Kosovo. Les autorités manquent à leur devoir envers les victimes de violence domestique
Les autorités du Kosovo manquent à leur devoir envers les victimes de violence familiale, écrit Amnistie internationale le 31 août 2023 dans un nouveau rapport, malgré les grandes manifestations et les appels à l’action face au nombre important de féminicides enregistrés ces dernières années.
Intitulé ‘From paper to practice: Kosovo must keep its commitments to domestic violence survivors’, ce rapport relate que les victimes de violence domestique, majoritairement des femmes et des filles, se heurtent à de nombreux obstacles pour obtenir une protection, avoir accès à la justice et bénéficier d’aides. Les autorités kosovares doivent prendre de nouvelles mesures pour combattre ces violences et veiller à protéger les droits des victimes et à prendre en compte leurs préoccupations premières. Ainsi, il est essentiel qu’elles impliquent les victimes dans toutes les prises de décision qui les concernent.
« Les victimes de violence familiale au Kosovo se heurtent à des obstacles tous azimuts lorsqu’elles tentent de s’échapper de situations de violence. La réponse des autorités se concentre trop exclusivement sur les poursuites pénales. En effet, la plupart des victimes doivent signaler les violences à la police afin de pouvoir se rendre dans des centres d’accueil. Cependant, les mesures en place pour les aider à vivre de manière indépendante loin des violences ne sont pas suffisantes. Et celles qui appartiennent à des groupes marginalisés ne sont pas prises en compte », a déclaré Lauren Aarons, directrice adjointe de programme et responsable de l’équipe Genre à Amnistie internationale.
Au Kosovo, ces dernières années, des mesures considérables ont été prises pour renforcer la législation et améliorer la politique en vue de répondre aux besoins des victimes. En mars 2023, l’Assemblée de la République du Kosovo a approuvé en première lecture un nouveau projet de loi sur la prévention et la protection contre les violences familiales, faites aux femmes et liées au genre. Ce texte, largement harmonisé avec la Convention d’Istanbul et d’autres conventions internationales relatives aux droits humains, englobe une politique générale de lutte contre les violences liées au genre.
Amnistie internationale a toutefois relevé de nombreuses lacunes au niveau de l’aide de l’État destinée aux victimes de violences au foyer et l’absence de mesures pour les impliquer dans les prises de décisions, ce qui affaiblit leurs droits.
Parmi ces lacunes citons les obstacles à l’indemnisation et à d’autres droits légaux tels que la pension alimentaire, ainsi que des services de soutien inadéquats pour les victimes qui quittent les centres d’accueil. Elles racontent également les préjugés de la part de policiers, de travailleurs sociaux surchargés, de défenseurs des victimes inefficaces ou absents, et du manque d’informations sur leurs droits ou les recours et les aides disponibles. Les victimes issues de minorités ethniques comme les Serbes, les Roms, les Ashkalis et les « Égyptiens » originaires du Kosovo, ainsi que les LGBTI, se heurtent à d’autres obstacles en raison des formes croisées de discrimination dont elles font l’objet.
Les obstacles à l’accès à l’aide
Les femmes au Kosovo sont en butte à de nombreux freins socioéconomiques qui les empêchent de quitter des situations de violences et de vivre loin de la peur et de la violence sur le long terme. En 2017, seules 17 % des femmes au Kosovo avaient un emploi légal, comparé à 50 % des hommes et, en 2021, 18 % seulement des propriétés étaient détenues par des femmes, comparé à 79 % par des hommes. Elles sont souvent exclues de l’héritage familial et le partage des biens entre époux en cas de divorce tend également à les désavantager.
Si les victimes tentent de quitter une situation abusive, elles bénéficient au mieux d’une protection initiale et d’une aide à court terme, mais sont ensuite livrées à elles-mêmes pour tenter de reconstruire leur vie, avec peu d’aide pour accéder à un logement, à des qualifications professionnelles ou à un emploi.
« Les autorités du Kosovo se sont engagées à mettre les victimes au centre de leur réponse aux violences domestiques. Il est temps qu’elles passent à l’action et honorent leur engagement. Cela suppose d’allouer des ressources suffisantes, mais aussi d’écouter les victimes et de travailler avec elles pour élaborer des réponses plus globales et plus respectueuses des droits », a déclaré Lauren Aarons.
Ana*, victime originaire de Pristina, a déclaré à Amnistie internationale : « Ce que les institutions pourraient faire, c’est informer les femmes, avant qu’il ne leur arrive quoi que ce soit, qu’en cas de problème, l’État leur ouvrira ses portes et les soutiendra : vous n’aurez pas besoin de vous inquiéter pour vos enfants, pour l’endroit où vous irez... Même si votre famille ne vous aide pas, si vous ne pouvez pas retourner chez votre père, les institutions seront à vos côtés. »
Les campagnes d’information financées par l’État s’attachent quasi exclusivement à encourager les victimes à signaler les cas à la police. Pourtant, lorsqu’elles le font, elles sont souvent face à un traitement irrespectueux. Des victimes ont expliqué que certains policiers leur ont demandé pourquoi elles étaient venues au poste, tandis que d’autres tentaient de les culpabiliser pour avoir dénoncé leur agresseur.
L’analyse par Amnistie internationale d’un échantillon représentatif des décisions des cours pénales dans les affaires de violences domestiques a révélé que, bien qu’ils en aient le pouvoir en vertu de la loi, les tribunaux n’ordonnent jamais aux auteurs de verser des indemnités aux victimes dans le cadre des procédures pénales. Cette analyse a également montré que les auteurs de violences domestiques sont condamnés à des peines qui ne sont pas à la hauteur de la gravité de l’infraction.
Le Kosovo a été ébranlé par une série de féminicides ces dernières années. Ces homicides ont déclenché des manifestations réclamant justice et réparations, notamment des sentences proportionnelles à la gravité des faits.
Le 14 mars 2021, Sebahate Morina a été tuée par son mari. La Cour constitutionnelle a par la suite statué que les autorités de l’État n’avaient pas dûment protégé Morina, bafouant son droit à la vie. Le 4 août 2023, les deux hommes responsables de l’assassinat brutal de Marigona Osmani, 18 ans, en août 2021, ont été condamnés : Dardan Krivaqa à la réclusion à perpétuité pour meurtre avec circonstances aggravantes, Arbër Sejdiu à 15 ans de prison pour avoir aidé à commettre ce crime.
« Les citoyennes et les citoyens au Kosovo descendent dans les rues et exigent que des mesures soient prises pour empêcher que d’autres femmes ne soient tuées. Les autorités du pays ont une occasion en or de faire la différence, en écoutant les victimes et les manifestant·e·s, porteurs de solutions. Leurs engagements juridiques doivent s’accompagner des actions concrètes nécessaires pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes », a déclaré Lauren Aarons.
* Son prénom a été modifié pour préserver son anonymat.