Myanmar | Il faut cesser de persécuter les journalistes
Les autorités militaires du Myanmar doivent abandonner immédiatement les charges retenues contre des journalistes, a déclaré Amnistie internationale le 27 mai 2021. Il s’agit de journalistes placés en détention provisoire, en liberté sous caution ou se trouvant sous le coup d’un mandat d’arrêt uniquement pour avoir fait leur travail et exercé sans violence leurs droits fondamentaux.
« Les journalistes sont en première ligne de la lutte pour faire émerger la vérité sur ce qui se passe au Myanmar aujourd’hui, a déclaré Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe des recherches à Amnistie internationale.
« La violence, l’intimidation et le harcèlement éhontés que les autorités militaires leur infligent ne font qu’illustrer la puissance de la vérité. Individuellement, des journalistes peuvent être menacés, arrêtés, voire bien pire, mais l’ensemble des médias libres du Myanmar ne sera jamais réduit au silence. »
Les persécutions, les actes d’intimidation, le harcèlement et les violences que subissent les journalistes au Myanmar font clairement écho à la volonté du pouvoir militaire de supprimer toute dissidence pacifique et de dissimuler les violations commises par les forces de sécurité au lendemain du coup d’État du 1er février. La répression au niveau national se traduit par une privation généralisée des droits à la liberté d’expression et de l’accès à l’information.
Le 24 mai, le journaliste américain Danny Fenster a été arrêté et placé en détention – il s’agit du troisième journaliste étranger dans ce cas depuis le coup d’État. Les autorités l’ont interpellé à l’aéroport Mingalardon à Yangon alors qu’il attendait son vol pour la Malaisie et l’auraient conduit à la prison d’Insein. Au 25 mai, aucune charge n’avait été retenue contre lui. Amnistie internationale estime que Danny Fenster a été interpellé parce qu’il a exercé pacifiquement ses droits humains. Il doit donc être libéré immédiatement et sans condition.
Au 21 mai, 88 journalistes avaient été arrêtés depuis le coup d’État du 1er février, d’après les derniers chiffres de l’Association pour l’assistance aux prisonniers politiques de Birmanie (AAPPB). Plus de la moitié d’entre eux demeurent en détention et 33 sont entrés en clandestinité. Deux ont été libérés sous caution. Des dizaines ont fui le pays ou ont trouvé refuge dans des territoires contrôlés par des groupes armés ethniques. Deux journalistes ont été blessés par balles alors qu’ils couvraient les manifestations.
« L’arrestation de Danny Fenster rappelle que les médias au Myanmar sont dans le collimateur des autorités parce qu’ils s’efforcent de dénoncer les violations des droits humains perpétrées par l’armée dans le cadre de cette répression impitoyable, a déclaré Emerlynne Gil.
« Bien que les communications soient quasiment coupées, ce que le monde sait des violences commises par le pouvoir militaire, il le doit au courage des journalistes. »
Un climat de peur : « Nous ne voulons pas revivre ces heures sombres »
La répression exercée par les autorités militaires sur les médias a un effet dévastateur sur la presse, l’accès à l’information et d’autres droits fondamentaux. Le 8 mars, les organes de presse Myanmar NOW, Khit Thit Media, Democratic Voice of Burma (DVB), Mizzima et 7day ont vu leurs licences annulées, dans le cadre d’une interdiction qui touche la presse écrite, la presse radiotélévisée et les plateformes numériques.
Mi-mars 2021, il ne restait plus de journaux d’information quotidiens privés en circulation dans le pays, la plupart ayant suspendu leurs activités. Des journalistes interviewés par Amnistie internationale ont dit leur inquiétude de voir la répression qui fait suite au coup d’État annoncer le retour aux heures les plus sombres de la censure, de l’autocensure et de la désinformation orchestrée par l’État.
« Nous avons l’impression que tout revient comme à l’époque de notre enfance… Nous ne voulons pas revivre cette période, lorsque nous avions uniquement des médias d’État, répandant leur propagande », a indiqué un reporter basé à Yangon. « Il est très difficile de lutter et de survivre en tant que journaliste actuellement au Myanmar. Le pays n’est pas sûr – pour les journalistes, mais aussi pour leurs familles. Nous sommes tous confrontés à cette situation dangereuse au quotidien. Mais nous nous efforçons de couvrir l’actualité au maximum. »
Après presque 50 ans de monopole de l’État sur la presse et d’un régime marqué par la censure, en 2012, le Service d’enregistrement et de surveillance de la presse a levé la censure avant publication. En 2013, le ministère de l’Information du Myanmar a commencé à accorder des licences à des quotidiens privés.
Cependant, de récentes mesures prises par les autorités marquent un net recul pour les droits humains, notamment pour le droit à la liberté d’expression, et signent la disparition de la plupart des avancées obtenues en matière de liberté des médias au cours des 10 dernières années d’un régime quasi civil.
Le pouvoir militaire au Myanmar devrait veiller à ce que les droits à la liberté d’expression, l’accès à l’information et la liberté de la presse soient respectés, protégés, promus et réalisés, y compris en débloquant les sites d’information indépendants et les plateformes de réseaux sociaux, et en rétablissant la pleine connexion à Internet, et ce de toute urgence.
Vieilles lois, nouveaux amendements
Le 3 mars 2021, Min Nyo, journaliste de Democratic Voice of Burma (DVB), a été arrêté alors qu’il couvrait les manifestations contre le coup d’État à Pyay, dans la région de Bago, dans le centre du Myanmar. D’après une déclaration de DVB, Min Nyo a été frappé par des policiers et blessé lors de son arrestation. Il a été condamné à trois ans de prison le 12 mai au titre de l’article 505(a) du Code pénal.
Cette lourde peine est la deuxième condamnation prononcée contre un journaliste depuis le coup d’État ; May Thwe Aung, elle aussi journaliste de Democratic Voice of Burma, a été condamnée à un mois de prison au titre de l’article 188. La plupart des journalistes sont inculpés au titre de l’article 505(a) du Code pénal, qui date de l’époque coloniale et interdit la publication ou la diffusion de « toute déclaration, rumeur ou information… visant à inciter ou susceptible d’inciter un agent, un soldat, un marin ou un aviateur, dans l’armée de terre, la marine ou l'armée de l’air, à se rebeller ou à se soustraire ou faillir à son devoir en quelque autre façon ».
L’armée du Myanmar s’appuie depuis longtemps sur cet article formulé en termes vagues pour cibler les défenseur·e·s des droits humains, les journalistes et les opposant·e·s politiques, sanctionnant ceux qui diffusent des pamphlets politiques ou cherchent à couvrir l’actualité.
Le 14 février 2021, la junte militaire du Myanmar a annoncé une série d’amendements, dont des ajouts à l’article 505(a). Ces nouvelles dispositions criminalisent les personnes qui engendrent ou ont l’intention d’engendrer la peur, diffusent de fausses informations, incitent directement ou indirectement à commettre une infraction pénale contre un employé du gouvernement, portant la peine maximale encourue à trois ans d’emprisonnement et prévoyant des amendes.
Ces amendements violent les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique et ouvrent la voie à l’arrestation et à la condamnation fondées sur l’intention. Les journalistes ne sont pas les seuls visés par de tels chefs d’accusation : des influenceuses et influenceurs célèbres, des médecins, des enseignant·e·s et des fonctionnaires soupçonnés de participer à la grève générale du mouvement de désobéissance civile ont fait l’objet de mandats d’arrêt au titre de l’article 505(a) et d’autres dispositions.
L’article 505(a) du Code pénal, ainsi que la Loi relative aux réunions et manifestations pacifiques et la Loi relative à la gestion des catastrophes naturelles, doivent être abrogés ou modifiés pour les rendre conformes aux normes internationales relatives aux droits humains. Les autorités militaires du Myanmar doivent mettre fin à leur assaut contre les droits humains, notamment le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse, garantir le droit des citoyens d’avoir accès à l’information et cesser de persécuter les journalistes.