Le gouvernement doit cesser de réprimer la contestation paysanne et de diaboliser les dissident·e·s
Le gouvernement indien doit mettre fin à la répression qui se durcit contre les manifestant·e·s, les leaders paysans et les journalistes, dans le cadre des manifestations nationales contre trois lois agricoles récemment adoptées, a déclaré Amnistie internationale le 9 février 2021. L’organisation appelle également à libérer immédiatement et sans condition les personnes arrêtées uniquement pour avoir exercé sans violence leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Au lieu d’enquêter sur les informations faisant état de violences contre les manifestant·e·s et de traduire en justice les responsables présumés, les autorités préfèrent empêcher l’accès aux lieux de rassemblement, fermer Internet, censurer les réseaux sociaux et invoquer des lois draconiennes contre les manifestant·e·s qui font valoir pacifiquement leur opposition à ces nouvelles lois depuis plusieurs mois déjà.
« Nous assistons à une escalade très inquiétante des mesures prises par les autorités indiennes contre quiconque ose critiquer ou dénoncer les lois et politiques répressives du gouvernement. Tandis que ceux qui protestent contre la Loi portant modification de la loi sur la nationalité (Citizenship Amendment Act, CAA) sont encore dans le collimateur des autorités, se profile déjà la répression des manifestant·e·s hostiles à la réforme agricole. Museler ainsi la dissidence ne laisse que peu de place dans le pays à l’exercice pacifique des droits fondamentaux, notamment à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique », a déclaré Rajat Khosla, directeur général de la recherche, du plaidoyer et des politiques à Amnistie internationale.
Au moins huit journalistes de renom et responsables politiques sont inculpés de sédition après avoir rendu compte de manifestations organisées par des agriculteurs. Ils sont inculpés d’avoir désinformé, propagé la discorde et incité aux émeutes via des tweets à l’occasion du Jour de la République.
Mandeep Punia, journaliste freelance à The Caravan, a été arrêté dans la soirée du 30 janvier, peu après la parution d’un article relatant que le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), avait envoyé des militant·e·s attaquer les agriculteurs qui manifestaient. Tout d’abord accusé d’entrave à la police, puis de violence, Mandeep Punia a été initialement détenu pendant 14 jours sans pouvoir consulter un avocat et a bénéficié par la suite d’une libération sous caution.
Le 1er février, des centaines de comptes Twitter en Inde, notamment de sites d’information, de militants et d’acteurs, ont été suspendus pendant plus de 12 heures après que le gouvernement a déclaré que les utilisateurs postaient des contenus incitant à la violence en relayant le hashtag #FarmersProtests. Twitter est revenu sur sa décision avant la soirée.
Pourtant, deux jours plus tard, le 3 février, le gouvernement indien a adressé une notification à Twitter pour que l’entreprise applique ses injonctions et supprime des contenus et des comptes liés aux hashtags ayant trait à la contestation paysanne. Le même jour, de nombreux médias ont relaté que la police empêchait les journalistes d’accéder aux lieux de rassemblements.
Le 5 février, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a appelé les autorités indiennes et les manifestant·e·s à faire preuve « d’un maximum de retenue », ajoutant que les droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression doivent être protégés en ligne comme hors ligne. L’Inde est membre du Conseil des droits de l’homme et partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
« Le gouvernement indien doit ouvrir le dialogue avec son peuple et l’écouter. Il doit cesser de menacer, diaboliser et interpeller des manifestant·e·s pacifiques et cesser de les traiter d’" ennemis de la nation " ou de " terroristes ", a déclaré Rajat Khosla.
« Amnistie internationale demande la libération immédiate et inconditionnelle des militant·e·s et des personnes arrêtées simplement pour avoir exercé leur droit de manifester pacifiquement et appelle le gouvernement à cesser de harceler et diaboliser les manifestant·e·s. »
Les lieux de manifestation ont des airs de zones de guerre, la police ayant érigé des barricades faites de métal et de barbelés, de blocs de béton et de gros rochers. Plus de 2 000 clous en fer auraient été dispersés sur les routes menant à ces sites. La police aurait bloqué l’accès aux toilettes mobiles construites par les paysans et ne laisse pas les balayeurs nettoyer les monticules d’ordures qui s’accumulent, faisant craindre la propagation de maladies infectieuses. Les services Internet ont été suspendus à plusieurs reprises sur les sites principaux de contestation à Delhi et dans les districts adjacents.
Complément d’information
Un rassemblement pacifique ne perd pas son caractère pacifique du fait de violences sporadiques ou du comportement illicite de certains individus. Ainsi, dans les cas où une petite minorité tente de faire basculer un rassemblement dans la violence, la police doit permettre autant que possible que ceux qui manifestent pacifiquement puissent continuer à le faire, et ne doit pas invoquer les agissements de certains pour justifier la restriction du droit à la liberté de réunion pacifique de la majorité.
Répression des manifestations :
- Selon les organisations paysannes, plus de 100 personnes ont disparu depuis le défilé des tracteurs du 26 janvier, alors que des lois draconiennes, comme la loi sur la sédition et la Loi relative à la prévention des activités illégales (UAPA), sont invoquées pour museler les manifestant·e·s. Au moins six militant·e·s comptent parmi les 120 personnes arrêtées en marge des violences qui ont émaillé le rassemblement organisé dans la capitale à l’occasion du Jour de la République, d’après une liste publiée par la police de Delhi.
- Editors Guild of India, Press Club of India, Indian Women’s Press Corps, le Syndicat des journalistes de Delhi, le Syndicat des journalistes indiens et Reporters sans frontières ont publié des déclarations condamnant la répression contre les journalistes qui couvrent les manifestations.