Tunisie. Le président Kaïs Saïed doit cesser immédiatement sa « chasse aux sorcières »
Les autorités tunisiennes redoublent d’efforts pour réprimer les voix dissidentes et les opposant·e·s supposés du président, avec l’arrestation d’au moins dix personnes au cours d’une semaine marquée par l’agitation politique, a déclaré Amnistie Internationale vendredi 17 février.
Dans des déclarations filmées diffusées sur sa page Facebook officielle le 14 février, le président Kaïs Saïed a qualifié les personnes arrêtées de « terroristes » et les a accusées de conspirer pour affaiblir l’État et de manipuler les prix des produits alimentaires pour fomenter des tensions sociales. Des figures politiques, un ancien ministre du gouvernement et le directeur d’une station de radio de grande écoute font partie des personnes arrêtées, selon leurs avocat·e·s et des membres de leurs familles.
« Arrêter des personnes sur la base de vagues accusations de complot va à l’encontre des droits les plus fondamentaux. Cette dernière série d’arrestations est une tentative délibérée visant à étouffer la contestation, notamment les critiques à l’égard du président, a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnistie Internationale.
« Kaïs Saïed doit mettre fin à cette chasse aux sorcières motivée par des considérations politiques. Les autorités devraient plutôt s’atteler à trouver de vraies solutions pour alléger la souffrance des personnes qui sont le plus touchées par l’effondrement actuel de l’économie tunisienne. »
Dans au moins trois cas, les autorités ont arrêté des personnes au titre d’un article de loi qui pourrait les rendre passibles de la peine de mort. Les autorités n’ont présenté aucune preuve d’un quelconque acte répréhensible commis par les personnes arrêtées dans au moins cinq cas, selon leurs avocat·e·s. Les motifs des autres arrestations restent flous.
Les avocat·e·s et les familles de cinq personnes arrêtées ont décrit une série de perquisitions menées tôt le matin ou tard le soir à leur domicile par la police antiterroriste, qui a déployé jusqu’à 20 agents sur place. Certaines n’ont pas été autorisées à consulter un·e avocat·e pendant au moins 24 heures.
L’arrestation de Khayam Turki, ancien membre du parti d’opposition Ettakatol qui dirige aujourd’hui un groupe de réflexion tunisien, a été très médiatisée. Le 11 février à l’aube, la police antiterroriste a effectué une descente chez lui à Tunis et l’a ensuite interrogé sur ses interactions avec des responsables politiques de l’opposition et des ressortissant·e·s d’autres pays, ainsi que sur une visite supposée de diplomates étrangers à son domicile, a indiqué son avocat à Amnistie Internationale.
Parmi les autres personnalités arrêtées figurent Abdelhamid Jlassi, ancien membre du parti d’opposition Ennahda qui a critiqué ouvertement Kaïs Saïed, et un autre membre d’Ennahda, Nourredine Bhiri. Les avocat·e·s de ce dernier ont expliqué à Amnistie Internationale qu’il avait été arrêté pour avoir tenté de « changer la forme du gouvernement » en raison de commentaires publics appelant à résister contre la dictature que les autorités lui attribuent. Nourredine Bhiri avait auparavant été détenu arbitrairement pendant près de 70 jours au début de l’année 2022, avant d’être libéré sans inculpation.
Au cours de cette semaine, les forces de sécurité ont également arrêté arbitrairement Lazhar Akremi, avocat de renom et figure politique qui a critiqué les autorités dans les médias, et Noureddine Boutar, directeur de Mosaïque FM, une station très écoutée qui a donné la parole à des personnes critiquant Kaïs Saïed.
Selon les informations fournies par son avocat à Amnistie Internationale, Noureddine Boutar a été interrogé quant à la ligne éditoriale de sa station de radio. Le 18 novembre 2022, le président s’est plaint publiquement de la couverture que lui réservait la station en réponse à un journaliste de Mosaïque FM.
Amnistie Internationale a rendu compte en détail de l’accaparement du pouvoir par le président Kaïs Saïed le 25 juillet 2021. Depuis cette date, les autorités ont procédé à des arrestations, ouvert des enquêtes ou engagé des poursuites contre au moins 32 personnes en raison de leurs critiques pacifiques à leur égard.