Colombie. Seule une réaction robuste et coordonnée de l’État permettra de combattre les menaces pesant sur des militant·e·s
L’État colombien n’a pas respecté l’obligation qui lui est faite, en vertu du droit international, de garantir un espace sûr et favorable à la défense des droits humains dans le pays, mais il a la possibilité de changer cela sans plus attendre, déclarera Amnistie internationale à l’occasion d’une audience publique devant le Congrès sur la situation des défenseur·e·s des droits humains en Colombie vendredi 19 novembre.
« L’État colombien n’a toujours pas remédié à ses manquements historiques au devoir d’éradiquer les risques auxquels sont exposés les défenseur·e·s des droits humains dans le pays. Les personnes défendant les droits humains continuent à être victimes d’attaques et de menaces jour après jour, ce qui vaut une nouvelle fois à la Colombie la distinction douteuse d’être le pays le plus dangereux pour les défenseur·e·s de ces droits », a déclaré Fernanda Doz Costa, directrice adjointe pour les recherches dans la région des Amériques à Amnistie internationale.
« L’audience devant le Congrès est une occasion unique de jeter des bases afin que la Colombie puisse avancer sur le terrain de la protection des défenseur·e·s, et de réfléchir à la manière de responsabiliser les autorités, qui n’agissent pas avec diligence face à la grave situation dans laquelle se trouvent les personnes défendant les droits humains dans le pays. »
Ces dernières années, les organisations Front Line Defenders et Global Witness ont systématiquement classé la Colombie en tête des pays où le plus grand nombre de militant·e·s écologistes et de défenseur·e·s des droits humains sont tués.
En octobre 2020, Amnistie internationale a émis une série de recommandations en matière de protection des défenseur·e·s au niveau national, et dans quatre cas en particulier. Cependant, à ce jour, les autorités colombiennes en ont fait trop peu pour garantir que la défense des droits humains puisse avoir lieu dans des conditions sûres dans le pays. Elles continuent à promouvoir un modèle de protection qui s’est avéré inefficace car il s’appuie uniquement sur des mesures de protection matérielles et l’adoption de lois, de décrets et de normes qui ne sont pas assortis de mesures assurant leur mise en œuvre, ainsi que sur des initiatives de protection individuelle, au lieu d’une démarche collective.
Les autorités avancent très lentement dans divers processus susceptibles d’apporter des solutions aux causes structurelles de la violence, notamment des enquêtes sur les menaces et agressions, la reconnaissance des territoires indigènes et le démantèlement des groupes armés. Elles ont en outre adopté des mesures qui exacerbent au contraire les risques pour les personnes défenseures, comme par exemple la décision de lancer une nouvelle fois des campagnes d’éradication forcée des cultures illicites, ou de restreindre durant la pandémie les programmes de l’Unité nationale de protection destinés aux défenseur·e·s en danger.
Le Congrès colombien a convoqué une audience publique sur ce thème vendredi 19 novembre afin d’exiger des comptes sur l’absence de garanties de sécurité pour les défenseur·e·s des droits humains et les dirigeant·e·s de mouvements sociaux dans le pays. Participeront à cette audience des organisations de la société civile et des défenseur·e·s des droits humains, comme María Ciro, représentante du Comité d’intégration sociale du Catatumbo (CISCA), qui vivent sous la menace en raison de leur travail de défense des droits et qui ne peuvent pas compter sur une protection adéquate de la part de l’État. La participation d’institutions nationales chargées de garantir leur protection est également prévue.
Le cas de la défenseure Jani Silva est un exemple de l’absence de réponse adéquate de la part des autorités colombiennes. Tout au long de l’année 2021, des groupes armés l’ont menacée en raison de son travail de défense des droits humains, bien qu’elle soit censée bénéficier de l’aide de l’Unité nationale de protection et de mesures conservatoires prises par la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Les dernières menaces en date ont mené à son déplacement forcé, en raison des graves dangers auxquels elle est confrontée. Tant que les autorités n’adopteront pas de mesures permettant de lutter contre les causes structurelles mettant Jani Silva en danger, la situation continuera à compromettre son travail de défense des droits humains.
L’organisation a également constaté que le ministère de l’Intérieur n’a pas pu établir de plans de protection collectifs dans les cas de l’Association pour le développement intégré durable Perla Amazónica (ADISPA), du Processus des communautés noires (PCN) et de la communauté indigène ASEIMPOME, bien que ces groupes sollicitent une protection depuis des années. La lenteur de l’établissement de plans de protection collective par le ministère de l’Intérieur montre que les autorités n’ont pas été capables de lutter contre les causes structurelles de la violence à l’égard des personnes et groupes qui risquent leur vie afin de défendre les droits humains.
« L’État continue à aborder les risques auxquels sont confrontés les défenseur·e·s des droits humains dans le cadre d’une perspective totalement normative, matérielle et individuelle, et non pas dans une optique réaliste, collective et transformative. La protection des défenseur·e·s des droits humains ne doit pas être uniquement théorique, elle doit prendre la forme d’actes concrets et de solutions formulées par les personnes et groupes concernés par ces risques. Si les autorités écoutaient ce qu’ils ont à dire sur le sujet, l’environnement de travail des personnes défendant les droits humains en Colombie serait beaucoup plus sûr », a déclaré Fernanda Doz Costa.
« Les obligations relatives aux droits humains incombent aux trois branches de l’État, et il est impératif que le Congrès inscrive de manière permanente la question des défenseur·e·s de ces droits à l’ordre du jour et en fasse une priorité, notamment par le biais de la création d’une Commission de vérification des garanties pour les défenseur·e·s, qui obligent les membres de l’exécutif à rendre des comptes s’ils ne remplissent pas leur devoir de protection. »