Haïti | Les autorités doivent protéger les proches menacés de mort d’un journaliste et d’une militante assassinés
Les familles du journaliste Diego Charles et de la militante Antoinette Duclaire, tous deux assassinés, sont la cible de menaces de mort et d’actes d’intimidation et doivent être protégées par les autorités haïtiennes, a déclaré le 6 août 2021 Amnistie internationale, qui demande que l’enquête sur leurs assassinats aboutisse.
Dans le chaos qui a entouré l'assassinat du président Jovenel Moïse, la criminalité violente endémique et la crise des droits humains qui frappe le pays, les journalistes et les défenseur·e·s des droits humains sont de plus en plus attaqués.
Des proches et des confidents de Diego Charles et Antoinette Duclaire ont déclaré à Amnistie internationale qu’ils avaient tous deux reçu des menaces avant d’être assassinés et qu’eux-mêmes sont désormais victimes d’actes d’intimidation parce qu’ils se sont adressés aux autorités.
« Il faut assurer la protection des familles endeuillées de Diego Charles et Antoinette Duclaire qui continuent de réclamer justice. Les témoins doivent se sentir libres de parler à la police sans intimidation, a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d'Amnistie internationale.
« Les autorités haïtiennes doivent mener une enquête approfondie sur les meurtres commis de sang-froid de Diego Charles et Antoinette Duclaire, qui ont sans doute été pris pour cibles parce qu’ils défendaient les droits humains et recherchaient la vérité.
« Elles doivent faire davantage pour garantir la sécurité des journalistes, des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains qui demeurent exposés à de très grands risques uniquement parce qu’ils font leur travail et exercent leur liberté d’expression. »
Diego Charles était journaliste à Radio Vision 2000 et travaillait pour le site Larepiblik Magazine, qu’il avait cofondé avec Antoinette Duclaire. Antoinette Duclaire, que sa famille et ses amis appelaient Netty, était une militante politique et une défenseure des droits humains, qui n’hésitait pas à critiquer le gouvernement et était membre du mouvement d’opposition Matris Liberasyon (Matrice Libération). Tous deux avaient été menacés de mort avant d’être assassinés.
Les deux corps ont été autopsiés, selon les familles. Cependant, les rapports d’autopsie et de police ne seraient pas encore terminés et n’ont pas été remis aux autorités judiciaires.
Intimidation des familles et des témoins
Amnistie internationale a examiné le rapport d’un officier de police judiciaire qui indique que Diego Charles a reçu deux balles, tandis qu’Antoinette Duclaire a reçu sept balles, notamment dans la tête. Tous deux étaient âgés de 33 ans.
Ils ont été tués par des assaillants armés non identifiés circulant à moto, devant le domicile de Diego Charles, dans le quartier de Christ-Roi, à Port-au-Prince. Antoinette Duclaire a été touchée alors qu’elle était assise dans sa voiture et Diego Charles a été abattu à l’entrée de son domicile après qu’il soit sorti du véhicule.
Un témoin a déclaré à Amnistie internationale qu’ils ont entendu un bref échange entre les victimes et les assaillants, et ont notamment entendu Antoinette Duclaire crier : « Non, ne nous tirez pas dessus ! »
Le 30 juin, des assaillants inconnus ont tiré en l’air devant la maison de Diego Charles, la scène du crime, ainsi que devant le domicile d’Antoinette Duclaire, où sa famille et ses amis pleuraient sa perte. Des membres de la famille et des habitants du quartier ont déclaré que les coups de feu étaient clairement destinés à les intimider, afin de dissuader les témoins de parler de l’attaque.
Amnistie internationale a interrogé neuf personnes, dont des membres de la famille et des collègues des deux victimes, ainsi que deux membres de la société civile et un témoin. Beaucoup demeurent inquiets pour leur sécurité et pensent qu’ils risquent de subir des représailles.
Frede Duclaire, le frère d’Antoinette, a raconté que sa famille avait été la cible de multiples menaces et actes d’intimidation ces derniers mois, notamment une fusillade contre la maison familiale le 23 février, et qu’Antoinette changeait régulièrement d’endroit pour dormir depuis décembre 2020. Il a indiqué : « Même après le meurtre de Netty, ils ont continué de nous appeler, pour nous dire que nous n’avions rien vu, que le pire était à venir. »
Il a ajouté qu’il n’a pas confiance dans la police pour mener l’enquête, s’exprimant en ces termes au sujet des autorités : « Je ne leur fais pas confiance et je ne crois rien de ce qu’ils disent. Ils n’ont pas la volonté de faire quoi que ce soit. Le système judiciaire en Haïti est très faible, et il n’a pas les ressources pour effectuer le suivi. »
Marie Samuelle Charles, la sœur de Diego, a déclaré : « J’aimerais que [les autorités]… découvrent ce qui s’est passé. Mon frère n’avait que 33 ans. Il a tenté de faire tout ce que la société attendait de lui. Il a travaillé dur sur lui-même. Je veux savoir ce qui lui est arrivé. Pourquoi l’ont-ils tué ? »
Attaques ciblant des journalistes et défiance à l’égard des autorités
Depuis quelques années, on constate une nette augmentation du nombre d’attaques visant des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains en Haïti. Ceux qui travaillent dans le pays ont déclaré qu’ils n’avaient guère confiance dans les autorités s’agissant de mener à bien des investigations sur les agressions ou meurtres commis par le passé.
Jacques Desrosiers, secrétaire général de l’Association des journalistes haïtiens, a indiqué : « La police et la justice affirment qu’elles ont ouvert une enquête, mais jusqu’à présent, elle n’a pas abouti. La police publie toujours des déclarations assurant que l’enquête est en cours, qu’elle progresse, qu’ils la poursuivront ; ils arrêtent une ou deux personnes, mais ce n’est rien, ce ne sont que des paroles.
« Je veux que les autorités haïtiennes en finissent avec l’impunité concernant les crimes commis contre les journalistes. Tant que la police et la justice ne mèneront pas jusqu’au bout leurs investigations et n’en présenteront pas les conclusions, l’impunité sera de mise. Tant qu’il n’y aura pas de justice pour les journalistes assassinés, la situation ne changera pas et l’impunité régnera. »
Complément d’information
Haïti est plongé dans l’instabilité politique depuis quelques années, ce qui se traduit par des manifestations, des violences généralisées et des crises politiques et constitutionnelles interminables. Le président Jovenel Moïse a récemment été assassiné, une semaine après Diego Charles et Antoinette Duclaire.
Les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes sont particulièrement menacés. Le gouvernement haïtien est accusé de complicité dans les attaques de grande ampleur menées par des gangs dans des quartiers pauvres entre 2018 et 2020. Dans un rapport publié en janvier 2021, l’ONU a souligné la multiplication des violations des droits humains.
Haïti est tenu de respecter, protéger et réaliser le droit à la vie entre autres droits fondamentaux inscrits dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention américaine relative aux droits de l’homme, auxquels le pays est partie. Haïti est également tenu de mener des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur ces homicides et de déférer à la justice les responsables présumés dans le cadre de procès équitables.