• 31 Mar 2021
  • Canada
  • Article d'opinion

Lettre d'opinion. Puisqu’on parle du Québec ces jours-ci…

Par Jane Chen, jeune d'Amnistie internationale

J’ai lu il n’y a pas longtemps dans Le Journal de Montréal un texte qui depuis me hante. Ma première réaction était de continuer ma journée sans me soucier du contenu grossier qui y est présenté, puisque ce genre de discours me pique les oreilles quotidiennement et ne suscite plus un sentiment de nouveauté chez moi. Toutefois, en lisant les commentaires qui ont été laissés sous ce texte, j’ai ressenti une immense tristesse, et je ne pouvais m’empêcher de rédiger une réponse à ce dernier. Oui, je parle à vous, M. Bock-Côté. Non seulement vous avez tiré une phrase du texte de Mme Li hors de son contexte, mais encore vous avez vulgairement déformé le message important qui y est transmis.

Laissez-moi d’abord me présenter. J’ai immigré au Québec alors que j’étais très jeune et je suis d’origine chinoise, comme l’auteure du texte dont vous avez tordu le message. Je n’ai que fréquenté des écoles francophones, et j’ai le Québec tatoué sur le cœur. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le Québec a toujours été doux envers moi. Certes, il m’a bercé, mais il m’a aussi lancé des défis qui m’ont longtemps paru insurmontables. Il m’a appris à être forte, mais il m’a aussi fait comprendre que la résilience ne suffisait pas pour des jeunes comme moi, et que nous allons tôt ou tard nous faire abattre par les préjugés de la société.

Du désir d’appartenance de Mme Li vous avez déduit, de manière erronée, un rejet des Québécois francophones de sa part. Je vous invite à considérer son propos sous un autre angle : si elle dit qu’« [elle est] bien en Asie », ce n’est pas parce qu’elle « aimerait mieux vivre dans un environnement où les Québécois francophones sont moins présents ». Cette formulation relève plutôt, je crois, de la fatigue ressentie par les minorités visibles à force d’être considérés comme autres. Cela fait simplement du bien parfois de s’effacer dans la masse, de ne pas devoir être aux aguets d’une micro-agression, que cette dernière soit intentionnelle ou non. Ce n’est donc pas une attaque à la culture québécoise dominante, mais plutôt un souhait que cette dernière soit davantage en mesure d’écouter les personnes issues de contextes culturels différents.

Je crois fermement que les Québécois ont bel et bien droit de vouloir un pays où leur culture est la norme, mais cette culture, dans son état actuel, peut parfois étouffer sous le prétexte de l’autoconservation. Quand Mme Li parle des jeunes « qui vivent les mêmes sentiments qu’[elle a] ressentis à leur âge », elle parle de moi. Et je peux confirmer sa pensée : nous vivons toujours le dilemme qui oppose intégration et conservation. Je suis parfaitement francophone, mais mes parents m’ont donné un nom anglais, et on m’appelle de ce nom depuis que je suis née. Il sonne bien à l’oreille. Or, à travers les années que j’ai passées à l’école secondaire, plus d’une seule fois on a insisté de prononcer mon nom « à la française », car j’étais au Québec, et on parle français ici. Parfois, il s’agissait d’une blague, parfois non, mais ces paroles glaçaient d’effroi la petite fille de douze ans que j’étais. Maintenant, je comprends : le sentiment d’être « autrui » naît tôt. Ce genre d’intervention, dont je ne suis certainement pas la seule victime, suscite chez les jeunes immigrants le désir de se recroqueviller, désir qui les suivra pour longtemps et qui ne fera que s’accentuer avec le temps.

Je tiens à ajouter, M. Bock-Côté, que je ne vous en veux pas. Vos propos, quoique je les trouve déplacés, proviennent, j’en suis certaine, de l’amour que vous avez pour le Québec. Et je salue cet amour, que je partage d’ailleurs. En quelque sorte, nos histoires se croisent. Vous, défendant un peuple doté d’une résilience acquise au prix d’une négligence historique, et moi, déracinée et espérant fleurir sur une nouvelle terre, défendant le même peuple, mais espérant également que ce dernier puisse m’aimer comme je suis. 

J’espère simplement que vous pouvez réaliser que tous, incluant moi, agissent par amour. Il n’y a pas trop de Québécois au Québec. Au contraire, il n’y en a pas assez, et il est temps de considérer tous ces gens, qui osent et espèrent diriger le Québec vers un avenir plus éclairé, comme des Québécois. Après tout, critiquer un système dans le but de l’améliorer, n’est-ce pas la plus grande forme d’amour qui soit ?