Algérie. Il faut libérer un avocat défenseur des droits humains jugé pour de fausses accusations liées au terrorisme
Les autorités algériennes doivent libérer immédiatement l’avocat spécialisé dans la défense des droits humains Abderraouf Arslane et abandonner les accusations fallacieuses liées aux « fausses informations » et au terrorisme portées à son encontre au motif qu’il a défendu des militant·e·s du mouvement du Hirak et exprimé ses opinions en ligne, a déclaré Amnistie internationale le 29 novembre 2021 à la veille de l’ouverture de son procès le 30 novembre.
Abderraouf Arslane a été arrêté le 26 mai 2021 dans le tribunal de Tébessa, où il défendait trois militants – Aziz Bekakria, Redouane Hamidi et Azeddine Mansouri – arrêtés plus tôt dans la journée. Après l’audience, le procureur a ordonné le placement en détention d’Abderraouf Arslane dans l’attente des conclusions de l’enquête sur de vagues accusations de liens présumés avec des membres de Rachad, un mouvement politique non enregistré, ainsi que sur sa participation à des débats publics lors des manifestations de 2019-2021 en Algérie, aussi appelées mouvement du Hirak. Ces deux accusations ne constituent pas des infractions dûment reconnues par le droit international.
« Il est atterrant que les autorités algériennes incarcèrent un avocat simplement parce qu’il a fait son travail et a exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression. Le fait de détenir et de poursuivre Abderraouf Arslane adresse un message inquiétant aux avocats à travers le pays qui osent défendre des militant·e·s ou s’exprimer au sujet des droits humains, notamment dans le contexte de la répression qui s’abat sur la dissidence en Algérie actuellement, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Les autorités algériennes doivent libérer sans délai Abderraouf Arslane qui est maintenu en détention provisoire arbitraire, abandonner toutes les charges infondées portées à son encontre et mettre un terme au harcèlement judiciaire et à l’intimidation visant à réprimer illégalement ses activités légales. »
D’après les minutes de la session d’interrogatoire menée par le parquet, qu’Amnistie internationale a pu examiner, Abderraouf Arslane a été interrogé au sujet des vidéos en ligne dans lesquelles il évoque le mouvement du Hirak et critique la répression ciblant les militant·e·s. Il a aussi dû répondre à des questions au sujet de sa relation avec son client, Aziz Bekakria, détenu uniquement en raison de son appartenance au mouvement Rachad. En mai 2021, les autorités algériennes ont déclaré arbitrairement « organisations terroristes » Rachad et le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK), en raison de leur participation active au Hirak. Abderraouf Arslane affirme qu’il n’est pas membre de Rachad.
Abderraouf Arslane est inculpé d’« adhésion dans une organisation terroriste » au titre de l’article 87 du Code pénal, une infraction passible d’une peine allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement, et de « propagation de fausses informations » au titre de l’article 196, une infraction passible de trois ans d’emprisonnement et d’une amende.
Lors de son interrogatoire, il a déclaré au procureur qu’il représentait Aziz Bekakria dans le cadre des poursuites intentées contre lui pour avoir participé au mouvement du Hirak.
« Les poursuites engagées contre Abderraouf Arslane portent un coup fatal à l’état de droit et à l’accès à la justice en Algérie. Les autorités doivent veiller à ce que tous les avocats puissent faire leur travail essentiel sans craindre de représailles ni de restrictions arbitraires », a déclaré Amna Guellali.
Complément d’information
Depuis avril 2021, les autorités algériennes invoquent de plus en plus souvent des charges liées au terrorisme formulées en termes vagues, afin de poursuivre des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques. Des dizaines de personnes ont ainsi été arrêtées et poursuivies pour des faits de terrorisme en raison de leurs liens présumés avec Rachad et le MAK. C’est notamment le cas des défenseur·e·s des droits humains et journalistes Kaddour Chouicha, Saïd Boudour et Djamila Loukil, ainsi que 12 autres militant·e·s.
En 2014, la rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats s’est inquiétée de ce que « des avocats ont été sanctionnés en raison d’activités politiques, d’activités de plaidoyer, d’une confusion entre la cause de l’avocat et celle de son client et parce qu’ils représentaient des clients dans des affaires délicates ». Dans ce contexte, elle a appelé les gouvernements « à s’abstenir de faire condamner pénalement ou radier des avocats pour les réduire au silence, ou les empêcher de critiquer les politiques du gouvernement ou de représenter certains clients ».
Aux termes des Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau, les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats « puissent s'acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue » ; en outre, les avocats « ne doivent pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l'exercice de leurs fonctions ». L’assistance juridique est fondamentale pour le droit à un procès équitable, qui est inscrit dans de nombreux traités contraignants pour l’Algérie, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.