Sénégal. Les autorités intensifient la répression en amont des élections de 2024
À mesure que l’élection présidentielle de 2024 se rapproche, les autorités sénégalaises intensifient la répression des libertés fondamentales par la limitation de l’espace civique, l’interdiction de manifestations et l’arrestation d’un journaliste et de plusieurs personnalités de l’opposition, a déclaré Amnistie internationale vendredi 17 mars.
« En amont de l’élection présidentielle de 2024, les autorités sénégalaises sont en train d’affaiblir la protection des droits humains dans le pays en réprimant la liberté de la presse et la liberté d’expression et de réunion pacifique, en interdisant des manifestations organisées par des partis d’opposition et en ne respectant pas les droits à la justice, à la transparence et à la vérité des victimes de l’usage d’une force meurtrière, a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnistie internationale.
« Au lieu de réprimer les libertés, elles devraient respecter les droits fondamentaux, arrêter de recourir à une force excessive lors des manifestations, laisser les médias couvrir celles-ci, cesser de détenir arbitrairement des journalistes et des membres de l’opposition et respecter les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Il faut mettre fin immédiatement à cette tendance répressive pour désamorcer les tensions. »
Répression de l’opposition politique
Le 16 mars, Ousmane Sonko, chef du parti d’opposition Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a comparu devant un tribunal de Dakar pour diffamation à la suite d’une plainte au civil déposée contre lui par le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang. Pendant son trajet depuis son domicile, la police a fait usage de gaz lacrymogène et, après une querelle au sujet de son itinéraire, Ousmane Sonko a été extrait de force de son véhicule puis conduit par des policiers jusqu’au tribunal. Au début de l’audience, des affrontements ont éclaté à Dakar entre la police et des manifestant·e·s qui exprimaient leur soutien à Ousmane Sonko. Quelques heures plus tard, le tribunal a ajourné le procès au 30 mars.
Depuis le 15 mars, Ousmane Sonko est bloqué à son domicile par un important déploiement policier, qui a également empêché d’autres personnalités de l’opposition de lui rendre visite. Guy Marius Sagna, député d’opposition, a reçu du gaz lacrymogène tiré par la police le 15 mars, alors qu’il tentait de se rendre chez Ousmane Sonko.
Après l’ajournement du procès, l’opposition a été empêchée d’organiser une conférence de presse par des policiers qui ont restreint l’accès au siège du Parti républicain pour le progrès (PRP), où elle devait se dérouler. En fin de journée, au moins une personne est morte après avoir été renversée par un véhicule conduit par des individus armés, dans la commune des Parcelles Assainies. Dans la soirée, Ousmane Sonko a été hospitalisé dans une clinique privée car il souffrait de vertiges, de maux de tête et de douleurs au bas-ventre à la fin de la journée.
S’il était condamné, Ousmane Sonko pourrait devenir inéligible pour les élections de 2024.
Depuis plusieurs mois, les voix dissidentes émanant de la classe politique et des médias sont réprimées.
Le 9 mars, l’ancien Premier ministre Hadjibou Soumaré a été arrêté pour « diffamation » après avoir demandé au président Macky Sall, dans une lettre ouverte, s’il avait fait un don de 12 millions d’euros à une « personnalité politique française » dont le parti est connu pour utiliser « la haine et le rejet de l’autre » – une allusion à la visite de Marine Le Pen au Sénégal en janvier 2023.
Deux jours avant son arrestation, le gouvernement avait démenti ces allégations en les qualifiant de « lâches et infondées ». Hadjibou Soumaré a été remis en liberté le 13 mars et placé sous contrôle judiciaire.
Le militant Mohamed Samba Djim, membre du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP), a été arrêté à son domicile, à Dakar, le 6 février. Accusé d’avoir financé des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou de provoquer des troubles politiques, il a été placé en détention provisoire. Avant son arrestation, il avait participé à plusieurs campagnes de financement participatif en ligne pour soutenir des membres du Pastef et des fonctionnaires exclus de l’administration actuelle.
Le 7 décembre, Fadilou Keita, membre du cabinet d’Ousmane Sonko, a été arrêté et accusé d’avoir « diffusé de fausses informations » et « insulté les institutions de l’État ». Son arrestation a fait suite à une publication sur Facebook dans laquelle il avait déclaré soupçonner un acte criminel dans l’affaire de la disparition forcée de l’adjudant-chef Didier Badji et du sergent Fulbert Sambou, un officier du renseignement militaire, en novembre. Le corps de Fulbert Sambou a été retrouvé en mer le 23 novembre 2022. Fadilou Keita est toujours détenu et a entamé une grève de la faim le 16 mars.
Médias suspendus et manifestations interdites
Le 3 mars, Pape Ndiaye, journaliste pour Walf TV, a été interrogé et arrêté par la police après avoir parlé à la télévision d’une plainte pour viol déposée contre Ousmane Sonko en février 2021. Il a déclaré que la plupart des procureurs adjoints étaient favorables à un non-lieu dans cette affaire.
Le 7 mars, Pape Ndiaye a été inculpé d’« outrage à magistrat » et de « diffusion de fausses informations », puis placé en détention provisoire. Amnistie internationale considère que sa détention est arbitraire et constitue une violation du droit à la liberté d’expression.
Au cours des derniers mois écoulés, plusieurs manifestations organisées par l’opposition politique ont été interdites sous prétexte qu’elles risquaient de « troubler l’ordre public ». Le 10 février, après l’interdiction par les autorités d’une réunion du Pastef à Mbacké, les manifestations qui ont suivi ont tourné à la violence et des affrontements ont éclaté entre les manifestant·e·s et les forces de sécurité. Parmi les 69 personnes arrêtées lors des manifestations, 54 restaient détenues au début du mois de mars, notamment pour « participation à un rassemblement non autorisé » et « dégradation de biens ».
Le jour des manifestations à Mbacké, la chaîne de télévision privée Walf TV a été interdite d’antenne pendant sept jours par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), accusée d’avoir assuré une couverture « irresponsable » des manifestations violentes.
En outre, près de deux ans après la répression brutale des manifestations qui ont tourné à la violence dans certains endroits en mars 2021, aucune enquête n’a été menée sur la mort de 14 personnes – dont trois enfants – au cours des manifestations. Parmi les personnes décédées, 12 ont été tuées par des tirs des forces de sécurité. En février 2023, deux manifestants ont également été gravement blessés par les forces de sécurité lors de manifestations à Bignona.
« Dans tout le Sénégal, les droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression sont menacés. Il est indispensable que les personnes soupçonnées d’avoir recouru illégalement à la force lors de la répression de manifestations ces dernières années soient traduites en justice et que les droits humains soient réellement respectés, protégés et défendus en vue de l’élection présidentielle de 2024 », a déclaré Samira Daoud.