Le gouvernement étouffe la contestation et fait obstruction à la justice pour des crimes commis durant le conflit
Le gouvernement sri-lankais mène une nouvelle campagne de répression contre la contestation, en restreignant fortement les libertés de la société civile et en entravant les efforts déployés afin que justice soit rendue pour les crimes de droit international commis durant le conflit, écrit Amnistie internationale dans un nouveau rapport rendu public jeudi 18 février.
Ce rapport, intitulé Old ghosts in new garb: Sri Lanka’s return to fear, montre comment le gouvernement sri-lankais s’en prend à des organisations de défense des droits humains, des médias, des avocat·e·s, des opposant·e·s politiques et des responsables de l’application des lois, dans le but de museler la contestation et de gêner le processus de justice de transition pour les crimes commis durant le conflit armé qu’a connu le pays pendant 30 ans.
« Au cours de l’année écoulée, le gouvernement sri-lankais a radicalement transformé l’espace civique du pays, désormais caractérisé par une hostilité et une intolérance croissantes à l’égard des voix discordantes », a déclaré David Griffiths, directeur du Bureau du secrétaire général à Amnistie internationale.
« Des personnes de tous les horizons ont été menacées, intimidées, harcelées et incarcérées pour avoir simplement exprimé leur opinion ou effectué leur travail d’une manière qui a déplu aux autorités. Le gouvernement sri-lankais doit mettre un terme à cette campagne menée contre l’opposition et respecter ses obligations en vertu du droit international, selon lesquelles il est tenu de protéger la liberté d'expression, de réunion pacifique et d’association, ainsi que le droit à la sécurité personnelle et le droit de ne pas être soumis à une arrestation arbitraire. »
Depuis que le Sri Lanka s’est retiré, en février 2020, du processus de Justice et réconciliation mené sous l’égide du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en relation avec les crimes commis durant le conflit, les autorités ont sévi contre les personnes réclamant justice, tout en entravant délibérément les efforts en cours visant à obtenir justice et à établir les responsabilités.
Amnistie internationale demande au Conseil des droits de l’homme, lorsque celui-ci se réunira du 22 février au 23 mars, de mettre en œuvre les recommandations d’un rapport accablant sur le Sri Lanka publié par la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies le mois dernier. Ces recommandations portent notamment sur la nécessité d’un suivi et de comptes-rendus plus scrupuleux sur la situation des droits humains, et sur le fait de recueillir et de préserver des éléments de preuve en prévision de futures procédures judiciaires.
« La communauté internationale ne doit pas fermer les yeux face à la détérioration de la situation des droits humains au Sri Lanka, qui résulte de mesures rétrogrades du gouvernement en matière de justice et d’obligation de rendre des comptes. Le Conseil des droits de l'homme doit faire le nécessaire afin d’en finir avec l’impunité, en amenant le gouvernement sri-lankais à rendre pleinement compte de ses agissements, et en lançant un nouveau processus de justice approuvé à l’échelon international », a déclaré David Griffiths.
Justice et obligation de rendre des comptes
Les résultats des recherches d’Amnistie internationale mettent en évidence des violations systématiques à l’égard de personnes ayant enquêté, recueilli des informations, lancé des procédures ou fait des signalements sur des violations des droits humains, défendu des victimes, notamment dans au moins six cas dans lesquels des avocat·e·s ont été pris pour cible.
La loi draconienne relative à la prévention du terrorisme a été utilisée, entre autres, contre Hejaaz Hizbullah, un défenseur et avocat de renom spécialisé dans les droits des minorités, qui est maintenu en détention depuis 10 mois, sans qu’aucun élément attestant un acte répréhensible n’ait été produit devant un tribunal.
L’avocate Achala Senevirathne, qui a représenté des familles de victimes dans un cas de disparitions forcées, a été menacée de violences et d’agressions sexuelles non seulement sur les réseaux sociaux, mais également par des représentants de l’État accusés dans l’affaire.
Des enquêteurs œuvrant afin que justice soit faite pour des crimes de droit international sont également sur la sellette. Accusé d’avoir fabriqué des preuves de toutes pièces dans une affaire, l’ancien directeur de la police judiciaire a été rétrogradé, puis arrêté. Il se trouve toujours en détention et pense avoir été pris pour cible en représailles contre des enquêtes qu’il a dirigées sur des violations attribuées à des membres des forces armées.
Des responsables militaires qui assuraient le commandement lors de la dernière phase du conflit, époque à laquelle les allégations d’atteintes aux droits humains et au droit humanitaire se multipliaient, sont montés en grade et ont obtenu des postes de pouvoir - notamment des postes civils - à titre de récompense sous le nouveau gouvernement. Cela a eu un effet paralysant sur les victimes qui réclamaient justice.
Le rapport explique aussi que des modifications apportées à la législation par le gouvernement ont compromis tout accès aux voies légales crédibles dans le pays, et que des commissions d’enquête désignées par le président essaient actuellement de revenir sur l’obligation de rendre des comptes pour les auteurs de violations des droits humains.
Attaques contre l’espace civique
Le gouvernement sri-lankais s’est empressé d’introduire de nouveaux instruments et techniques visant à étouffer la contestation.
Des acteurs étatiques ont mené des campagnes de dénigrement contre des organisations non gouvernementales (ONG) et des organisations de défense des droits humains, tandis que des journalistes ont reçu des menaces de mort et été convoqués dans le cadre d’enquêtes et pour des interrogatoires, après qu’ils ont dénoncé des atteintes aux droits humains.
Le nombre de visites de membres des forces de sécurité dans les bureaux d’ONG de défense des droit humains a augmenté ces 14 derniers mois. Amnistie internationale a enregistré 18 visites de ce type pour cette période, durant laquelle des fonctionnaires ont demandé des renseignements sur les données d’enregistrement de l’organisation, le personnel et les coordonnées bancaires des donateurs. Des membres du personnel ont même reçu des visites de ce type à leur domicile.
Certaines lois sont par ailleurs utilisées de manière abusive, dans le but de bafouer la liberté d’expression, en particulier la Loi sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, invoquée afin d’arrêter Ramzy Razeek et de l’incarcérer pendant plus de cinq mois sans l’avoir inculpé ni lui avoir donné la possibilité de bénéficier des services d’un avocat. Dans une publication sur Facebook, cet homme avait critiqué la crémation obligatoire de victimes de la pandémie de la COVID-19, et appelé de ses vœux un combat idéologique utilisant pour toute arme un stylo ou un clavier.
Complément d’information
Le rapport, intitulé Old ghosts in new garb: Sri Lanka’s return to fear, est disponible ici.
Le rapport de la haut-commissaire aux droits de l’homme, publié le 27 janvier 2021, peut être téléchargé à cette adresse. Le Conseil des droits de l'homme se réunira pour sa 46e session, du 22 février au 23 mars. À cette occasion, il est prévu que l’Allemagne, le Canada, la Macédoine du Nord, le Monténégro et le Royaume-Uni - le principal groupe d’États travaillant actuellement sur le Sri Lanka - présentent une résolution faisant suite au rapport de la haut-commissaire.
En janvier 2021, Amnistie internationale a diffusé une évaluation de la situation au Sri Lanka, fixant des attentes claires, à l’adresse du Conseil des droits de l'homme, concernant les mesures à prendre.