Iran. La répression meurtrière lors des manifestations contre la mort en détention de Mahsa Amini appelle une action mondiale urgente
Les dirigeant·e·s du monde réunis lors de l’Assemblée générale des Nations unies doivent soutenir les appels à mettre en place un mécanisme international indépendant d'enquête et d’obligation de rendre des comptes afin de remédier à la crise d'impunité qui sévit en Iran. La mort en détention de Mahsa (Zhina) Amini, 22 ans, et les tirs qui ont déferlé sur les manifestant·e·s, faisant au moins huit morts et des centaines de blessé·e·s, montrent à quel point il est urgent d'agir, a déclaré Amnistie internationale le 21 septembre 2022.
Les forces de sécurité iraniennes répriment avec brutalité les manifestations largement pacifiques déclenchées par la mort de Mahsa Amini le 16 septembre, quelques jours après son arrestation violente par la « police des mœurs » pour non-respect des lois discriminatoires sur le port obligatoire du voile. Amnistie internationale a recueilli des éléments de preuve attestant de l'utilisation illégale par les forces de sécurité de grenailles et autres plombs métalliques, de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de coups de matraque pour disperser les manifestant·e·s.
« L'élan mondial d’indignation et d'empathie suscité par la mort de Mahsa Amini doit ouvrir la voie à des mesures concrètes de la communauté internationale afin de s'attaquer à la crise d'impunité systémique qui permet aux autorités iraniennes de continuer de se livrer à des actes de torture généralisés, des exécutions extrajudiciaires et autres homicides illégaux, aussi bien derrière les murs des prisons que durant les manifestations, a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnistie internationale.
« Cette violente répression des manifestations par les autorités iraniennes coïncide avec le discours d’Ebrahim Raisi devant l’ONU. Il s'est vu offrir une tribune sur la scène mondiale, malgré des preuves crédibles de son implication dans des crimes contre l'humanité, ce qui fait tristement écho à l'impact dévastateur de l'incapacité des États membres de l’ONU à lutter contre l'impunité pour les crimes graves en Iran. »
Amnistie internationale a recensé la mort de six hommes, d'une femme et d'un enfant lors des manifestations les 19 et 20 septembre dans les provinces du Kurdistan (4), de Kermanshah (2) et de l'Azerbaïdjan occidental (2). Au moins quatre d'entre eux ont succombé à des blessures infligées par les forces de sécurité qui ont tiré des plombs métalliques à bout portant.
Au moins deux autres personnes ont perdu la vue d'un œil ou des deux. Des centaines, dont des mineur·e·s, ont subi des blessures douloureuses s’apparentant à des actes de torture ou à des mauvais traitements en raison de l'utilisation illégale de grenailles et autres munitions à leur encontre.
Tirer pour tuer et blesser
Amnistie internationale a recueilli des témoignages et analysé des images et des vidéos des manifestations, qui révèlent que les forces de sécurité iraniennes ont tiré de manière illégale et répétée des plombs métalliques directement sur les manifestant·e·s.
Selon des témoins, au moins trois hommes (Fereydoun Mahmoudi à Saqqez, dans la province du Kurdistan ; Farjad Darvishi à Oroumieh, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental ; et un homme non identifié à Kermanshah, dans la province de Kermanshah), et une femme (Minou Majidi à Kermanshah, province de Kermanshah) ont succombé à des blessures mortelles causées par des plombs métalliques lors des manifestations des 19 et 20 septembre. On recense quatre autres morts : Reza Lotfi et Foad Ghadimi à
Dehgolan, dans la province du Kurdistan, Mohsen Mohammadi à Divandareh, dans la province du Kurdistan, et Zakaria Khial, adolescent de 16 ans, à Oroumieh. Les défenseur·e·s des droits humains ont indiqué que, selon leurs sources sur le terrain, les forces de sécurité leur ont tiré dessus, mais ils n'ont pas eu d'autres informations sur les types de munitions utilisées.
Les autorités ont confirmé la mort de trois personnes dans la province du Kurdistan le 19 septembre et de deux personnes dans la province de Kermanshah le lendemain. Cependant, dans le droit fil des pratiques de déni et de dissimulation, elles en attribuent la responsabilité aux « ennemis de la [République islamique] ».
Les récits de témoins et les séquences vidéo ne laissent aucun doute sur le fait que ceux qui ont ouvert le feu pendant les manifestations étaient des membres des forces de sécurité iraniennes. De nombreuses vidéos prouvent que les manifestant·e·s dans les provinces de Kermanshah, du Kurdistan et de l'Azerbaïdjan occidental, où l’on a recensé des morts, étaient majoritairement pacifiques. Parfois, des manifestant·e·s se sont livrés à des jets de pierres et ont endommagé des véhicules de police.* Cela ne justifie en aucun cas d'utiliser des plombs métalliques, prohibés en toutes circonstances.
De terribles blessures infligées aux manifestant·e·s
Selon une source principale interrogée par Amnistie internationale, le 16 septembre, premier jour des manifestations, les forces de sécurité de Saqqez ont tiré des plombs sur Nachirvan Maroufi, 18 ans, à une distance d’environ 10 mètres ; il a perdu la vue de l'œil droit. Selon cette source, les forces de sécurité ont également tiré des plombs sur un autre jeune homme, Parsa Sehat, 22 ans, qui est devenu aveugle.
Le 19 septembre, les manifestations de grande ampleur se sont étendues de Saqqez à d'autres villes qui sont le berceau de la minorité kurde opprimée d'Iran, notamment Baneh, Dehgolan, Divandareh, Kamyaran, Mahabad et Sanandaj. D’après des manifestant·e·s, des proches de victimes et des journalistes sur le terrain, ce jour-là, les forces de sécurité ont blessé des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants en tirant à plusieurs reprises des plombs métalliques au niveau de la tête et de la poitrine, à bout portant, ce qui témoigne de l’intention d’infliger un préjudice maximal.
Selon un témoin de la répression à Kamyaran : « La police antiémeutes a tiré à plusieurs reprises en direction de la foule à une centaine de mètres de distance... J'ai moi-même vu au moins 10 à 20 personnes touchées par ces tirs. La plupart ont été blessées dans le dos alors qu'elles s'enfuyaient. »
Une personne manifestant à Mahabad a décrit une scène similaire : « En réponse à ceux qui scandaient " Femmes, vie, liberté " et " Mort au dictateur ", les membres des forces de sécurité ont ouvert le feu avec des armes chargées de plombs, depuis 20 à 30 mètres le plus souvent... Ils visaient particulièrement la tête. »
Un journaliste de Baneh a également déclaré : « Les forces de sécurité tiraient directement sur les manifestant·e·s, dans le ventre et le dos, à bout portant. La plupart des personnes touchées par les tirs et blessées au début étaient des femmes, parce que les femmes se tenaient au premier rang. »
Des vidéos et des photos examinées par Amnistie internationale corroborent les récits de témoins faisant état de l'utilisation massive de plombs par les forces de sécurité. En effet, on entend les bruits de tirs répétés et on peut voir des projections classiques de grenailles sur les manifestant·e·s et les passant·e·s blessés.
Des images et des témoignages recueillis par Amnistie internationale indiquent qu'à Divandareh, Saqqez et Dehgolan, les forces de sécurité ont également tiré des munitions non identifiées, causant des blessures béantes aux jambes, à la poitrine et au ventre des manifestant·e·s.
C’est le cas de Zana Karimi, un jeune homme de 17 ans grièvement blessé par des tirs à la jambe, à Divandareh, ce qui pourrait nécessiter son amputation, et d’Ehsan Ghafouri, grièvement blessé aux reins après s’être fait tirer dessus à Dehgolan.
La plupart des manifestant·e·s et des passant·e·s blessés ne cherchent pas à se faire soigner à l'hôpital par crainte d'être arrêtés, ce qui les expose à des risques d'infection et autres complications médicales.
Les forces de sécurité ont violemment arrêté plusieurs centaines de manifestant·e·s, dont des mineur·e·s, lors des manifestations du 19 septembre et lors des raids nocturnes effectués par la suite. Selon un témoin, de nombreux manifestant·e·s arrêtés à Kamyaran avaient la tête, le nez ou les bras fracturés et le corps ensanglanté.
« Si elles n’ont pas de comptes à rendre, les forces de sécurité iraniennes se sentiront encouragées à tuer ou à blesser les manifestant·e·s et les détenu·e·s, y compris les femmes arrêtées pour avoir défié les lois abusives sur le port obligatoire du voile. Tous les recours visant à amener les responsables à rendre des comptes étant bloqués au niveau national, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies doit faire savoir fermement aux autorités iraniennes que les responsables de crimes relevant du droit international ne resteront pas impunis », a déclaré Diana Eltahawy.
Complément d’information Le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, une Kurde iranienne, a été arrêtée à Téhéran par la « police des mœurs », qui soumet régulièrement les femmes et les filles à des arrestations et détentions arbitraires, à la torture et autres mauvais traitements, au motif qu’elles ne respectent pas les lois discriminatoires du pays relatives au port du voile.
Selon des témoins, Mahsa Amini a été violemment frappée lors de son transfert forcé au centre de détention de Vozara, à Téhéran. Quelques heures plus tard, elle est tombée dans le coma et a été transférée à l'hôpital de Kasra. Elle est décédée trois jours plus tard. Les autorités iraniennes ont annoncé la tenue d’une enquête tout en niant avoir commis un quelconque acte répréhensible. L'enquête promise ne répond pas aux exigences d'indépendance puisqu'elle doit être diligentée par le ministère de l'Intérieur.
* Note – Ce Communiqué de presse se concentre sur les provinces du Kurdistan, de Kermanshah et de l'Azerbaïdjan occidental où des manifestant·e·s ont été tués. Amnistie internationale enquête sur la répression des manifestations qui ont eu lieu dans d'autres villes d'Iran depuis le 19 septembre, notamment Hamedan, Rasht, Chiraz, Tabriz et Téhéran.