Bangladesh. L’analyse de nouvelles vidéos et photos confirme l’usage illégal par la police d’armes meurtrières et à létalité réduite contre les manifestant·e·s
Les autorités bangladaises continuent de recourir à la force illégale à l’encontre d’étudiant·e·s qui manifestent dans le cadre de la contestation contre la réforme des quotas à travers le pays, tandis que, depuis six jours, Internet est coupé et les communications sont restreintes, a déclaré le 25 juillet Amnistie internationale, qui publie la deuxième partie de sa série d’analyses des éléments de preuve.
L’accès à Internet à l’échelle nationale a été partiellement rétabli le 23 juillet après six jours de coupure totale en pleine période explosive marquée par la répression des manifestant·e·s, le déploiement de l’armée, un couvre-feu et l’ordre de tirer à vue. En raison des informations limitées qui sortent du pays, il est difficile de suivre la situation des droits humains. Amnistie internationale réagit à l’évolution de la situation en vérifiant et en analysant les preuves vidéo et photographiques disponibles. Son Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises a authentifié les vidéos de trois épisodes d’utilisation illégale d’armes meurtrières et à létalité réduite par les responsables de l’application des lois dans le cadre du maintien de l’ordre lors des manifestations.
« La vérification et l’analyse des preuves vidéo et photographiques qui filtrent hors du Bangladesh dressent un sombre tableau. Les violations flagrantes des droits humains commises par le gouvernement bangladais et le Bataillon d’action rapide (RAB) déployé pour assurer le maintien de l’ordre lors des manifestations ne rassurent guère sur le fait que les droits des manifestant·e·s seront protégés en l’absence d’une surveillance internationale active, d’autant que les restrictions imposées à Internet et aux communications sont encore partiellement en place, a déclaré Deprose Muchena, directeur général d’Amnistie internationale.
« Amnistie internationale demande au gouvernement du Bangladesh et à ses agences de respecter le droit de manifester, de mettre fin à cette répression brutale et de lever immédiatement toutes les restrictions imposées aux communications. »
* Attention : les vidéos ayant trait aux violences mentionnées dans l’analyse ci-dessous sont destinées à un public averti.
Usage abusif d’armes à létalité réduite et absence d’assistance médicale
Le 18 juillet, des vidéos sont apparues sur les réseaux sociaux présentant un manifestant, identifié par la suite comme étant Shykh Aashhabul Yamin, étudiant à l’Institut militaire des sciences et technologies, qui aurait été blessé et tué lors d’affrontements avec des policiers dans le cadre d’une manifestation qui se déroulait près d’une gare routière à Savar, non loin de la capitale Dacca.
Dans la première vidéo, on peut voir un véhicule blindé de transport de troupes avancer sur la route entre Dacca et Aricha, le corps inconscient de Yamin se trouvant sur le toit. Dans une deuxième vidéo, on peut voir un policier tenter de soulever le corps de Yamin par les bras tandis qu’un autre le saisit par les jambes et le jette d’un coup sec en bas du véhicule ; la tête de Yamin heurte alors le trottoir au moment de sa chute. La dernière vidéo débute avec deux policiers en tenue anti-émeute qui sortent du véhicule blindé de transport et regardent semble-t-il le corps de Yamin gisant par terre, devant eux. Finalement, ils soulèvent Yamin et font passer son corps au-dessus des barrières installées au milieu de la route, le laissant tomber de l’autre côté près d’un autre groupe de policiers. Finalement, le véhicule blindé s’éloigne, laissant le corps de Yamin sur la route. Selon les médias, Shykh Aashhabul Yamin est décédé plus tard dans la journée des suites de ses blessures.
Dans les trois vidéos analysées par Amnistie internationale, aucun des 12 policiers que l’on voit n’a tenté d’apporter une assistance médicale à Yamin. Or, l’article 5-c des Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois exige de ces derniers qu’ils veillent à ce qu’une assistance et des secours médicaux soient fournis aussi rapidement que possible à toute personne blessée ou autrement affectée. Derrick Pounder, un médecin légiste indépendant qui a examiné des photos des blessures de Yamin à la poitrine, a indiqué qu’il était raisonnable de présumer que la cause de sa mort était due aux blessures par grenailles visibles sur son corps au niveau du côté gauche de sa poitrine. Amnistie internationale considère que l’utilisation de grenailles par les forces de l’ordre est absolument inappropriée et qu’elle devrait être bannie pour maintenir l’ordre lors d’une manifestation.
Utilisation dangereuse des gaz lacrymogènes
Dans une autre vidéo diffusée le 18 juillet, un policier tire des gaz lacrymogènes à travers les grilles d’un portail de l’Université de BRAC à Dacca, où de violents affrontements ont opposé la police aux étudiant·e·s. Une vidéo filmée depuis l’intérieur de l’université laisse à penser qu’une foule d’étudiants manifestants était rassemblée de l’autre côté dans une cour fermée et que le policier bangladais tirait sur la foule à travers les grilles de l’établissement.
Dans ces vidéos, authentifiées par Amnistie internationale, il est clair que les actions du policier constituent un usage illégal et injustifié de la force. Les forces de l’ordre ne doivent jamais tirer de gaz lacrymogènes dans un espace clos sans moyen évident d’échapper aux effets des substances chimiques irritantes. D’après les médias locaux, au moins 30 personnes ont été blessées par l’utilisation de gaz lacrymogène sur le campus de l’Université de BRAC.
Usage d’armes meurtrières
Dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux depuis le 20 juillet, on peut voir un policier tirer avec un fusil d’assaut de type AK pendant les manifestations. La vidéo de sept secondes vérifiée par Amnistie internationale a été filmée devant une banque sur DIT Road dans le quartier de Rampura, à Dacca. On voit plusieurs agents de la police et des gardes-frontières du Bangladesh se tenir à côté d’un véhicule blindé de transport. L’un d’entre eux pointe un fusil d’assaut chinois de type 56-1 vers des cibles hors-champ et tire deux coups.
Les armes à feu ne sont jamais appropriées pour maintenir l’ordre lors de manifestations, et leur usage doit se limiter à des circonstances strictement nécessaires, face à une menace imminente de mort ou de blessure grave.
Dans une autre vidéo, également filmée dans le quartier de Rampura le 19 juillet ou avant, des policiers en tenue anti-émeute marchent sur une route à côté d’un véhicule blindé de transport, équipés de fusils de calibre 12 et de lance-grenades de calibre 37/38 mm. Certains tirent plusieurs coups de fusil sur des cibles qui se trouvent hors-champ.
« Les autorités bangladaises doivent immédiatement annuler les ordres de tirer à vue, rétablir l’accès total à Internet dans tout le pays et cesser de déployer les forces militaires et paramilitaires pour maintenir l’ordre lors des manifestations. Elles doivent aussi garantir qu’à l’avenir, elles n’auront plus recours aux ordonnances de couvre-feu, aux ordres de tirer à vue ni aux coupures d’Internet. Ces mesures répressives sont une manœuvre délibérée visant à écraser à la fois ces manifestations et toute dissidence future, a déclaré Deprose Muchena.
« Une enquête indépendante et impartiale sur toutes les violations des droits humains commises par les forces de sécurité, notamment le nombre élevé de morts parmi les manifestant·e·s, doit être menée sans délai et tous les responsables doivent rendre des comptes. Enfin, l’État doit fournir des réparations pleines et entières aux victimes de l’utilisation illégale de la force par la police, notamment aux blessés et aux familles des victimes. »
Complément d’information
Selon les médias, on dénombre 2 500 arrestations et près de 200 morts, ainsi que plusieurs milliers de blessés depuis le 16 juillet 2024, date à laquelle les manifestations ont dégénéré en violences meurtrières. D’autres informations indiquent que 61 000 personnes ont été inculpées de violences liées aux manifestations.