• 2 Sep 2020
  • Mexique
  • Communiqué de presse

Les exécutions à Nuevo Laredo doivent marquer un tournant dans la lutte contre les violations des droits humains

Par Raymundo Ramos et Duncan Tucker

Arturo Garza, étudiant en école d’ingénieurs et amateur de baseball, est sorti de chez lui pour aller rendre visite à sa petite amie samedi 27 juin dans la soirée. C’est la dernière fois que sa famille a vu le jeune homme de 19 ans vivant.

Le lendemain, ses proches l’ont cherché partout à Nuevo Laredo, une ville située à la frontière avec les États-Unis, dans l’État mexicain de Tamaulipas. Ils ont signalé sa disparition au parquet spécial pour les personnes disparues ou victimes d’enlèvement, mais ce n’est que le 3 juillet qu’ils ont appris qu’un échange de tirs avait eu lieu entre l’armée mexicaine et un groupe de criminels présumés, faisant 12 morts.

Une vidéo rendue publique par El Universal il y a quelques jours a révélé que des soldats ont poursuivi avec acharnement un pick-up, le criblant d’au moins 243 balles. À la fin de la vidéo, un soldat s’approche de l’arrière du véhicule et crie : « Il est vivant ! » Un autre répond : « Tue-moi ce connard. »

Couché à l’arrière du pick-up se trouvait Arturo, à côté d’Ángel Nuñez, un mécanicien de 27 ans qui avait disparu le 27 juin, et Damián Genovez Tercero, un migrant de 18 ans venu du Chiapas, qui manquait à l’appel depuis le 24 juin, date à laquelle il est sorti chercher du travail avec son cousin Alejandro Tercero, dont on est sans nouvelle.

Tous trois ont été abattus, mais contrairement aux autres hommes tués lors de cet affrontement, ils ne portaient ni armes ni uniforme, et avaient les pieds et les mains liés. Les éléments de preuve recueillis semblent indiquer qu’ils avaient été enlevés par une bande criminelle et que les soldats les ont exécutés illégalement.

« Mon fils ne méritait pas de mourir comme ça », a déclaré Hector Garza, le père d’Arturo. « Je ne souhaite ça à aucun parent, c’est trop de souffrance, ça me déchire le cœur. À vrai dire, je me sens trahi par le Mexique. »

Il ne s’agit malheureusement pas d’événements isolés. Amnistie internationale et le Comité des droits humains de Nuevo Laredo dénoncent depuis des décennies les violations graves des droits humains perpétrées au Mexique et notamment dans l’État de Tamaulipas, souvent attribuées aux forces armées.

La militarisation des stratégies de sécurité publique des gouvernements successifs, associée à une impunité galopante, a créé un environnement meurtrier dans lequel l’armée et la marine continuent à se rendre coupables de crimes de droit international, tels que des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées, à Tamaulipas et dans de nombreuses autres zones du pays.

Nous avons vu que les autorités rejettent souvent la faute sur les victimes, les présentant comme des tueurs à gages ou des éléments du crime organisé. Dans de nombreux cas, elles traitent les familles des victimes avec mépris et leur disent qu’elles n’ont pas le droit de chercher à obtenir justice. Les auteurs de violations doivent être traduits en justice conformément au droit en vigueur, et il faut protéger les victimes, et non pas les criminaliser, ni mettre leur vie en danger.

L’impunité est un facteur clé. Le Comité des droits humains de Nuevo Laredo a recueilli des informations sur des dizaines de cas d’exécutions extrajudiciaires présumées ces dernières années, mais le parquet général n’a engagé des poursuites dans aucune de ces affaires. Quelle que soit la quantité d’éléments de preuve disponibles, il semble qu’il n’y en ait jamais assez pour que justice soit faite.

Dans ce cas, comme dans tous les autres, les autorités doivent diligenter une enquête indépendante, impartiale et exhaustive afin de faire la lumière sur les faits et de traduire en justice les membres des forces armées soupçonnés d’être pénalement responsables. Elles ne peuvent continuer à priver les victimes et leurs proches de leurs droits à la vérité, à la justice et à des réparations pour les préjudices subis.

Il y a un an, le président Andrés Manuel López Obrador a déclaré : « Nul n’est autorisé à procéder à des exécutions, achever les blessés ou commettre des massacres. L’armée et la marine déploient de vastes efforts et agissent de manière très responsable, et j’ajouterais avec conviction, afin de réguler le recours à la force et s’abstenir de porter atteinte aux droits humains. »

Les événements récents semblent plutôt indiquer le contraire. Cet épisode douloureux doit être un tournant, et inciter le gouvernement et les forces armées à réfléchir de manière approfondie et à reconnaître leurs erreurs. Le Mexique ne supporte plus toute cette violence et en est arrivé à un stade où les paroles ne suffisent plus. Il est temps d’agir.

Pour en finir avec les crimes commis par les forces armées, le gouvernement doit réévaluer le rôle de celles-ci et celui du nouvel organe militaire de facto, la Garde nationale, et placer les droits humains au cœur de sa stratégie publique de sécurité. Les autorités doivent revoir intégralement les protocoles d’action et de recours à la force pour les forces armées, ainsi que le traitement réservé aux victimes et l’administration de la justice au Mexique.

Il convient également de prendre en considération la santé mentale des membres des forces armées, ainsi que la déshumanisation et les traumatismes émotionnels dont ils souffrent. Ils sont épuisés par des années d’affrontements violents et de missions de sécurité publique pour lesquelles ils n’ont pas reçu de formation adéquate. Un tel environnement a fait le lit de graves violations des droits humains.

Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie, et risquer de voir se reproduire des cas tragiques tels que ceux d’Arturo, Ángel et Damián. Ce que nous voulons, c’est un Mexique où les autorités viennent en aide aux victimes, protègent la population et respectent les droits humains.

Raymundo Ramos est le président du Comité des droits humains de Nuevo Laredo.

Duncan Tucker est le responsable des relations avec les médias pour la région des Amériques à Amnistie internationale.

 

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