Chili. Cinq ans après le soulèvement social, l’ouverture d’une procédure judiciaire contre des gradés de la police pourrait constituer une étape importante dans le combat pour la justice
L’instruction visant trois personnes qui assuraient le commandement des Carabineros lors de la répression des manifestations de 2019 par la police, a officiellement été ouverte mardi 1er octobre. Sous l’égide de ces responsables, deux personnes sont mortes aux mains de la police et des milliers d’autres ont été grièvement blessées, souffrant notamment de traumatismes oculaires irréversibles. Lors de cette audience, attendue depuis plus de neuf mois, le parquet métropolitain du Centre-Nord a officiellement annoncé qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour leur possible participation, en tant qu’auteurs du délit de contraintes illégitimes (c’est-à-dire des mauvais traitements) ayant entraîné des blessures graves et un homicide, et que cela marquait le début d’une procédure judiciaire.
En vertu du droit international et du droit chilien, les commandants des forces de police sont, dans certaines circonstances, responsables des actes de leurs subordonnés, même s’ils n’ont pas supervisé ces derniers. Amnistie internationale l’a indiqué dans son rapport de 2020 intitulé Ojos sobre Chile, dans son rapport de 2021 intitulé Responsabilidad penal por omisión de los mandos, et dans un rapport rendu public le 1er octobre sous le titre Obligaciones de derecho internacional de investigar y sancionar a los responsables jerárquicos de violaciones de derechos humanos.
Une procédure judiciaire, qui devrait s’ouvrir après cette audience, permettra de déterminer si ces personnes portent une responsabilité pénale individuelle pour ne pas avoir empêché les graves blessures causées à des milliers de manifestant·e·s alors qu’elles auraient pu le faire, ainsi qu’elles en avaient l’obligation.
« Cette audience nous montre qu’il est possible de poursuivre non seulement ceux qui ont appuyé sur la gâchette, mais surtout ceux qui n’ont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher les tirs aveugles sur les manifestant·e·s. Les responsables de ces actes doivent rendre des comptes à la hauteur des responsabilités inhérentes au poste qu’ils occupaient », a déclaré Ana Piquer, directrice du programme Amériques à Amnistie internationale.
Depuis octobre 2019, Amnistie internationale et plusieurs organisations et organes internationaux et nationaux de défense des droits humains dénoncent l’utilisation abusive et sans discernement par les Carabineros de fusils de chasse chargés de balles en métal et en caoutchouc, qui ont fait des milliers de blessés et infligé de graves traumatismes oculaires à plus de 400 personnes. Aujourd’hui, on attribue plus de 1 100 cas de contraintes illégitimes (mauvais traitements) à ce type d’actes, ce qui montre l’ampleur des préjudices causés par les agissements des Carabineros.
L’enquête criminelle menée contre les hauts fonctionnaires de police qui auraient permis que cela se produise est un événement marquant pour le Chili. Chaque jour, dans différents pays, le droit de manifester est menacé par l’utilisation d’armes et de munitions extrêmement dangereuses et interdites par le droit international, dans le cadre du maintien de l’ordre lors d’actions de protestation. Aujourd’hui, le Chili a l’occasion historique de demander des comptes à des personnes qui, malgré leur position de pouvoir, n’ont rien fait pour empêcher que des milliers de personnes ne subissent des préjudices irréversibles.
Amnistie internationale se félicite que cette audience, qui doit s’achever mercredi 2 octobre, permette d’engager une action en justice qui, dans le respect des garanties d’une procédure régulière, fasse la lumière sur les faits et établisse les responsabilités pour les graves violations des droits humains commises depuis 2019.
« Le monde entier garde les yeux rivés sur le Chili. L’inculpation de ces hauts gradés est un précédent précieux pour d’autres pays de la région, mais surtout pour le Chili et les victimes de violences policières, qui ont résisté pendant cinq ans pour que cette porte s’ouvre vers la justice », a déclaré Rodrigo Bustos, directeur exécutif d’Amnistie internationale Chili.
Enfin, Amnistie internationale considère que le départ de l’actuel directeur général est opportun car, comme l’organisation l’a déjà signalé à plusieurs reprises, son maintien à ce poste représentait un risque pour les éléments de preuve et le respect des garanties de non-répétition.
Pour en savoir plus :
Amnistie internationale a fourni dans le cadre de cette enquête des informations relatives aux atteintes généralisées au droit à l’intégrité physique commises entre le 18 octobre et le 30 novembre 2019, rendues publiques dans le rapport intitulé Ojos sobre Chile: Violencia policial y responsabilidad de mando en el estallido. Ce rapport a en particulier montré comment, par des omissions délibérées, plusieurs commandants des Carabineros - notamment le directeur général actuel et directeur de l’ordre public et de la sécurité de l’époque - auraient mis en œuvre une stratégie visant à faire taire les manifestant·e·s, par exemple en utilisant sans discernement et de manière injustifiée des fusils de chasse chargés de munitions aux effets hautement préjudiciables, faisant alors des milliers de blessés, parmi lesquels plus de 400 personnes ayant présenté par la suite un traumatisme oculaire.
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