L’appel de l’ONU à rendre des comptes pour les massacres des prisons de 1988, une étape décisive après trois décennies de luttes
Un groupe d’expert.es des Nations unies spécialisés dans les droits humains a adressé une communication au gouvernement iranien pour le mettre en garde, soulignant que les violations passées et actuelles liées aux massacres commis dans les prisons en 1988 étaient susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité, et qu’ils demanderaient une enquête internationale si ces violations perduraient, un appel pressant à rendre des comptes qu’Amnistie internationale a salué ce mercredi 9 décembre, veille de la Journée internationale des droits de l’homme.
« Cette communication des expert.es des Nations unies est une avancée capitale. Il s’agit une étape décisive pour le combat de longue date que mènent les familles de victimes et les survivant.es, avec le soutien d’organisations iraniennes de défense des droits humains et d’Amnistie internationale, pour mettre un point final à ces crimes et obtenir vérité, justice et réparation », a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe d’Amnistie internationale pour la région Afrique du Nord et Moyen-Orient.
« Les éminents spécialistes en droits humains des Nations unies font désormais passer un message sans équivoque et attendu de longue date : les crimes persistants que sont les disparitions forcées massives résultant des exécutions extrajudiciaires secrètes de 1988 ne peuvent plus être passés sous silence et rester impunis », a ajouté Diana Eltahawy.
Des décennies de crimes contre l’humanité
Entre fin juillet et début septembre 1988, des milliers de dissident.es politiques emprisonnés un peu partout en Iran ont été soumis à des disparitions forcées, puis exécutés extrajudiciairement en secret.
Pendant plus de trente ans, les autorités iraniennes ont systématiquement dissimulé les circonstances de leur mort et les lieux où se trouvaient les corps, soumettant ainsi les victimes, à savoir les personnes tuées et leurs familles survivantes, au crime de disparition forcée.
Dans leur communication de 18 pages, qui a d’abord été transmise de manière privée au gouvernement iranien le 3 septembre 2020, les expert.es des Nations unies, en substance, se sont dits vivement préoccupés par les informations faisant état du refus persistant de révéler le sort réservé à ces personnes et le lieu où elles se trouvent.
Ils se sont également dits alarmés de constater le refus des autorités de fournir aux familles des certificats de décès précis et complets, la destruction de fosses communes, la persistance de menaces et de harcèlement à l’égard des familles, l’absence d’enquêtes et de poursuites relatives à ces homicides, ainsi que les déclarations des autorités niant ou minimisant ces affaires et assimilant le fait de critiquer ces homicides à un soutien au terrorisme.
La communication souligne que ces disparitions forcées continuent dans les faits jusqu’à ce que le sort des personnes concernées et le lieu où elles se trouvent aient été établis.
Un appel au respect de l’obligation de rendre des comptes
En conséquence de leur appel à l’ouverture d’enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes sur tous les cas, l’exhumation des dépouilles et leur restitution aux familles, l’identification et la poursuite des auteurs présumés et l’octroi de réparations effectives aux victimes, les expert.es des Nations unies spécialisés en droits humains ont demandé à l’Iran des informations détaillées sur, entre autres :
- l’inscription ou non-inscription du nom des personnes exécutées dans les registres publics des enterrements ;
- les mesures prises pour identifier, reconnaître, protéger et commémorer les fosses communes profanées ;
- les données connues sur l’identité des personnes enterrées dans chaque fosse commune ainsi que les données sur les personnes non identifiées ;
- toute disposition visant à permettre aux familles d’honorer la mémoire de leurs proches et de leur rendre hommage sur les sites d’enterrement ;
- les dispositions juridiques visant à protéger les familles et les défenseur.es des droits humains qui cherchent des renseignements sur le sort des victimes de disparition forcée et sur le lieu où elles se trouvent et qui demandent justice.
Les expert.es des Nations unies ont également indiqué que si le gouvernement iranien continuait à refuser d’honorer ses obligations au regard du droit international relatif aux droits humains, ils appelleraient la communauté internationale à prendre des mesures pour enquêter sur ces affaires, notamment en diligentant une enquête internationale.
Depuis la publication, en 2018, du rapport d’Amnistie internationale intitulé Blood-soaked secrets: Why Iran's 1988 prison massacres are ongoing crimes against humanity, l’organisation appelle le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à établir un mécanisme international indépendant, impartial et efficace chargé de remédier à l’impunité pour les crimes contre l’humanité et les autres crimes de droit international identifiés dans ce rapport.
« L'analyse des expert.es des Nations unies, par son ampleur et sa force, est une étape capitale par rapport aux efforts que nous déployons actuellement pour amener le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à prendre des mesures afin de mettre un terme à l’impunité pour ces crimes contre l’humanité passés et actuels », a déclaré Diana Eltahawy.
Complément d’information
Les expert.es des Nations unies à l’origine de la communication de septembre 2020 sont : les membres du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, le rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, la rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition.
Amnistie internationale a recueilli des éléments tendant à prouver l’implication dans les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires de plusieurs personnes qui occupent toujours des postes de haut niveau, dont : le responsable actuel du pouvoir judiciaire, Ebrahim Raisi, le ministre actuel de la Justice, Alireza Avaei, l’ancien ministre de la Justice et conseiller actuel du responsable du pouvoir judiciaire, Mostafa Pour Mohammadi, le président de la Cour suprême disciplinaire des juges, Hossein Ali Nayyeri, et Mohamamd Hossein Ahmadi, membre de l’Assemblée des experts, organe constitutionnel habilité à désigner et révoquer le Guide spirituel d’Iran.