Liban. Il faut enquêter sur l’attaque visant les manifestant·e·s de la Marche pour les libertés
Les autorités libanaises doivent enquêter d’urgence sur la violente attaque préméditée le 30 septembre lors de la Marche pour les libertés, organisée par plus de 24 associations de la société civile pour protester contre la récente répression des libertés personnelles et politiques au Liban, a déclaré Amnistie Internationale le 3 octobre 2023. L’enquête doit aussi se pencher sur le fait que les forces de sécurité n’ont pas dûment protégé les manifestant·e·s face à cette attaque.
Les preuves vidéos et les témoignages de trois témoins oculaires indiquent que les membres des Forces de sécurité intérieure présents sur les lieux ne sont pas intervenus pour stopper les nombreux assaillants venus à moto, qui ont lancé des pierres sur les manifestant·e·s, vociféré des insultes homophobes et les ont agressés physiquement lors d’échauffourées qui ont duré près d’une heure. Deux manifestant·e·s au moins ont été hospitalisés pour des blessures au visage et aux yeux.
« Il faut enquêter d’urgence sur cette attaque contre des manifestant·e·s qui exerçaient uniquement leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, notamment sur le fait que les forces de sécurité ne les ont pas protégés : leur réaction totalement inadéquate est d’autant plus choquante que l’attaque lancée contre les manifestant·e·s pacifiques fut très violente, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme régional Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnistie Internationale.
« Ne pas enquêter sur ces faits marquerait une forme de tolérance à l’égard de l’agression et encouragerait de futurs auteurs à s’en prendre à des personnes en raison de l’expression de leur identité et de leurs croyances présumées. Les autorités libanaises et le ministère de l’Intérieur ont l’obligation de veiller à ce que les manifestant·e·s pacifiques ne subissent pas d’intimidation, de harcèlement ni d’agressions simplement parce qu’ils revendiquent leurs droits. »
Aucun des agresseurs n’a été arrêté, alors que certains se sont ouvertement vantés de leurs actes sur les réseaux sociaux et menacent la société civile de nouvelles actions si d’autres rassemblements étaient organisés en faveur des droits et des libertés de tous.
La manifestation prévue ne faisait pas mention des droits des LGBTI. Cependant, depuis quelques mois, des groupes au Liban assimilent l’emploi des termes « libertés » et « droits » à de la « propagande » LGBTI et réclament la criminalisation de toute promotion des droits des personnes LGBTI au Liban.
De nombreux assaillants attendaient les manifestant·e·s lorsqu’ils sont arrivés au point de rendez-vous au centre-ville de Beyrouth pour démarrer la marche. Les échauffourées entre les deux groupes ont duré une heure. Les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont tenté en vain de faire tampon entre eux, sans rien faire pour stopper l’attaque.
Au bout d’une heure, les FSI ont caché un groupe de militantes féministes et de journalistes dans un fourgon pour les protéger, mais les assaillants ont continué de frapper le véhicule. Les militantes et les journalistes ont par la suite réussi à s’échapper, mais n’auraient jamais dû être la cible d’une telle attaque.
Dans une vidéo analysée par Amnistie Internationale, on peut voir trois membres des FSI frapper un manifestant qui leur demandait de stopper les assaillants.
Dans deux autres vidéos, des membres des FSI harcèlent des journalistes verbalement et physiquement et leur ordonnent d’arrêter de filmer.
Dans plusieurs vidéos, on voit des membres des FSI tenter timidement de séparer les manifestant·e·s des assaillants, sans grand succès.
Ni le ministre de l’Intérieur ni les FSI n’ont annoncé la tenue d’une enquête sur ces événements. Le 2 octobre, le ministre de l’Intérieur a déclaré que la manifestation n’était pas autorisée et que les forces de sécurité, ainsi que les forces militaires, avaient « dûment géré la situation ». Toutefois, l’absence de notification ne dispense pas les autorités de leur obligation de protéger les participant·e·s à un rassemblement.
Plusieurs manifestant·e·s qui ont été attaqués et frappés ont déclaré qu’ils envisageaient de porter plainte, mais soupesaient encore les risques qu’ils pourraient encourir. Selon un avocat qui soutient les manifestant·e·s, les gens « ont peur à juste titre ».
Un manifestant roué de coups a indiqué qu’il ne porterait pas plainte car il avait peur d’être pris pour cible, sa photo ayant largement circulé sur les réseaux sociaux : « Je crains que le fait de porter plainte ne provoque les groupes extrémistes, alors que nous vivons dans un État défaillant. »
Les discours contre les libertés se multiplient
Depuis juin 2022, et encore plus ardemment depuis juillet 2023, des leaders politiques et religieux au Liban intensifient leur campagne contre la communauté LGBTI. En juin 2022, le ministre de l’Intérieur a interdit tous les rassemblements prévus à l’occasion du Mois des fiertés, au motif qu’il vise à « promouvoir la perversion sexuelle ».
Plus récemment, le responsable d’un grand parti politique a appelé à tuer les personnes LGBTI, le ministre de la Culture a tenté d’interdire le film Barbie au motif qu’il allait « à l’encontre de la morale et des valeurs » et a demandé aux médias d’employer le terme « perversion sexuelle » pour décrire l’homosexualité. Le ministère de l’Éducation a aussi interdit un jeu de société dans les écoles parce qu’il représentait un arc-en-ciel.
En août, un groupe chrétien d’extrême-droite appelé Jnoud El Rab (« Soldats du Seigneur ») a attaqué un bar accueillant la communauté LGBTI pendant un spectacle de drag queen ; ils ont détruit du mobilier, frappé des clients et menacé le propriétaire de revenir s’ils continuaient de « promouvoir l’homosexualité ». D’après le propriétaire du bar, des membres des FSI arrivés sur les lieux ont empêché les agresseurs d’entrer et ont aidé certains clients à partir, mais n’ont pas stoppé l’attaque ni arrêté aucun des assaillants. Personne n’a eu à répondre de ces faits.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Liban a ratifié en 1972, affirme que chacun a le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion, sans discrimination.