Il faut mettre en oeuvre de toute urgence le processus d'abandon des énergies fossiles afin de protéger les droits humains
Les combustibles fossiles sont le principal facteur de la crise climatique, dont les conséquences nuisent déjà à nos droits à la santé, à l'alimentation, à l'eau, au logement, au travail et à la vie elle-même. Ces répercussions sont encore plus graves pour les personnes confrontées à la marginalisation, la discrimination, la pauvreté ou l'oppression. Trop souvent, elles subissent les préjudices directs en termes de droits humains de l'extraction et de la production des combustibles fossiles et des infrastructures connexes dans leurs communautés locales – la contamination de l'eau et des réserves alimentaires locales, la pollution de l’air, la perte de biodiversité et les expulsions forcées notamment. Les défenseur·e·s des droits humains qui s'opposent à ces projets sont souvent victimes d'attaques, de harcèlement et de criminalisation.
La très forte hausse des prix des combustibles fossiles, exacerbée par l’invasion russe de l'Ukraine, prouve que la dépendance persistante aux combustibles fossiles n'est ni fiable, ni abordable, ni durable. Quelle ironie de voir le lobby des combustibles fossiles, entre autres, profiter de la hausse des prix du pétrole et du gaz pour plaider en faveur d'un retour en arrière sur les décisions concernant l'élimination progressive des combustibles fossiles ou d'un développement accru de ces combustibles au niveau national. Ces mesures contribueraient à la hausse des émissions de carbone et donc à des atteintes aux droits humains, violant ainsi l'obligation des États de protéger ces droits. Au contraire, les États peuvent et doivent s'assurer que leur population a accès à une énergie abordable en appliquant immédiatement des solutions concrètes pour accroître la capacité des énergies renouvelables et améliorer l'efficacité de la consommation énergétique.
Les scientifiques ont déjà émis l’« avertissement le plus sombre à ce jour » sur la crise climatique et les droits humains des populations doivent être au cœur des solutions face à l'urgence climatique. Tous ceux qui sont attachés à la dignité humaine et au bien-être doivent peser de tout leur poids en faveur de l'appel à la justice climatique mondiale, notamment pour les personnes les plus touchées et les moins responsables de la crise climatique. Comme l'a souligné le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, « les combustibles fossiles sont une impasse – pour notre planète, pour l’humanité et pour les économies aussi ».
Dans son rapport publié le 4 avril 2022 sur l'atténuation du changement climatique, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme que nous devons réduire rapidement et drastiquement l'utilisation des combustibles fossiles si nous voulons éviter d'atteindre des niveaux de réchauffement planétaire qui seraient catastrophiques pour l'humanité. Il relève que le maintien d’infrastructures reposant sur des énergies fossiles « bloqueront » les émissions de gaz à effet de serre. Il démontre que la fin du subventionnement des combustibles fossiles entraînera d'importantes réductions des émissions, ainsi qu'une augmentation des recettes publiques. Il reconnaît que les flux financiers sont trois à six fois inférieurs aux niveaux nécessaires d'ici à 2030 pour limiter le réchauffement à moins de 1,5°C ou 2°C, en particulier dans les pays en développement, alors que le capital mondial est suffisant. Il indique qu'il est essentiel d’accélérer la coopération financière internationale. Il note avec force inquiétude que les flux financiers publics et privés alloués aux combustibles fossiles restent supérieurs à ceux alloués à réduire le changement climatique et à faciliter l’adaptation des populations touchées. Comme le note le GIEC, plus vite nous éliminons les combustibles fossiles et agissons pour réduire la consommation d'énergie, moins il sera nécessaire de déployer à grande échelle des mécanismes d'élimination du carbone de l'atmosphère, qui ne peuvent pas compenser les réductions d'émissions retardées dans d'autres secteurs. Cela est essentiel pour prévenir les violations des droits humains généralisées, car nombre de ces mécanismes exposent les populations, notamment les peuples autochtones et les victimes de discriminations, à des expulsions forcées, à l'insécurité alimentaire et à d'autres atteintes aux droits humains.
Cet avertissement lancé par les scientifiques est limpide : les États doivent agir individuellement et collectivement pour éliminer progressivement et de toute urgence les combustibles fossiles. Au niveau national, chaque État doit abandonner rapidement la production et la consommation d’énergies fossiles et mettre en œuvre une transition juste vers d’autres formes d’énergie dans les plus brefs délais, en fonction de ses capacités et de sa part de responsabilité dans les émissions, en commençant par supprimer les subventions aux énergies fossiles (sauf dans le cas des programmes fournissant à titre provisoire des foyers de cuisson améliorés aux personnes sans accès abordable à l’électricité) et les combustibles fossiles et modes de production les plus polluants, comme le charbon, la tourbe, le gaz de schiste et les sables bitumineux, et en interrompant immédiatement l’expansion des énergies fossiles. Au niveau international, les États doivent coopérer afin de parvenir à l’abandon contrôlé et équitable des réserves de combustibles fossiles en exploitation et de toute production de charbon, de pétrole et de gaz dans toutes les nations du globe. Aussi faut-il augmenter de manière significative l'aide internationale aux pays à faible revenu afin de permettre une transition rapide et juste.
C'est pourquoi Amnistie internationale s'est récemment jointe à 1 300 organisations de la société civile, 3 000 scientifiques et 101 lauréats du prix Nobel qui ont lancé l'appel à adopter et mettre en œuvre un traité de non-prolifération des combustibles fossiles, visant à endiguer l'expansion des combustibles fossiles, à éliminer progressivement leur production actuelle de manière équitable et conformément à l’objectif d’une hausse de la température mondiale à 1,5°C et à accélérer la mise en œuvre de solutions concrètes pour une transition juste qui soutienne chaque travailleur·euse, chaque groupe de population et chaque pays. Ce nouvel accord mondial, complémentaire à l'Accord de Paris, est crucial. Aujourd’hui, d’après leurs programmes, les États prévoient toujours de produire deux fois plus de combustibles fossiles d'ici 2030 que le seuil requis pour une planète habitable.
Il est urgent que la communauté de défense des droits humains intervienne en collaborant avec d'autres parties intéressées et travaille avec les populations et les personnes en première ligne de la lutte contre le changement climatique qui combattent le principal facteur de la crise : les combustibles fossiles. Ensemble, nous devons mettre à contribution nos soutiens, notre pouvoir et nos compétences dans la lutte pour la justice climatique. La force d'un mouvement collectif cherchant à surmonter la crise climatique doit être à la mesure de la gravité du problème. Nous devons agir maintenant pour inverser le cours des choses, car la fenêtre d'opportunité est en train de se refermer.
COMPLÉMENT D’INFORMATION
Le GIEC est le principal organisme international – comptant 195 États membres – créé en vue de fournir une base scientifique objective pour l'analyse des impacts du changement climatique sur les systèmes naturels et humains. Le GIEC étudie et évalue de façon détaillée les informations scientifiques, techniques et socio-économiques les plus récentes aidant à la compréhension des changements climatiques et produites dans le cadre de milliers d’études menées dans le monde. Tous les rapports du GIEC sont examinés et avalisés par tous les gouvernements.
Le rapport publié aujourd’hui sur l’atténuation du changement climatique s’inscrit dans le cadre du Sixième rapport d'évaluation du GIEC (AR6). Les contributions au Sixième rapport précédemment publiées étaient le rapport sur les éléments scientifiques (9 août 2021) et le rapport sur conséquences du changement climatique, l’adaptation et la vulnérabilité (28 février 2022).
L’analyse d’Amnistie internationale du rapport du GIEC sur les conséquences du changement climatique, l’adaptation et la vulnérabilité est disponible ici.