Canada. Le rapport d’Amnistie retrace la campagne de criminalisation et de surveillance illégale que subissent depuis des années les défenseur·e·s du droit à la terre Wet’suwet’en
Le nouveau rapport d’Amnistie internationale retrace la campagne de violence, de harcèlement, de discrimination et d’accaparement de terres menée depuis des années contre les défenseur·e·s des terres autochtones des Wet’suwet’en qui s’opposent à la construction du pipeline de gaz naturel liquéfié de Coastal GasLink (CGL) à travers leur territoire ancestral non cédé, sans leur consentement libre, préalable et éclairé. La publication de ce rapport coïncide avec le 27e anniversaire du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique, une décision qui réaffirmait le droit coutumier des Wet’suwet’en.
Intitulé Chassé·e·s de nos terres pour les avoir défendues. Criminalisation, intimidation et harcèlement des défenseur·e·s du droit à la terre Wet’suwet’en, ce rapport se penche sur les violations des droits humains infligées aux membres de la Nation des Wet’suwet’en et à leurs sympathisant·e·s par les autorités du Canada et de Colombie-Britannique, CGL Pipeline Ltd. et TC Energy, les entreprises qui construisent le gazoduc, et Forsythe Security, entreprise de sécurité privée employée par CGL Pipeline Ltd. Fondé en partie sur les témoignages concernant quatre raids violents et de grande ampleur effectués par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur le territoire des Wet’suwet’en, il conclut que les défenseur·e·s du droit à la terre des Wet’suwet’en et leurs sympathisant·e·s ont été arrêtés arbitrairement pour avoir défendu leurs terres et exercé leurs droits en tant que peuple autochtone et leur droit à la liberté de réunion pacifique.
« Les actions entreprises contre les défenseur·e·s du droit à la terre Wet’suwet’en et leurs sympathisant·e·s s’inscrivent dans le cadre des démarches inquiétantes et concertées des gouvernements du Canada et de Colombie-Britannique en vue d’éliminer les obstacles à la construction du gazoduc de CGL sur des terres ancestrales, non cédées », a déclaré Ana Piquer, directrice du programme Amériques à Amnistie internationale.
« L’État doit mettre fin immédiatement au harcèlement, à l’intimidation, à la surveillance illégale et à la criminalisation des défenseur·e·s des terres des Wet’suwet’en et faire en sorte que la GRC et les services de sécurité associés quittent le territoire de la Nation Wet’suwet’en. »
« Depuis l’époque de la colonisation, les peuples autochtones du Canada ont subi un ensemble de politiques gouvernementales visant à les déposséder de leurs territoires et à les assimiler à la société coloniale », a déclaré Ketty Nivyabandi, secrétaire générale d’Amnistie internationale Canada (section anglophone).
« Forcer la construction du gazoduc sans le consentement libre, préalable et éclairé de la Nation, tout en criminalisant les défenseur·e·s des terres qui exercent leurs droits, n’est pas une injustice isolée, mais s’inscrit dans la violence coloniale du Canada à l’égard des peuples autochtones. »
Injonction du tribunal
L’injonction demandée par CGL Pipeline Ltd. et accordée par la Cour suprême de Colombie-Britannique sert de justification légale aux opérations de la GRC et à d’autres formes de criminalisation que subissent les défenseur·e·s du droit à la terre Wet'suwet'en et leurs sympathisant·e·s. En décembre 2019, un juge a accordé une injonction interlocutoire leur interdisant de bloquer le chemin de service forestier Morice sur le territoire des Wet'suwet'en. Cette injonction comporte une clause d’exécution « autorisant la GRC à arrêter toute personne dont elle a des motifs raisonnables et probables de croire qu’elle contrevient à l’injonction ». Amnistie internationale considère que cette injonction restreint de manière excessive les droits fondamentaux de la Nation Wet’suwet’en à l’autonomie et au contrôle de ses territoires.
« Du fait de cette injonction très générale, plus de 75 membres de la Nation Wet’suwet’en et autres défenseur·e·s du droit à la terre ont été arrêtés, uniquement pour avoir exercé leurs droits en tant que peuple autochtone et leur droit à la liberté de réunion pacifique », a déclaré France-Isabelle Langlois, directrice exécutive d’Amnistie internationale Canada francophone.
« Amnistie internationale demande aux autorités du Canada et de Colombie-Britannique de veiller à ce que les injonctions ne servent pas à restreindre les droits des populations autochtones et à ce que les accusations d’outrage portées à l’encontre des Wet’suwet’en et d’autres défenseur·e·s du droit à la terre, soient abandonnées sur-le-champ. »
Les raids de la Gendarmerie royale du Canada étaient disproportionnés
Amnistie internationale a établi que la nature des tactiques utilisées par la GRC durant les quatre opérations militarisées menées contre les défenseur·e·s du droit à la terre Wet’suwet’en n’étaient pas proportionnées à la situation à laquelle elles répondaient, car rien n’indiquait qu’ils avaient usé de violence ou représentaient une menace.
Lors de la première opération très médiatisée, en janvier 2019, impliquant une cinquantaine d’agents lourdement armés, des hélicoptères et des drones de surveillance, la GRC a arrêté arbitrairement 14 défenseur·e·s du droit à la terre qui, dans l’exercice de leurs droits en tant que membres d’un peuple autochtone et de leur droit de se réunir pacifiquement, bloquaient le chemin du service forestier Morice au point de contrôle de Gidimt'en.
Lors des opérations suivantes, en février 2020 et novembre 2021, la GRC a déployé des dizaines d’agents armés de fusils à lunette semi-automatiques, avec des chiens, des bulldozers et des hélicoptères. Les défenseur·e·s des terres ont déclaré avoir été agressés lors des arrestations, et ont signalé des cas de policiers portant des masques, refusant de s’identifier, détruisant leurs affaires et coupant les canaux de communication entre eux. « Les [policiers] tiraient les hommes autochtones par les cheveux, a expliqué à Amnistie internationale Sleydo’ (Molly Wickham), cheffe de Maison Cas Yikh, du clan de Gidimt’en. Ils se sont acharnés sur deux d’entre eux, leur assénant des coups de pied et des coups de poing à la tête. »
Les défenseur·e·s du droit à la terre ont été placés en garde à vue pendant quatre à cinq jours avant leur audience de libération sous caution. Plusieurs personnes interrogées ont déclaré à Amnistie internationale que les défenseur·e·s autochtones, notamment Wet’suwet’en, ont été traités plus sévèrement que les autres. Selon le Chef Na’Moks, chef héréditaire Wet’suwet’en : « Seuls les autochtones étaient enchaînés, pas les journalistes [faisant référence aux journalistes également arrêtés] ni aucun autre. Ils avaient juste des menottes. Mais tous les autochtones étaient enchaînés […] en sous-vêtements pour comparaître comme ça devant le juge. »
En marge des raids musclés et de grande ampleur, Amnistie internationale a constaté une politique faite de surveillance intrusive et agressive, de mesures de harcèlement et d’intimidation visant les défenseur·e·s du droit à la terre Wet'suwet'en, y compris des comportements discriminatoires, dégradants et culturellement très inappropriés. Des agents de la GRC ont par exemple interrompu à plusieurs reprises des activités culturelles au point de contrôle de Gidimt'en et ont même interrompu la cérémonie de deuil d’un membre de la communauté - alors qu’il leur avait été clairement expliqué ce qui se passait et demandé de ne pas entrer.
Discrimination fondée sur l’origine ethnique et le genre
Des défenseur·e·s membres de la Nation Wet’suwet’en et d’autres peuples autochtones ont subi une discrimination à caractère raciste, y compris des violations de leurs droits culturels et collectifs en tant que peuples autochtones. Des femmes défenseures ont également subi des menaces et des actes de discrimination et de violences fondées sur le genre.
Ces violations ont des conséquences néfastes tant pour les défenseur·e·s individuellement que pour la Nation Wet’suwet’en dans son ensemble. La construction du gazoduc de CGL, et sa cohorte d’actes d’intimidation, de harcèlement, de surveillance illégale et de criminalisation des défenseur·e·s des terres, créent un climat de peur et de violence, au point que certains membres de la Nation Wet’suwet’en ne se sentent plus en sécurité sur le Yin’tah (leur territoire ancestral non cédé), ce qui entraîne une perte du lien avec les terres ancestrales, et donc avec leurs ancêtres, et nuit à la transmission culturelle aux générations futures.
« Je me sens moins en sécurité maintenant quand [ma fille] joue dehors, sachant qu’un homme étranger de l’autre côté de la rivière observe et qu’il y a des drones dans le ciel », a déclaré Karla Tait, matriarche Wet’suwet’en et directrice de programme au centre de soins Unist’ot’en.
CGL/TC Energy réfute les allégations et déclare que le travail de l’entreprise est « légalement autorisé et entièrement permis au regard de la législation de Colombie-Britannique et du Canada. Le projet a été soumis à un processus réglementaire robuste au niveau de la province, dans le cadre duquel les groupes autochtones ont été consultés, et les impacts potentiels sur les droits des peuples autochtones, ainsi que les questions économiques, sociales, patrimoniales, sanitaires, et d’autres problématiques encore, ont été examinées minutieusement ». Forsythe Security n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Recommandations
Entre autres recommandations, Amnistie internationale demande aux gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique, ainsi qu’à Coastal GasLink Pipeline Ltd. et TC Energy, de mettre immédiatement fin à la construction et à l’utilisation du gazoduc de CGL dans les territoires non cédés de la Nation Wet'suwet'en.
Elle invite les deux gouvernements à abandonner immédiatement les inculpations pour outrage retenues contre les Wet’suwet’en et autres défenseur·e·s des terres autochtones. Elle appelle également la GRC, son Unité de réponse critique et Forsythe Security à mettre fin sans délai au harcèlement, à l’intimidation et à la surveillance illégale des défenseur·e·s des terres Wet’suwet’en, et à quitter le territoire de la Nation Wet’suwet’en.