Incidences de la dette publique sur le droit à la santé : études de cas en Afrique de l’Est et en Afrique australe
L’impact de la dette sur les droits humains devient une préoccupation de plus en plus majeure – notamment en Afrique de l’Est et en Afrique australe. De nombreux pays de cette région sont déjà confrontés à une crise de la dette ou proches d’une situation de surendettement. Ce phénomène n’est pas nouveau pour la région, puisque 15 des 25 pays de cette partie du continent étaient couverts par l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). La pandémie de la COVID-19 a réduit la capacité de nombre d’entre eux à rembourser leur dette tout en répondant aux besoins accrus de leur population en matière de santé. Des recherches ont montré que certains gouvernements de la région avaient choisi d’emprunter davantage pour aider les catégories à risque et construire des infrastructures médicales afin de répondre à cette crise sanitaire.
Avec l’apparition d’un intérêt croissant pour l’investissement dans la région de la part d’États, d’entreprises et de particuliers – notamment dans le secteur des ressources naturelles – la dette publique sur le continent est désormais détenue par une multitude de créanciers qui s’ajoutent aux traditionnelles institutions multilatérales de développement. Il est donc plus difficile pour les différents créanciers de parvenir à un consensus sur la restructuration ou l’annulation de la dette.
Pourquoi la dette est-elle un problème ? D’abord, ce n’est pas nécessairement le ratio de la dette d’un pays par rapport à son PIB qui représente le risque pour la viabilité de ses finances publiques. Il est préférable d’examiner les recettes fiscales, l’épargne et le niveau des réserves dont il dispose. Ces éléments indiquent si un gouvernement peut financer un appel à la dette et conserver la confiance de ses créanciers. Ensuite, lorsqu’un pays a une marge de manœuvre limitée dans son budget pour faire face aux dépenses et aux crises – comme c’est le cas dans de nombreux pays africains – le rythme auquel augmentent les intérêts de la dette et les échéances de remboursement, par rapport à d’autres postes budgétaires tels que la santé et l’éducation, devient critique.
Au cours de la pandémie, au moins 29 pays d’Afrique ont été confrontés à ce choix difficile et incités à participer à l’Initiative de suspension du service de la dette, proposée par le Groupe des Vingt (G20). Ce dispositif a été conçu précisément pour donner à des pays comme la Zambie, le Malawi et l’Ouganda plus de souplesse dans leur budget pour répondre aux besoins médicaux, sociaux et économiques face à cette crise. Cependant, il a été critiqué pour le manque de participation des entreprises et des particuliers parmi les créanciers, ainsi que parce qu’il ne s’agissait que d’une pause temporaire des intérêts et des remboursements n’apportant pas de solution pour les engagements à long terme des pays en termes de dette et l’aggravation de leur situation économique.
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Obligation de garantir le droit à la santé
La pandémie de la COVID-19 a eu un impact marqué sur les services de santé dans les pays africains, qui ont connu en même temps une baisse des recettes fiscales, une hausse des échéances de remboursement et une augmentation des demandes de dépenses. Ainsi, les efforts consacrés à la lutte contre cette maladie l’ont souvent été au détriment d’autres préoccupations sanitaires, telles que la santé reproductive, le paludisme, la tuberculose et le VIH. Les mesures de confinement ont également probablement aggravé les disparités sur le plan de l’équité en santé entre les zones rurales et urbaines. Ces difficultés se sont inscrites dans un contexte historique où les services de santé existants satisfaisaient rarement aux normes universelles relatives aux droits humains de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (Comité DESC) des Nations Unies a souligné que les États sont tenus de respecter, de concrétiser et de protéger le droit à la santé. Ce droit fondamental est garanti par divers traités internationaux et régionaux que de nombreux pays d’Afrique ont ratifiés, notamment par l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), qui oblige les États à s’assurer que toute personne bénéficie du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint. Le respect de cette obligation a cependant été mis à mal par les contraintes budgétaires, la corruption présumée et le manque de volonté politique de faire de la santé une priorité, même dans des pays ayant ratifié ces accords, comme le Malawi, la Zambie, l’Ouganda et le Burundi. Bien que les États parties soient tenus de fournir des services de santé adaptés, abordables et accessibles, notamment aux termes de la Déclaration d’Abuja, qui les engage à allouer au moins 15 % de leur budget annuel à la santé, très peu de pays africains ont un jour atteint cet objectif et ils ont dépensé beaucoup plus pour le service de leur dette que pour la santé, surtout ces dernières années. Dans les cas où les pays ont réussi à tenir cet engagement pour les dépenses de santé, un examen plus poussé de leurs comptes pourrait révéler que la priorité n’est pas forcément donnée aux soins de santé primaires.
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Prochains articles de blog de la série
Dans cette série d’articles de blog, nous examinerons l’état de la dette et son impact sur le droit à la santé dans quatre pays – Malawi, Burundi, Zambie et Ouganda. Nous analyserons les difficultés rencontrées par chacun d’eux pour s’acquitter de leurs obligations au regard du droit à la santé, en particulier dans le contexte de la dette, et nous recommanderons de meilleures modalités pour faire face à celle-ci tout en remplissant leurs obligations en matière de santé. Nous espérons ainsi mettre en lumière l’urgence de donner une priorité élevée à l’équité en santé dans les pays d’Afrique et de garantir la réalisation du droit à la santé pour toutes les personnes.