Égypte. Les autorités durcissent la répression à l’approche de l’élection présidentielle
Les autorités égyptiennes intensifient la répression de la dissidence et s’en prennent aux opposant·e·s politiques, aux manifestant·e·s pacifiques et autres détracteurs à l’approche de l’élection présidentielle, a déclaré Amnistie internationale le 23 novembre 2023. L’élection se déroulera entre le 10 et le 12 décembre, dans un contexte de détérioration de la crise financière et économique, et alors que les candidat·e·s de l’opposition ne sont pas autorisés à se présenter.
Depuis le 1er octobre, au moins 196 personnes ont été arrêtées et interrogées, parce qu’elles sont soupçonnées d’avoir participé à des manifestations non autorisées, pris part à des activités liées au terrorisme et diffusé de « fausses informations ». L’opposant politique égyptien et ancien candidat à la présidence, Ahmed Altantawy, ainsi que des membres de sa campagne électorale, font également l’objet de poursuites, à titre de représailles pour avoir exercé leurs droits à la participation politique et à la liberté d’expression et d’association. La prochaine audience dans cette affaire doit avoir lieu le 28 novembre.
« Une fois de plus, les autorités égyptiennes dévoilent leur intolérance totale à l’égard du moindre murmure de dissidence. Dans leur étouffante toile de répression sont pris au piège des individus qui osent envisager un avenir politique alternatif, mais aussi ceux qui, en exprimant pacifiquement leur solidarité pro-palestinienne, s’écartent de la rhétorique validée par l’État et des zones de manifestation désignées, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et de l’action de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Elles doivent mettre un terme à leur campagne de répression contre la dissidence et libérer de suite toutes les personnes arbitrairement détenues pour avoir exercé sans violence leurs droits fondamentaux. À l’approche de l’élection présidentielle en décembre, il est essentiel de lever les lourdes restrictions imposées aux droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. »
Répression contre les partisans de l’ancien candidat à la présidence
Le 7 novembre, s’est ouvert le procès d’Ahmed Altantawy, de son directeur de campagne Mohamed Abu al Dayyar et de 21 partisans, en lien avec ses démarches infructueuses visant à recueillir suffisamment de soutiens publics pour se présenter à l’élection présidentielle.
Inculpés au titre de la Loi n° 45 de 2014, qui régit l’exercice des droits politiques, Ahmed Altantawy et Mohamed Abu al Dayyar sont accusés d’avoir comploté et incité d’autres personnes à diffuser du matériel électoral sans autorisation. Les autres prévenus sont accusés d’avoir imprimé et distribué ces documents. En effet, le 8 octobre, dans le cadre de la campagne d’Ahmed Altantawy, des appels ont été lancés pour inciter ses partisans à remplir des formulaires de soutien en ligne. Ceux qui ont voulu enregistrer leur soutien en sa faveur auprès de bureaux de notaires se sont heurtés à des obstacles et à des actes d’intimidation.
S’ils sont reconnus coupables, ils risquent des peines d’emprisonnement d’un an et/ou des amendes, ainsi qu’une interdiction de briguer un mandat politique pendant cinq ans. Ahmed Altantawy et son directeur de campagne demeurent libres, tandis que leurs 21 coaccusés se trouvent en détention provisoire.
Ce procès s’inscrit dans le sillage de mois de harcèlement et d’intimidation visant la campagne d’Ahmed Altantawy, ses proches et ses partisans. Le 13 octobre, il a annoncé qu’il n’était pas parvenu à rassembler les signatures du fait d’obstructions institutionnelles, allégations qu’a rejetées l’Autorité nationale électorale. Une semaine plus tard, le 21 octobre, il a publié les noms de 137 membres de sa campagne qui seraient maintenus en détention arbitraire.
En septembre, Citizen Lab a confirmé que le téléphone d’Ahmed Altantawy était infecté par le logiciel espion Predator, pointant avec un « degré de confiance élevé » la participation du gouvernement.
Répression contre les manifestations pacifiques
Entre le 20 et le 29 octobre, les forces de sécurité égyptiennes ont arrêté arbitrairement des dizaines de personnes, dont des mineurs, en lien avec les manifestations de solidarité avec la Palestine dans les gouvernorats du Caire, de Gizeh, d’Alexandrie et de Dakahlia.
Les manifestations de masse pro-palestiniennes coordonnées dans toute l’Égypte avaient été initialement approuvées par les partis politiques pro-gouvernementaux et d’autres acteurs dans des zones désignées, mais les forces de sécurité ont réagi en usant de tactiques bien rodées de répression violente des manifestations pacifiques lorsque les participants ont critiqué le président ou réclamé liberté et justice sociale, ou lorsque des rassemblements spontanés se sont formés en dehors des zones désignées.
La plupart des arrestations ont eu lieu aux alentours de l’emblématique place Tahrir le 20 octobre, les forces de sécurité ayant bouclé la zone et ordonné à la foule de se disperser, au milieu de scènes chaotiques où des hommes en civil frappaient les manifestants à coups de matraques et de bâtons. Le 27 octobre, après les prières du vendredi à la mosquée al Azhar, des hommes en civil ont également frappé des manifestants qui refusaient d’obéir aux ordres de dispersion.
Le 21 octobre, les forces de sécurité ont également arrêté quatre personnes à leur domicile au Caire et à Gizeh, parce qu’elles avaient diffusé des vidéos de manifestations sur les réseaux sociaux. Ali Mohamed Ali Abo Al Majd, étudiant à l’université, a été arrêté à son domicile à Gizeh et a disparu de force pendant une semaine avant d’être interrogé par le service du procureur général de la sûreté de l’État (SSSP). Cet étudiant et au moins 56 autres manifestants sont toujours en détention provisoire dans l’attente d’enquêtes sur des accusations liées au terrorisme, à la participation à des rassemblements non autorisés portant atteinte à la sécurité nationale et à l’ordre public, et au vandalisme, selon des organisations égyptiennes de défense des droits humains. Au moins six autres sont toujours victimes de disparitions forcées.
Ceux qui ont subi une disparition forcée ont été détenus dans les camps des Forces centrales de sécurité (police antiémeutes) ou au siège de l’Agence nationale de sécurité pendant des périodes allant jusqu’à sept jours.
Le 15 octobre, un rassemblement pacifique d’enseignants organisé devant le ministère de l’Éducation a été violemment dispersé ; ils protestaient contre leur exclusion des affectations, suite aux nouvelles exigences imposées aux candidats à un poste dans la fonction publique de suivre un cours de six mois à l’académie militaire, qui, selon les participants, englobait des cours sur la « sécurité nationale » et des tests physiques. Certains candidats auraient été exclus pour des raisons de sécurité, de grossesse ou de surpoids. Lors de ces manifestations, 14 enseignants ont été arrêtés et restent arbitrairement détenus dans l’attente d’enquêtes sur des accusations d’appartenance à un groupe terroriste, de diffusion de « fausses informations » ou d’utilisation abusive des réseaux sociaux.
Lors d’un autre événement le 23 octobre, l’armée a tiré illégalement à balles réelles pour disperser des centaines de manifestants pacifiques qui avaient organisé des sit-in à Rafah, parce qu’ils souhaitent pouvoir retourner dans leurs villes et villages dans le nord du Sinaï, d’où ils ont été déplacés de force depuis 2014 en raison d’opérations militaires menées contre des groupes armés. Selon l’organisation de défense des droits Sinai Foundation for Human Rights, le tribunal militaire d’Ismailiya a ordonné la détention provisoire, dans l’attente d’une enquête, d’au moins 47 personnes arrêtées arbitrairement en marge des manifestations.