mènent des recherches : un espoir pour les victimes
Face à ce sombre constat, le rapport d’Amnistie internationale souligne l’importance de l’adoption par le Congrès colombien, en juin dernier, de la Loi 2364 de 2024, qui reconnaît et protège totalement le travail et les droits des femmes qui recherchent des victimes de disparition forcée dans le pays. Cette loi permet d’espérer que la recherche des victimes de disparition forcée pourra désormais se faire dans des conditions sûres et dignes.
Amnistie internationale a présenté dans son rapport une méthodologie de suivi de la mise en œuvre de cette loi, qui contrôlera 22 engagements selon quatre axes : 1) la reconnaissance des femmes qui mènent ces recherches et de leur travail, et la prévention de la stigmatisation, 2) la protection des femmes qui mènent ces recherches contre les attaques et les menaces, 3) la garantie du droit à l’éducation, au logement et à la santé pour les femmes menant des recherches et leurs proches ; 4) les mesures contre l’impunité et pour la vérité.
Amnistie internationale estime que si la loi 2364 de 2024 est correctement appliquée, elle pourra alors contribuer à solder la dette historique contractée par l’État colombien à l’égard de ces femmes, et protéger leurs droits. La Colombie deviendrait en outre une référence pour les Amériques, région où sont légion les cas de disparition forcée et de femmes menant des recherches qui luttent contre le courant pour découvrir la vérité et obtenir justice.
Pour des organisations comme Amnistie internationale et la Fundación Nydia Erika Bautista, l’État colombien a encore beaucoup à faire pour tenir les promesses qu’il a faites aux victimes de disparition forcée, y compris aux femmes qui mènent des recherches. La mise en œuvre de cette loi est une bonne occasion d’accomplir des progrès dans ce sens.
Le lancement du rapport Transformar los dolores en derechos: Riesgos, amenazas y ataques a las mujeres buscadoras en Colombia a eu lieu au célèbre Teatro Colón de Bogotá. L’événement s’est accompagné de l’exposition photographique La búsqueda tiene rostro de mujer (La recherche a le visage d’une femme) et de la pièce de théâtre La vida de las ausencias (La vie des absences), interprétée par des femmes qui recherchent des victimes de disparition forcée.