La communauté internationale doit se tenir au côté des femmes et des filles qui souffrent de l’intensification de l’oppression
Les autorités en Iran intensifient considérablement la répression des femmes et des filles iraniennes qui défient la législation dégradante imposant le port du voile, a déclaré Amnistie internationale le 26 juillet 2023.
Dans l’analyse détaillée qu’elle a rendue publique le 26 juillet, l’organisation met en évidence l’aggravation de la répression exercée dans tout le pays par les autorités contre les femmes et les filles qui choisissent de ne pas porter le voile dans les lieux publics. Ainsi, le 16 juillet, le porte-parole de la police iranienne, Saeed Montazer Al Mahdi, a annoncé le retour des patrouilles policières chargées de faire respecter l’obligation du port du voile et a menacé d’engager des poursuites contre les femmes et les filles qui défient cette obligation. Cela a coïncidé avec l’apparition sur les réseaux sociaux de vidéos montrant des femmes violemment agressées par des fonctionnaires à Téhéran et à Rasht, et les forces de sécurité en train de lancer des gaz lacrymogènes sur des personnes qui aident des femmes à échapper à l’arrestation à Rasht.
Les autorités ont annoncé que depuis le 15 avril 2023, plus d’un million de femmes ont reçu des SMS les prévenant que leur véhicule risquait de leur être confisqué après qu’elles eurent été photographiées alors qu’elles ne portaient pas le voile dans leur voiture. De plus, d’innombrables femmes ont vu leur inscription à l’université suspendue ou annulée et se sont vu interdire de participer aux examens et d’utiliser les services bancaires et les transports publics. Des centaines de commerces ont été fermés à titre de sanction parce qu’ils n’avaient pas fait respecter l’obligation du port du voile. L’intensification de la répression met en évidence le caractère douteux de précédentes déclarations des autorités iraniennes concernant la suppression de la police des mœurs, alors que des annonces officielles indiquent au contraire leur retour dans la rue en Iran.
« La police des mœurs est de retour en Iran. Les autorités ne trompent personne lorsqu’elles retirent l’insigne de la police des mœurs sur les uniformes et les camionnettes des patrouilles, mais que parallèlement elles encouragent les partisans de l’oppression par la République islamique et de la soumission des femmes et des filles à participer aux mêmes violences que celles qui ont tué Mahsa Zhina Amini en toute impunité. La répression observée actuellement est renforcée par les technologies de surveillance de masse qui sont capables de révéler l’identité des femmes qui ne portent pas le voile dans leur voiture ou dans des lieux où elles circulent à pied, a déclaré la secrétaire générale d'Amnistie internationale, Agnès Callamard.
« L’intensification de la répression visant les femmes qui ne respectent pas l’obligation du port du voile reflète le mépris des autorités iraniennes pour la dignité humaine, les droits des femmes et des filles, le respect de la vie privée et la liberté d’expression, de religion et de croyance. Elle souligne également une tentative désespérée des autorités qui cherchent à réaffirmer leur domination et leur pouvoir sur les personnes qui ont osé s’opposer à plusieurs décennies d’oppression et d’inégalités lors du mouvement de révolte « Femme. Vie. Liberté ».
Une femme dans la province d’Esfahan qui a reçu un SMS lui ordonnant d’immobiliser sa voiture pendant 15 jours parce qu’elle conduisait sans porter le foulard, a déclaré à Amnistie internationale : « Émotionnellement et psychologiquement, toutes ces menaces que [les autorités] lancent ont un impact très négatif sur nous […] La République islamique veut nous montrer qu’elle fera tout pour garantir l’application de l’obligation du port du voile […] Ils veulent faire croire à la communauté internationale qu’ils renoncent à la violence alors qu’en réalité ils continuent de mener ces actions discrètement. Ils nous font vraiment vivre dans la peur. »
Le 14 juin 2023, le porte-parole de la police iranienne a annoncé que depuis le 15 avril 2023, la police avait envoyé près d’un million de SMS contenant des messages d’avertissement adressés à des femmes photographiées sans voile dans leur voiture, 133 174 SMS ordonnant l’immobilisation du véhicule pour un certain temps, et qu’elle avait confisqué 2 000 voitures et déféré à la justice plus de 4 000 « récidivistes » à travers le pays. Il a ajouté que 108 211 signalements relatifs à cette obligation du port du voile avaient été effectués concernant des « infractions » observées dans des commerces et que 300 « délinquantes » avaient été identifiées et déférées à la justice.
Dans l’objectif de codifier et d’intensifier davantage encore cette répression, les autorités judiciaires et de l’exécutif ont soumis au Parlement le 21 mai 2023 le « projet de loi visant à soutenir la culture de la chasteté et du hijab ». Ce texte prévoit que les femmes et les filles qui apparaissent sans voile dans les espaces publics et sur les réseaux sociaux ou qui montrent « une partie dénudée de leur corps ou portent des vêtements légers ou collants » s’exposent à tout un ensemble de sanctions qui porteront gravement atteinte à leurs droits fondamentaux, notamment à leurs droits sociaux et économiques. Cela comprend des amendes, la confiscation des voitures et des appareils de communication, l’interdiction de conduire, des déductions sur le salaire ou les prestations liées à l’emploi, le licenciement et l’interdiction d’utiliser les services bancaires.
Le projet de loi propose également de condamner les femmes et les filles déclarées coupables d’avoir enfreint la législation sur le port du voile « de façon systémique ou en collusion avec des services de renseignement ou de sécurité étrangers » à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’à une interdiction de voyager et à une assignation à résidence dans un lieu désigné.
Les dirigeant·e·s d’institutions publiques ou d’entreprises privées qui permettent à des employées et à des clientes de ne pas porter le voile dans leurs locaux s’exposeraient en outre à des peines allant de la fermeture de l’établissement à de longues peines d’emprisonnement et à une interdiction de voyager.
Le projet de loi propose des sanctions pour les athlètes, les artistes et les autres personnalités publiques ne respectant pas l’obligation du port du voile, qui comprennent l’interdiction de participer à des activités professionnelles, l’emprisonnement, la flagellation et des amendes.
Le 23 juillet 2023, une commission parlementaire a indiqué qu’elle soumettait une version révisée du projet de loi comprenant 70 articles au Parlement iranien. La version révisée de ce texte n’a pas été rendue publique.
Parallèlement, les autorités utilisent le Code pénal islamique pour engager des poursuites et infliger des peines dégradantes à des femmes qui sont apparues dans des lieux publics sans leur voile. Amnistie internationale a examiné les décisions rendues contre six femmes, en juin et juillet 2023, les obligeant à assister à des séances de conseil sur le « trouble de la personnalité antisociale », à laver des corps à la morgue ou à nettoyer des bâtiments publics.
Ces atteintes aux droits des femmes et des filles s’accompagnent de déclarations haineuses faites par des fonctionnaires et des médias publics, qui qualifient le fait de ne pas porter le voile de « virus », de « maladie sociale » ou encore de « trouble » ou de « dépravation sexuelle ».
Les autorités iraniennes doivent abolir l’obligation du port du voile, annuler toutes les déclarations de culpabilité et toutes les peines prononcées contre des femmes ou des filles qui ont défié cette obligation, abandonner toutes les charges retenues contre celles qui encourent des poursuites, et libérer sans condition toutes celles qui ont été incarcérées parce qu’elles n’ont pas respecté l’obligation du port du voile. Les autorités doivent abandonner les projets visant à sanctionner des femmes et des filles parce qu’elles ont exercé leurs droits à l’égalité, au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, de religion et de croyance.
« La communauté internationale ne doit pas se contenter d’observer sans rien dire alors que les autorités iraniennes intensifient l’oppression à laquelle elles soumettent les femmes et les filles. Les États devraient réagir non seulement avec des déclarations publiques et des interventions diplomatiques énergiques, mais aussi en actionnant les recours juridiques permettant de mettre en cause la responsabilité des dirigeants iraniens qui ont ordonné, planifié et commis des violations généralisées et systématiques des droits fondamentaux des femmes et des filles avec l’application de l’obligation du port du voile. Les gouvernements doivent tous faire tout ce qui est en leur pouvoir afin d’aider les femmes et les filles à fuir la persécution liée au genre et les graves violations des droits humains commises en Iran, veiller à ce qu’elles puissent accéder rapidement et en toute sécurité à la procédure de demande d’asile, et à ce qu’elles ne soient en aucun cas renvoyées de force en Iran », a déclaré Agnès Callamard.
*Note aux rédacteurs : la « police des mœurs » iranienne (gasht-e ershad en persan) est une unité spéciale de la Force de l'ordre de la République islamique d'Iran (FARAJA).