Éthiopie | Il faut mettre fin aux détentions arbitraires de Tigréen·ne·s, de militant·e·s et de journalistes à Addis-Abeba et révéler où se trouvent les personnes détenues dont on est sans nouvelles
La police a arrêté et détenu arbitrairement des dizaines de Tigréen·ne·s à Addis-Abeba en dehors de toute procédure régulière, après que la capitale de la région du Tigré, Makalé, a été reprise le 28 juin par les forces du Front populaire de libération du Tigré (FPLT), qui se font également appeler Forces de défense du Tigré (FDT), a déclaré Amnistie internationale le 16 juillet. Ces arrestations semblent fondées sur des considérations ethniques : d’ancien·ne·s détenu·e·s, des témoins et des avocat·e·s ont expliqué que la police vérifiait les documents d’identité avant d’arrêter des personnes et de les emmener dans des centres de détention.
« Depuis que les forces de défense éthiopiennes se sont retirées de certaines parties du Tigré et que le gouvernement fédéral a annoncé un cessez-le-feu unilatéral, le 28 juin, des Tigréen·ne·s sont victimes d’arrestations et de détentions arbitraires à Addis-Abeba. D’ancien·ne·s détenu·e·s ont indiqué à Amnistie internationale que les postes de police étaient remplis de personnes parlant tigrigna et que les autorités avaient arrêté des Tigréen·ne·s en masse, a déclaré Deprose Muchena, directeur du programme Afrique de l’Est et Afrique australe à Amnesty International.
« Amnistie internationale exhorte le gouvernement éthiopien à mettre fin à cette vague d’arrestations arbitraires et à faire en sorte que toutes les personnes détenues soient inculpées rapidement d’une infraction reconnue par le droit international et jugées équitablement, ou bien libérées immédiatement et sans condition. Il faut également que les autorités indiquent aux familles où se trouvent ces personnes et veillent à ce que celles-ci puissent consulter un avocat et avoir des contacts avec leurs proches. »
Bien que certaines personnes aient été libérées sous caution, des centaines d’autres sont toujours derrière les barreaux et on ignore où elles se trouvent. À la connaissance d’Amnesty International, les personnes détenues qui ont été arrêtées dans le cadre des affaires sur lesquelles elle a recueilli des informations n’ont pas été inculpées d’infractions reconnues par le droit international.
Aux termes du droit éthiopien, la police doit déférer les personnes détenues à un tribunal dans les 48 heures afin que le motif de l’arrestation soit examiné. La présentation rapide à une autorité judiciaire est une garantie importante contre la torture, les autres formes de mauvais traitements et les disparitions forcées.
Roués de coups, harcelés et arrêtés
Amnistie internationale s’est entretenue à distance avec 14 personnes à Addis-Abeba, notamment d’ancien·ne·s détenu·e·s, des témoins d’arrestations ainsi que des proches et des avocat·e·s de personnes encore en détention.
Un homme arrêté le 2 juillet dans le quartier du Merkato a raconté que des policiers avaient fait irruption dans sa salle de billard vers 19 heures. Ils avaient commencé à harceler et à rouer de coups les clients et les employés et leur avaient demander de présenter leurs papiers d’identité, avant d’emmener cinq personnes, toutes tigréennes, au poste de police du district 6. Sur les cartes d’identité éthiopiennes, le groupe ethnique du titulaire est mentionné. Le patron de la salle de billard, qui était parmi les personnes arrêtées, a déclaré :
« Il a plu toute la nuit mais ils nous ont laissés dehors. Nous y avons aussi passé le samedi. D’autres personnes originaires du Tigré sont arrivées dans la journée du samedi. Ce jour-là, il y avait 26 Tigréen·ne·s arrêtés au poste de police. »
Dix-neuf personnes ont été libérées le lendemain – certaines après avoir présenté une caution – mais les autres ont été emmenées à Awash Arba, dans la région Afar, à 240 kilomètres à l’est d’Addis-Abeba, selon les personnes avec lesquelles Amnistie internationale s’est entretenue. Le patron de la salle de billard a été libéré le samedi soir. Il a alors appris que son frère était détenu à Awash Sebat. Il a expliqué :
« Le lendemain, on m’a dit que mon frère avait aussi été arrêté. Il nous a appelés d’Awash Sebat avec le téléphone de quelqu’un d’autre. Il nous a dit y avoir été emmené par la police avec de nombreux autres. Je connais certaines des personnes arrêtées avec lui. »
Tsehaye Gebre Hiwot, qui travaille dans un atelier de réparation de pneus près de Gotera, a été arrêté par la police en même temps qu’un membre de sa famille, Haile Girmay, le 3 juillet. Une parente a indiqué à Amnistie internationale qu’elle avait rendu visite à Tsehaye Gebre Hiwot au poste de police situé à proximité.
Elle a déclaré : « Quand je suis allée le voir, il y avait beaucoup d’autres vendeurs tigréens de manches à balai et de serpillières [ce commerce est traditionnellement associé aux personnes originaires du Tigré] qui avaient été arrêtés. Ils parlaient tous tigrigna. Je ne sais pas s’ils ont été libérés ou emmenés avec lui. »
Neuf autres témoins ont indiqué à Amnistie internationale qu’ils avaient vu des dizaines de Tigréen·ne·s détenus au cinquième poste de police de Tekle Haimanot, au poste de police de Gerji, au centre de détention provisoire de la police fédérale et au poste de police du Merkato, lorsqu’ils avaient rendu visite à des amis ou des parents détenus. Un homme, qui a déclaré que cinq de ses amis avaient été arrêtés le 2 juillet dans un dortoir à Tekle Haimanot, a indiqué avoir vu une cinquantaine de Tigréen·ne·s au cinquième poste de police lorsqu’il s’y était rendu le 3 juillet.
Amnistie internationale a également entendu parler d’une vague d’arrestations arbitraires visant les Trigréen·ne·s qui résident à Awash Sebat, une ville de la région Afar située à 200 kilomètres à l’est d’Addis-Abeba. Selon un témoin, cinq commerçants tigréens de la ville, y compris son époux, ont été arrêtés le 3 juillet. Elle a déclaré :
« Lui et beaucoup d’autres Tigréens de la ville ont été arrêtés ce jour-là. Ils sont restés au poste de police fédéral jusqu’au 7 juillet, avant d’être transférés à la prison d’Awash Arba, à Berta. Ils ont été présentés à un tribunal d’Awash Arba le 7 juillet, puis placés en détention provisoire jusqu’au 19. La police les a ensuite conduits à la prison, qui se situe à environ 35 kilomètres d’Awash Sebat. Nous leur rendons visite et leur portons de la nourriture et des vêtements. »
Des militant·e·s et des journalistes pris pour cible
Tsegaze’ab Kidanu est un Tigréen qui vit à Addis-Abeba. Il coordonne l’aide humanitaire pour les personnes victimes du conflit au Tigré. Il gère également, en tant que bénévole, les relations avec les médias de l’association Mahbere Kidus Yared Zeorthodox Tewahido Tigray. Le 1er juillet, soit un jour avant que son association publie un communiqué sur la situation des droits humains dans le Tigré, il a été arrêté à son domicile.
Sa famille et son avocat lui ont rendu visite au centre de détention provisoire de la police fédérale les 2 et 3 juillet mais, lorsqu’ils y sont retournés le 4, il ne s’y trouvait plus. Selon son avocat, ils ont appris ensuite par un autre détenu qu’il avait été emmené à Awash Arba. En outre, cet avocat n’a jamais été informé des charges retenues contre son client.
Il a communiqué à Amnistie internationale les noms de 24 Tigréens arrêtés dans divers quartiers d’Addis-Abeba, dont 22 à Mazoria et Tekle Haimanot, entre le 30 juin et le 8 juillet. Il a indiqué qu’un détenu, libéré sous caution le 5 juillet, avait été inculpé de « liens avec le FPLT », que le gouvernement éthiopien considère comme un groupe terroriste.
Des journalistes et des personnes travaillant dans les médias qui ont publié des informations sur la situation dans le Tigré ont aussi été détenus en dehors de toute procédure régulière. Le 30 juin, la police a arrêté 11 journalistes et personnes travaillant pour Awlo Media et Ethio Forum, des chaînes YouTube proposant des informations sur le conflit et la situation des droits humains dans le Tigré, ainsi que leur avocat. Un avocat et des proches interrogés par Amnistie internationale ont indiqué qu’ils avaient pu leur rendre visite le 1er juillet mais que, depuis le 2, ils étaient sans nouvelles et qu’ils ignoraient si ces personnes avaient été inculpées d’une quelconque infraction. Un membre de la famille d’un détenu a déclaré :
« Vendredi [2 juillet], vers 18 heures, la police nous a dit les avoir libérés au petit matin. Mais aucun n’était rentré chez lui ni ne nous avait appelés. Devant notre insistance, la police a répondu qu’elle ignorait où ils se trouvaient et que nous ne devions plus revenir. Depuis ce moment, nous n’avons cessé de les chercher. »
« Il faut que les autorités éthiopiennes révèlent où se trouvent les personnes détenues à leurs familles et leurs avocats. Cacher ce qu’il est advenu d’elles et où elles se trouvent est constitutif du crime de disparition forcée. Les autorités doivent également veiller à ce que toutes les personnes détenues soient protégées de la torture et des autres formes de mauvais traitements », a déclaré Deprose Muchena.