Le travail des enfants et la corruption n’ont pas leur place dans la transition énergétique
La Commission européenne conclut actuellement des consultations relatives à une nouvelle loi susceptible de façonner le futur de l’énergie verte. Si elle est adoptée, la réglementation communautaire relative aux batteries obligerait toutes les entreprises de cette industrie à rendre compte de l’impact social et environnemental de leur activité. Cela garantirait que les batteries arrivant sur le marché de l’Union européenne - et vouées à être utilisées dans des voitures électriques, des smartphones, des panneaux solaires, et destinées à bien d’autres usages encore - proviennent de sources responsables et durables. Les entreprises seraient tenues de prouver, par exemple, que les minerais présents dans leurs batteries ne financent pas indirectement des groupes armés ou le travail des enfants, et que leurs chaînes d’approvisionnement sont exemptes de corruption.
Cette loi serait un pilier du « New Deal » vert pour l'Europe, et son adoption n’a que trop tardé. La Banque mondiale a estimé que la production de certains métaux présents dans les batteries pourrait augmenter de 500 % d’ici 2050, afin de répondre à la demande croissante en matière de véhicules électriques - essentiels à la réduction des émissions de carbone. Jamais auparavant l’industrie minière n’a essayé d’atténuer le changement climatique à une telle échelle. Aucune loi en vigueur ne permet cependant de garantir que les technologies vertes elles-mêmes ne causent pas de torts. Or elles en causent.
La nouvelle frontière de la révolution en matière de batteries ne se situe pas dans les couloirs des institutions européennes à Bruxelles. Elle se trouve dans les mines de cobalt de la République démocratique du Congo, où des enfants ayant parfois à peine sept ans travaillent dans des conditions périlleuses. Dans les vastes étendues gelées de la péninsule de Taïmyr, en Sibérie, où une société minière d’extraction de nickel a déversé des milliers de tonnes de diésel dans l’Arctique ; et dans les salars d’Amérique latine, où l’extraction du lithium menace les moyens de subsistance des populations locales. Le cobalt, le nickel et le lithium sont des composants essentiels des batteries rechargeables, et nous glissons vers une situation où un type d’injustice environnementale est remplacé par un autre.
Paradoxalement, ces violations sont perpétrées contre les personnes les moins responsables du changement climatique. Ce ne sont pas les populations autochtones vivant de la pêche dans la baie de Basamuk, en Papouasie-Nouvelle-Guinée qui rejettent du CO2 dans l’atmosphère. Et pourtant ce sont leurs eaux qui ont été contaminées lorsqu’une mine de nickel a déversé 23 tonnes de déchets toxiques dans l’océan, lors de l’extraction de minerais nécessaires pour que des conducteurs à Paris, Pékin et New York puissent se mettre au volant de voitures électriques. La nécessité d’une réglementation n’a jamais été aussi pressante.
Le mois dernier, Amnistie internationale et 66 autres organisations de défense des droits humains et de l’environnement ont diffusé, à l’adresse des entreprises et des gouvernements, une liste de principes à adopter afin d’assainir les chaînes d’approvisionnement de l’industrie de la batterie. Un grand nombre d’organisations ayant signé Alimenter le changement représentent les populations les plus affectées par la transition énergétique.
Avec Alimenter le changement, nous demandons aux fabricants d’œuvrer en faveur d’un contenu recyclé maximal dans les batteries, de limiter l’utilisation de matériaux dangereux, et d’assurer la gestion des déchets liés aux batteries de manière responsable. Nous demandons aux entreprises comme aux gouvernements de veiller à ce que les défenseur·es de l’environnement et les populations autochtones soient consultés et correctement informés sur les opérations prévues et sur les risques potentiels.
Le projet de réglementation communautaire relative aux batteries contient plusieurs articles portant sur l’amélioration de la transparence dans les chaînes d’approvisionnement, qui est également l’un des principes cruciaux de notre coalition. En 2017, des chercheurs d’Amnistie internationale ont établi que plusieurs entreprises telles que Microsoft, Renault et Volkswagen, se gardaient bien de poser certaines questions fondamentales sur la provenance du cobalt utilisé dans leurs batteries. Plus de la moitié du cobalt mondial provient de la RDC, où Amnistie internationale a constaté que des enfants et des adultes effectuent un travail périlleux pour des sociétés minières pour un ou deux dollars par jour, à l’intérieur de tunnels étroits présentant un risque d’effondrement. Il est par conséquent inacceptable que certaines entreprises se déchargent de toute responsabilité face à leur chaîne d’approvisionnement - les consommateurs ont le droit d’avoir la certitude que leur voiture n’est pas alimentée par des violations des droits humains.
C’est pourquoi la réglementation européenne sur les batteries pourrait devenir l’un des textes de loi les plus importants de notre histoire en matière d’encadrement d’un secteur industriel. Il s’agirait de la première initiative juridiquement contraignante visant à assainir les chaînes d’approvisionnement de l’industrie de la batterie, qui forcerait les entreprises à en faire plus pour protéger les travailleurs, les populations autochtones et l’environnement.
L’Europe est l’épicentre des efforts en faveur d’un futur alimenté par les batteries. Certains gouvernements, parmi lesquels ceux de la Pologne, du Royaume-Uni et de la Suède se sont hâtés de dépenser des milliards de dollars pour construire des usines géantes de production de batteries, et la Banque européenne d'investissement s’est engagée à investir un milliard d’euros dans cette industrie en 2020. Un grand nombre des entreprises ayant mené la deuxième révolution industrielle - marquée par l’invention du moteur à combustion interne, le boom de l’industrie automobile et la demande concomitante de pétrole - prennent désormais les rênes de ce qui sera selon elles une « révolution industrielle verte ». Il est impératif que cette fois-ci, les entreprises reconnaissent l’impact de leurs activités sur la planète et sur les droits humains, et prennent cela en compte dans leur modèle commercial.
Si la réglementation relative à l’industrie de la batterie était adoptée, l’Europe serait également l’épicentre d’une transition énergétique véritablement propre et équitable.
Cet article a été initialement publié par EUObserver