Canada : Des défenseurs de la terre autochtones criminalisés, surveillés et harcelés alors que la construction d’un gazoduc se poursuit sur leur territoire traditionnel
Quatre ans après le premier grand raid de police en territoire wet’suwet’en, des défenseur·e·s de la terre autochtones, ici au Canada, subissent encore de graves violations de leurs droits humains, alors que se poursuit la construction du gazoduc de Coastal GasLink (CGL) sur leurs territoires ancestraux traditionnels non cédés, constate Amnistie internationale aujourd’hui. Les chefs héréditaires wet’suwet’ens – les autorités traditionnelles de la Nation selon la loi, et tel que le confirme l’arrêt Delgamuukw de la Cour suprême du Canada en 1997 – s’opposent à la construction du pipeline de gaz naturel liquéfié sur leur territoire non cédé, et n’ont pas donné leur consentement préalable, libre et éclairé à ce projet.
« Dans un pays démocratique comme le Canada, dont la réputation de pays respectueux et sécuritaire n’est plus à faire sur le plan international, pourquoi nous, les Autochtones wet’suwet’ens sommes-nous traités avec une telle violence? Pourquoi sommes-nous moins “humains”, et pourquoi devons-nous nous défendre contre de tels abus? Pourquoi sommes-nous criminalisés sur nos propres terres non cédées alors que nous protégeons nos droits humains et autochtones et que nous faisons notre part pour protéger le droit à l’eau potable, à une alimentation saine et à notre existence même? » demande le chef héréditaire wet’suwet’en Na’Moks.
Les défenseurs de la terre, les chefs héréditaires et les matriarches wet’suwet’ens sont souvent harcelés, intimidés, et déplacés de force par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et les agents de sécurité privés de CGL, pour avoir défendu pacifiquement leurs terres ancestrales traditionnelles non cédées. Au cours de trois actions policières de grande ampleur, en janvier 2019, février 2020 et novembre 2021, 74 personnes – des défenseurs de la terre wet’suwet’ens et autres, des observateurs juridiques ainsi que des personnes des médias – ont été arrêtées et détenues. Au cours de ces raids, la GRC était équipée de fusils militaires d’assaut, d’hélicoptères et d’unités canines, et elle opérait avec des agents privés de sécurité pour brûler des bâtiments et désacraliser des lieux de cérémonies.
Après ces violents raids de police, des accusations criminelles ont été portées à l’encontre des défenseurs de la terre autochtones pour avoir défendu pacifiquement le territoire traditionnel non cédé des Wet’suwet’ens. Plus spécifiquement, en novembre 2021, la GRC a arrêté et déplacé de force plusieurs défenseurs de la terre autochtones et autres pour avoir supposément défié une injonction de cour de 2019 qui interdisait de bloquer les accès aux sites de chantiers où les employés de CGL construisaient le pipeline. Au moins 15 personnes arrêtées à ce moment ont été accusées d’outrage de nature criminelle. En décembre 2022, cinq défenseurs de la terre ont été condamnés à des amendes et du travail communautaire obligatoire pour avoir défendu leur territoire. Actuellement, 13 défenseurs de la terre wet’suwet’ens et autres ont l’intention de se défendre eux-mêmes contre les accusations d’outrage criminel pour avoir supposément défié l’injonction.
« Nous les peuples autochtones avons toujours été criminalisés pour être ce que nous sommes et pour avoir défendu le yintah. La Colombie-Britannique et le Canada pensaient qu’ils nous avaient éliminés ou assimilés suffisamment pour ne plus avoir besoin de fusils pour nous contrôler. Mais, tout comme nous avons survécu au génocide, nous survivrons à leurs raids militarisés, année après année, parce que nous comprenons l’importance de protéger notre mode de vie et la vie elle-même », affirme Sleydo », Cas Yikh du clan Gidimt’en, de la Nation wet’suwet’en. C’est pour cette raison que la Nation wet’suwet’en continue de défendre ses droits et de dénoncer la criminalisation. En juin 2022, des membres de la Nation wet’suwet’en ont entamé une poursuite civile en Colombie-Britannique contre la province, des membres de la GRC, la firme de sécurité privée Forsythe et Coastal GasLink, afin d’obtenir des dommages-intérêts suite aux actes d’intimidation et autres torts envers les peuples autochtones près des routes d’accès aux chantiers de construction du pipeline.
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît les droits des peuples autochtones à protéger et conserver l’environnement de leurs terres et à ne pas être chassés de leurs terres et territoires; elle exige aussi que les États obtiennent le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones avant l’approbation de tout projet qui affecte leurs terres et leurs territoires. La Déclaration reconnaît aussi le droit à des recours et des réparations conséquentes pour toute atteinte aux droits individuels et collectifs tels qu’inscrits dans les systèmes de justice autochtones et les mécanismes internationaux des droits humains. Le Canada et la Colombie-Britannique ont adopté des lois qui exigent que les lois domestiques soient révisées pour s’assurer qu’elles respectent la Déclaration des Nations Unies. De plus, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale a rappelé que les États – dont le Canada – qui sont parties prenantes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale doivent obtenir le consentement éclairé des peuples autochtones avant de prendre des décisions qui interfèrent directement sur leurs droits et leurs intérêts.
« En autorisant Coastal GasLink à poursuivre la construction sur les territoires traditionnels non cédés des Wet’suwet’ens, sans avoir obtenu leur consentement préalable, libre et éclairé, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique contreviennent non seulement à l’esprit de réconciliation avec les peuples autochtones, mais aussi à leurs obligations domestiques et internationales en matière de droits humains », affirme France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada (section francophone). « Amnistie internationale demande aux gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ainsi qu’à CGL de faire cesser immédiatement tous les travaux de construction du pipeline, et de reprendre, avec les chefs héréditaires, des discussions constructives qui respectent les lois et le droit au consentement préalable, libre et éclairé des Wet’suwet’ens ».
En 2019, Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale a demandé au Canada de mettre fin au projet de pipeline de CGL jusqu’à l’obtention d’un consentement préalable, libre et éclairé. En 2020, le Comité a acheminé une lettre au Canada rappelant que son interprétation de l’obligation d’un consentement préalable, libre et éclairé était problématique et que le devoir de consulter était un « devoir de s’engager dans un dialogue significatif et de bonne foi avec les peuples autochtones » avant la réalisation du projet. En mai 2022, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale a acheminé une troisième lettre au gouvernement du Canada évoquant son inquiétude face à l’escalade de l’usage de la force, de la surveillance et de la criminalisation des défenseurs de la terre et des manifestants pacifiques, par la GRC, son Groupe d’intervention pour la sécurité de la collectivité et l’industrie, et les firmes privées de sécurité. Malgré cela, le gouvernement canadien n’a pas répondu à cette lettre et n’a pas non plus mis en place les recommandations du Comité. La construction du gazoduc se poursuit, sans le consentement des Wet’suwet’ens, et toujours facilitée par la présence constante de la GRC et des agences de sécurité privées qui continuent d’intimider, de surveiller et de harceler les peuples autochtones.
« Le gouvernement du Canada et CGL doivent retirer immédiatement les forces policières et de sécurité du territoire wet’suwet’en. Leur présence limite grandement la capacité du peuple wet’suwet’en à exercer ses droits sur les territoires traditionnels », dit la Dre Zosa De Sas Kropiwnicki-Gruber, directrice Recherche, plaidoyer et politiques d’Amnistie internationale Canada (section anglophone). « Toutes les allégations de harcèlement, d’intimidation, de menaces et de déplacements forcés de défenseurs de la terre autochtones et autres sur le territoire traditionnel wet’suwet’en non cédé doivent immédiatement faire l’objet d’enquêtes ».