Russie. Deux ans après l’arrestation d’Alexeï Navalny, des figures de l’opposition ont été muselées, incarcérées ou exilées
Au cours des deux années écoulées depuis les manifestations de masse ayant eu lieu en Russie contre l’arrestation à caractère politique d’Alexeï Navalny, militant d’opposition de premier plan, les autorités russes ont tenté sans relâche de démanteler ce mouvement de protestation et de répandre la peur parmi les personnes défendant les droits humains.
Le Kremlin a attaqué les opposant·e·s politiques, les médias indépendants et les organisations de la société civile sur de nombreux fronts, instrumentalisant la loi afin de procéder à des arrestations s’appuyant sur des accusations fallacieuses, tout en faisant disparaître des organisations de la société civile établies de longue date, afin de les empêcher de mener leur travail vital.
« Au cours des deux années écoulées, le gouvernement russe n’a fait qu’intensifier la chasse aux sorcières qu’il mène contre l’opposition et les organisations de la société civile. Aucun critique, défenseur·e des droits humains ni journaliste indépendant n’est à l’abri des persécutions, des représailles et de la répression », a déclaré Natalia Zviaguina, directrice d’Amnistie internationale Russie.
« Après la tentative d’empoisonnement dont Alexeï Navalny a été victime en 2020 et son arrestation en 2021, les autorités russes se sont employées à détruire la liberté d’expression dans le pays. Ces mesures de répression expéditives et implacables leur ont permis de rapidement faire cesser les manifestations de masse contre l’invasion à grande échelle de l’Ukraine un an plus tard. »
Une répression sans pitié contre Alexeï Navalny et ses collaborateurs
Le 2 février 2021, un tribunal de Moscou a substitué à la peine non privative de liberté d’Alexeï Navalny une peine de deux ans et huit mois d’emprisonnement, réduite par la suite de deux mois. Peu après, les autorités russes ont commencé à démanteler la Fondation anticorruption et la Fondation pour la protection des droits des citoyens, fondées par Alexeï Navalny, et ont fermé leurs bureaux. Le 9 juin 2021, les deux organisations ont officiellement été désignées comme « extrémistes » et ont été arbitrairement interdites.
En mars 2022, Alexeï Navalny a été condamné à neuf ans de prison ; il purgeait déjà une autre peine pour diverses charges à caractère politique, notamment « fraude à particulièrement grande échelle ». Il encourt par ailleurs une peine de prison supplémentaire encore plus lourde car il a aussi été inculpé en septembre 2021 de « création et direction d’une association extrémiste »
Comme si cela ne suffisait pas, les autorités ont ouvert en octobre 2022 une nouvelle enquête pénale contre Alexeï Navalny pour « promotion du terrorisme », « financement et promotion de l’extrémisme » et « réhabilitation du nazisme ». Si Alexeï Navalny est condamné sur la base de ces charges motivées par des considérations politiques, la durée totale de sa peine d’emprisonnement pourrait atteindre 30 ans.
« Les organisations associées à Alexeï Navalny sont considérées comme des ennemies jurées des autorités, et sont devenues la cible d’actions de répression de grande ampleur. La plupart des collaborateurs et collaboratrices d’Alexeï Navalny ont dû fuir le pays », a déclaré Natalia Zviaguina.
Les militant·e·s restés en Russie ont été visés par des poursuites et d’autres représailles. Plusieurs collègues et sympathisant·e·s d’Alexeï Navalny ont été jugés pour « violation des règles sanitaires et épidémiologiques » après leurs appels en faveur de manifestations pacifiques.
Lilia Tchanycheva, ancienne responsable du bureau d’Alexeï Navalny à Oufa, une ville située à 1 400 kilomètres à l’est de Moscou, est devenue la première personne à être arrêtée pour « création et direction d’une association extrémiste » en novembre 2021. Elle se trouve toujours en détention provisoire et encourt une peine de 18 ans de prison.
En décembre 2021, Vadim Ostanine, de Barnaoul, et Xenia Fadeïeva, de Tomsk (deux villes de Sibérie occidentale), ont été accusés d’avoir « établi une association extrémiste » et « créé une organisation caritative portant atteinte à la personnalité et aux droits des citoyen·ne·s ». Cette dernière charge relève d’un article précédemment obscur et rarement invoqué du Code pénal, qui est désormais fréquemment utilisé contre les sympathisant·e·s d’Alexeï Navalny.
En mars 2022, Vadim Ostanine a été placé en détention provisoire, où il se trouve encore à ce jour. L’ancien directeur technique de la chaîne YouTube d’Alexeï Navalny, Daniel Kholodny, a été arrêté en même temps, et se trouve toujours en détention pour « participation à une association extrémiste ».
En décembre 2022, Zakhar Sarapoulov, ancien chef du bureau d’Irkoutsk d’Alexeï Navalny, a été condamné à une année de mise à l’épreuve. En janvier 2023, Elizaveta Bytchkova et Iegor Boutakov, anciens coordonnateurs du mouvement d’Alexeï Navalny à Arkhanguelsk, se sont vu ordonner de limiter leurs déplacements pendant un an - leurs chefs d’accusation ont été réduits après qu’ils ont accepté de coopérer avec l'enquête pénale sur les activités d’Alexeï Navalny.
La menace de poursuites subsiste même en exil
Les collaborateurs d’Alexeï Navalny ayant réussi à fuir dans des pays d’Europe et d’autres régions risquent d’être poursuivis à leur retour en Russie. Leonid Volkov, qui a dirigé le réseau régional d’Alexeï Navalny avant sa dissolution en avril 2021, est accusé de diverses infractions allant de la « création d’une association extrémiste » à la « justification du terrorisme », en passant par l’« implication de mineur·e·s dans des actes dangereux ».
Ivan Jdanov, ancien PDG de la Fondation anticorruption d’Alexeï Navalny, est également visé par des charges en relation avec un prétendu « extrémisme ». En mars 2021, les autorités ont par ailleurs arrêté Iouri Jdanov, son père, ancien fonctionnaire de la région administrative d’Arkhanguelsk, et l’ont accusé d’« abus de pouvoir ». Il a été condamné à trois années d’emprisonnement en février 2022.
Plusieurs autres collaborateurs et collaboratrices d’Alexeï Navalny, notamment la porte-parole Kira Iarmych, Lioubov Sobol, Georguy Albourov, Rouslan Chaveddinov, et l’avocat Viatcheslav Guimadi, sont recherchés pour « participation à une association extrémiste » ou d’autres « infractions » présumées. Certaines de ces personnes ont par ailleurs été inculpées de « diffusion délibérée de fausses informations au sujet des forces armées russes » et de « justification du terrorisme » en août 2022.
Outre le démantèlement du mouvement d’Alexeï Navalny, les autorités russes s’en sont également prises aux mouvements Open Russia et Vesna (Printemps), ont arrêté et incarcéré des figures d’opposition de premier plan et des militant·e·s anti-guerre, et ont dissous le groupe Memorial, une organisation iconique de la défense des droits humains en Russie. Les autorités ont aussi attaqué le très respecté Groupe Helsinki de Moscou, fermé des médias indépendants, et favorisé la progression de la censure et des discours militaristes dans les institutions scolaires et culturelles.
« Les répercussions négatives de la campagne répressive menée contre la liberté d’expression en Russie semblent sans fin, et pourtant les militant·e·s russes du pays et à l’étranger continuent à s’organiser pour défendre les droits humains et s’opposer à l’invasion de l’Ukraine par la Russie », a déclaré Natalia Zviaguina.
« Alexeï Navalny et ses collègues privés de liberté pour leur militantisme pourtant pacifique doivent être relâchés immédiatement et sans condition, et toutes les charges retenues contre eux doivent être abandonnées. La communauté internationale doit renforcer son soutien en faveur de la société civile russe, qui a été terriblement meurtrie mais est encore capable de déployer des trésors de résilience, de courage et de persévérance. »