Canada: Fouillez les décharges pour ramener chez elles les dépouilles de ces femmes autochtones
Les Families of Sisters in Spirit et Amnistie internationale Canada demandent aux gouvernements du Canada et du Manitoba de retrouver et de ramener à la maison les restes humains de Morgan Harris, Marcedes Myran et Mashkode Bizhiki’ikwe, trois femmes autochtones qu’on croit être enterrées dans deux dépotoirs de Winnipeg.
En lançant cet appel à l’action mardi, les deux organisations se joignent aux familles des femmes, des filles, et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, ainsi qu’à l’Union of BC Indian Chiefs, à l’Assemblée des Premières Nations, à l’Assemblée des Chefs du Manitoba, et à la Federation of Sovereign Indigenous Nations, pour dénoncer le refus de la première ministre du Manitoba, Heather Stefanson, d’organiser des fouilles dans les dépotoirs de Prairie Green et de Brady Road pour retrouver ces femmes.
« Personne ne mérite d’être abandonné dans un dépotoir comme dernier lieu de repos. Personne », a commenté Bridget Tolley, co-fondatrice de l’organisation communautaire Families of Sisters in Spirit, qui apporte du soutien aux familles autochtones qui ont perdu des êtres chers, qui ont disparu ou ont été assassinés.
Amnistie internationale Canada participera, le 18 septembre, à un sit-in sur la Colline parlementaire à Ottawa, organisé par les familles des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, ainsi que par les Families of Sisters in Spirit et d’autres défenseurs de cette cause. Les familles et leurs défenseurs ont déclaré que le 18 septembre serait la Journée internationale d’action pour les recherches dans les dépotoirs. « Nous serons sur la Colline parlementaire le 18 septembre », a dit Tolley. « Apportez vos chansons. Apportez vos tambours. Portez du rouge. Apportez une robe rouge. Emmenez-vous. »
Un homme de la région de Winnipeg fait face à une accusation de meurtre au premier degré pour les morts de Harris et de Myran, toutes deux de la Première Nation de Long Plain, ainsi que d’une femme non identifiée que les membres de la communauté appellent Mashkode Bizhiki’ikwe, ou « Buffalo Woman. ». Cet homme est aussi accusé d’avoir assassiné Rebecca Contois, une femme de 24 ans de la Première Nation de Crane River, dont le corps a été retrouvé dans le dépotoir de Brady Road en mai 2022. Les restes humains de Linda Mary Beardy, une femme de 33 ans, mère de quatre enfants, de la Première Nation de Lake St-Martin, ont été retrouvés dans le dépotoir en avril 2023. Jusqu’à ce jour, personne n’a été mis en accusation pour leur mort. « Amnistie internationale Canada affirme sa solidarité avec les proches de Linda Mary Beardy de la Première Nation de Lake St-Martin, avec ceux de Rebecca Contois de la Première Nation de Crane River, de Marcedes Myran et Morgan Harris de la Première Nation de Long Plain, et de Mashkode Bizhiki’ikwe », a déclaré France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone. « Leurs meurtres ont infligé des traumas et des peines inconcevables à leurs familles et aux peuples autochtones de tout le Canada. »
« Le refus de la première ministre Stefanson de permettre des fouilles dans les dépotoirs est indéfendable et envoie le message terrible que la vie de femmes, de filles, de personnes de deux esprits et autres personnes autochtones issues de la diversité de genre, n’a pas de valeur au Canada », ajoute Mme Langlois. « Le gouvernement du Canada et celui du Manitoba doivent prioriser, et financer adéquatement, les recherches dans les décharges pour retrouver Marcedes, Morgan et Mashkode Bizhiki’ikwe, afin de les rendre, sans plus attendre, à leurs familles et à leurs proches. »
Au début de juillet, la première ministre Stefanson annonçait que le Manitoba n’irait pas de l’avant avec des fouilles dans les décharges de Brady Road et de Prairie Green. Elle évoquait des « risques à la sécurité » pour refuser les demandes des familles et des sympathisants. Pourtant, des experts en médecine légale, participant à une étude de faisabilité menée par des Autochtones, ont confirmé que les risques pour la sécurité associés aux fouilles dans les décharges peuvent être atténués.
Désemparés par cette décision de la province, les familles des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, ainsi que des membres de la communauté et des sympathisants, ont organisé un blocus de la route menant à la décharge de Brady Road. Les organisateurs ont accepté à regret de démanteler leur barrage le 18 juillet, quatre jours après qu’un juge ait accédé à la demande de la province d’une injonction pour mettre fin à la protestation.
Les protestataires ont organisé un nouveau campement près du Musée canadien pour les droits humains, à La Fourche. Les familles et les sympathisants ont nommé ce nouveau campement « Camp Marcedes » en mémoire de Marcedes Myran, afin de réitérer leur appel à la justice pour Myran, Harris, Mashkode Bizhiki’ikwe, Contois, Beardy, et d’autres personnes bien-aimées, disparues ou assassinées.
Les Families of Sisters in Spirit et Amnistie internationale Canada déclarent que les autorités doivent autoriser les fouilles dans les décharges et ajoutent qu’Ottawa doit aussi en faire davantage pour contrer le racisme anti-autochtone, la violence caractérisée, de même que les violations systémiques et institutionnalisées à l’égard des femmes, des filles, et des personnes 2SLGBTQIA+ autochtones.
Dans sa Communication pour la 44ème session du Groupe de travail sur l’EPU de l’Examen périodique universel pour le Canada, Amnistie internationale Canada rappelle que si le Plan d’action national pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, lancé en 2021, était digne d’éloges, il n’empêche que les violences à l’égard des femmes, des filles, des personnes de deux esprits et celles issues de la diversité de genre autochtones se poursuivent. Les enquêtes policières sont marquées par le racisme anti-autochtone, les discriminations et les abus. Le Rapport d’avancement du plan d’action national du gouvernement fédéral pour 2022 démontre peu de progrès sur cet enjeu.
Lors de sa visite au Canada en mars 2023, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Francisco Calí-Tzay, a exprimé sa profonde inquiétude suite aux différents rapports et témoignages concernant les femmes, les filles et les personnes de deux esprits et autres issues de la diversité de genre disparues ou assassinées sur le territoire canadien. Calí-Tzay affirmait que ni le Plan d’action national du Canada pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQIA+ disparues et assassinées, ni l’investissement prévu de la Voie fédérale, ne suffisaient pour endiguer cette crise.
Les Families of Sisters in Spirit et Amnistie internationale Canada demandent donc au gouvernement du Canada d’élaborer une stratégie de mise en œuvre du Plan d’action qui soit pilotée par les Autochtones, qui soit sensible aux traumas, aux cultures, basée sur les distinctions, et à durée déterminée. Cette stratégie de mise en œuvre doit aussi déterminer comment les 231 appels à la Justice du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées seront traités pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+.
« Nous réaffirmons notre soutien aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits, dans leurs demandes de mise en œuvre pleine et entière de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et des 231 appels à la justice », déclare Mme Langlois. « Les droits des peuples autochtones – comme les vies et les meurtres de ces femmes et filles aimées, enlevées à leurs familles par des actes de racisme anti-autochtone, de violence coloniale, de haine et de misogynie – ne doivent plus être ignorés. »