Bangladesh. Il faut mettre fin à l’impunité pour les actes de torture et faire respecter le droit des victimes à des réparations
Les autorités bangladaises doivent mettre un terme à l’impunité pour les actes de torture et autres formes de mauvais traitements commis par les forces de police et de sécurité, amener les responsables à rendre des comptes et veiller à ce que les victimes bénéficient de réparations, déclare Amnistie internationale à l’occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture.
Bien que le Bangladesh ait ratifié la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 1998 et adopté la Loi de 2013 relative à la torture et à la mort en détention (prévention), une seule condamnation a été prononcée en vertu de cette loi sur la torture en plus de 10 ans, tandis que prévaut un climat d’impunité pour les forces de police et de sécurité.
Dans un cas récent présumé de détention de stupéfiants, le 2 juin 2024, Afroza Begum, âgée de 40 ans, est décédée en garde à vue à la suite de son arrestation dans le sous-district d’Abhaynagar. Son fils aîné, Arif Hossain Munna, a déclaré à Amnistie internationale qu’il avait vu deux policiers cacher des stupéfiants sur elle et la frapper avant de l’emmener au poste de police d’Abhaynagar. Afroza Begum est morte en garde à vue le lendemain.
« La torture et les autres formes de mauvais traitements sont ignobles et ne sont jamais justifiées. Les autorités bangladaises doivent veiller à ce que les allégations de torture et de mauvais traitements généralisés et persistants entre les mains des forces de l’ordre fassent l’objet d’enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes, et à ce que les suspects soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables. Les auteurs présumés de ces mauvais traitements doivent être suspendus de leurs fonctions, en attendant les résultats de l’enquête, afin d’éviter qu’ils ne commettent d’autres violations, a déclaré Taqbir Huda, chercheur régional d’Amnistie internationale pour l’Asie du Sud.
« Le fait que cette loi n’ait donné lieu qu’à une seule condamnation, malgré les informations croissantes faisant état de décès en détention au cours des 10 dernières années, est une démonstration accablante de l’impunité bien ancrée. La mort d’Afroza Begum vient s’ajouter à une longue liste qui ne cesse de s’allonger de personnes qui auraient été torturées et tuées en détention. »
En septembre 2023, le gouvernement du Bangladesh a indiqué au Conseil des droits de l’homme de l’ONU qu’à ce jour, 24 affaires avaient été intentées en vertu de la loi de 2013 sur la torture.
Les décès en détention rapportés par la presse bangladaise continuent de se succéder à un rythme alarmant. Entre janvier 2013 et mai 2024, l’organisation de défense des droits Ain o Salish Kendra a recensé138 décès qui seraient dus à la torture physique pratiquée par les forces de l’ordre. Elle a également comptabilisé 923 décès en détention qui ont été rapportés dans les médias au cours de la même période.
Extorsion, harcèlement et torture
Selon le fils d’Afroza Begum, Arif Hossain Munna, la police harcelait depuis longtemps sa famille avant de venir perquisitionner leur domicile.
« Deux policiers qui nous harcelaient pour nous extorquer de l’argent ont fait irruption dans notre maison à minuit avec un trafiquant de drogue connu. Comme ils n’ont pas réussi à trouver mon père, ils ont fouillé physiquement ma mère, lui ont attaché les cheveux contre le ventilateur et l’ont giflée à maintes reprises, a-t-il raconté à Amnesty International.
« Ils ont ensuite saisi 188 000 taka bangladais (1 500 euros environ) dans le coffre-fort de ma mère et ont glissé sur elle 30 pilules de yaba prises dans la poche du trafiquant, avant de lui annoncer qu’elle était arrêtée pour détention de stupéfiants. Ils ont caché la drogue sous mes yeux pour éviter qu’une plainte pour torture et vol ne soit déposée contre eux. »
Selon le témoignage d’Arif Hossain Munna, la police ne l’a pas autorisé à donner de la nourriture ou des médicaments à sa mère lorsqu’il est allé lui rendre visite au poste le matin de sa mort : « Elle est morte à cause de leurs actes de torture et de leur cruauté. »
Arif Hossain Munna a affirmé que sa famille avait été menacée de mort si elle portait plainte contre la police : « Le 10 juin, mon jeune frère se rendait à l’école quand le trafiquant de drogue l’a menacé : " Nous te tuerons comme nous avons tué ta mère si ta famille ose porter plainte ". »
Une seule condamnation en vertu de la loi de 2013 relative à la torture
La seule affaire de torture ayant abouti à une condamnation en vertu de la loi relative à la torture de 2013 au Bangladesh concerne Ishtiaque Hossain Johnny et son frère Imtiaz Hossain Rocky, tous deux torturés par des policiers au poste de Pallabi à Dacca, après avoir été arrêtés arbitrairement le 9 février 2014. Les policiers ont demandé de l’argent aux deux frères, les ont frappés avec des bâtons et leur ont infligé des coups de pied sous les instructions de l’inspecteur adjoint Jahidur Rahman.
Si Rocky s’est finalement remis de ses blessures, son frère aîné Johnny y a succombé le lendemain de l’arrestation. Rocky et sa famille ont mené une âpre bataille juridique afin d’obtenir justice pour Johnny en vertu de la loi de 2013 relative à la torture, résistant à une série de menaces, d’intimidations et d’offres de règlements informels en dehors du champ d’application de la loi, comme le versement d’une grosse somme d’argent en échange du retrait de leur plainte pour torture. En septembre 2020, un tribunal de première instance de Dacca a déclaré coupable et condamné Jahidur Rahman et deux de ses adjoints à la réclusion à perpétuité pour la mort de Johnny et a ordonné à chacun d’eux de verser 200 000 taka (1 600 euros environ) à titre d’indemnisation à la famille.
Alors que cette somme a été mise en dépôt par deux des agents condamnés, Rocky et sa famille n’ont toujours pas reçu un centime, car la Cour suprême a suspendu le versement de l’indemnité tant qu’une procédure d’appel est en cours.
Jahidur Rahman, l’inspecteur de police condamné dans cette affaire, a également été accusé en juillet 2014 d’avoir soumis à la torture et à des mauvais traitements un autre homme, Mahbubur Rahman Sujon, un commerçant, qui en est mort. Selon la plainte que la famille de ce commerçant a fait parvenir à Amnesty, Jahidur Rahman et d’autres sont entrés de force au domicile de Sujon, ont pillé de l’argent et d’autres objets de valeur et l’ont soumis à la torture, tout en blessant son épouse et son fils de 5 ans. Mahbubur Rahman Sujon a alors été arrêté dans le cadre d’une affaire forgée de toutes pièces en lien avec des armes et emmené au poste de police de Mirpur Model, où il a continué d’être torturé malgré les appels de sa femme et de son fils qui étaient confinés dans une autre pièce d’où ils pouvaient l’entendre hurler de douleur.
D’après un registre général que la mère de Mahbubur Rahman Sujon a déposé auprès de la police, elle s’est vu offrir une importante somme d’argent pour retirer la plainte contre eux. La police a ensuite porté plainte contre elle pour trafic de stupéfiants et elle a été arrêtée en février 2019 et emprisonnée pendant six mois avant d’être libérée sous caution. La plainte pour torture déposée en vertu de la loi de 2013 pour le décès de Mahbubur Rahman Sujon est toujours en instance.
« Il est inadmissible que ces crimes violents soient si rarement, voire jamais, sanctionnés. À la lumière de la très lente avancée vers la justice pour les victimes de torture et leurs familles, le Bangladesh doit créer un fonds d’indemnisation pour les victimes de torture. En outre, il doit ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants afin que, si l’impunité perdure, les victimes puissent porter plainte directement auprès du Comité des Nations unies contre la torture », a déclaré Taqbir Huda.