• 20 oct 2020
  • International
  • Communiqué de presse

La santé mentale et les droits fondamentaux des personnes en mouvement

PERSONNES EN MOUVEMENT

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière – tout en les aggravant – un grand nombre des problèmes les plus persistants de notre monde. Parmi ces problèmes figure le non-respect du droit des personnes réfugiées et migrantes au meilleur état de santé physique, mais aussi mentale - en dépit de l’inscription de celui-ci dans le droit international. 

LES CONSÉQUENCES DE LA PANDÉMIE SUR LA SANTÉ MENTALE

En mai 2020, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré que la pandémie était déjà « en train de déclencher une crise en matière de santé mentale » parmi les réfugié·e·s et d’autres personnes déplacées. Parmi les facteurs contribuant à cette crise, le HCR a mis en évidence la peur de la contamination, le confinement et les mesures d’isolement, la stigmatisation, la discrimination, la perte de revenu ainsi que l’incertitude quant à l’avenir. De même, l’Organisation internationale pour les migrations a attiré l’attention sur les effets disproportionnés de la pandémie sur les personnes déplacées, qui sont vulnérabilisées par des facteurs tels que la fragilité des structures d’aide sociale, la détérioration de l’accès aux services sanitaires et sociaux, la précarité du logement et le risque d’exploitation et de mauvais traitements.

Bien sûr, les réfugié·e·s et les migrant·e·s ne sont pas les seules personnes dont la santé mentale et l’accès aux services adaptés ont été dégradés par la pandémie. En juin 2020, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé, Dainius Pūras, a déclaré que la pandémie avait aggravé les « négligences de longue date en matière de dignité des soins de santé mentale ». Il a observé que cela se produisait au moment même où le besoin de ces soins se faisait encore plus pressant, dans le contexte de la distanciation sociale, du déclin économique, du chômage et des violences notamment au sein de la famille, qui sont autant de facteurs d’augmentation de l’anxiété et de la souffrance psychique. 

LES BESOINS DES PERSONNES RÉFUGIÉES ET MIGRANTES EN MATIÈRE DE SANTÉ MENTALE

Les besoins des personnes réfugiées et migrantes en matière de santé mentale peuvent souvent être bien différents de ceux des citoyens et des résidents de longue date, mais aussi considérablement plus importants. Certaines personnes arrivent dans un nouveau pays après avoir subi de terribles épreuves chez elles ainsi qu’au cours de leur périple vers un lieu sûr. Cela peut avoir des effets immédiats et parfois durables sur leur bien-être physique et mental. Après leur arrivée, ces personnes sont souvent en butte au racisme et à d’autres formes de discrimination, se voient refuser l’accès à des services essentiels, et subissent la xénophobie, l’hostilité, la barrière de la langue, le chômage et la pauvreté. 

Si la migration peut certes être un processus extrêmement difficile, cette expérience se voit souvent sur-pathologisée, ce qui se traduit par une attitude condescendante envers les personnes réfugiées, demandeuses d’asile et migrantes. Les personnes qui se retrouvent en détresse psychologique lorsqu’elles sont confrontées au danger et à des difficultés dans le contexte de leur migration ne font que réagir de façon normale à leurs expériences. Pour le rapporteur spécial sur le droit à la santé, « [l]e fait d’envisager ces réactions dans le cadre médical du "traumatisme", des "troubles" ou de la "maladie" enferme les personnes dans une représentation qui limite la richesse et les possibles de leur vécu en tant qu’être humain. Il est préoccupant de voir comment ce cadre peut conduire au paternalisme et, partant, à sous-estimer et saper le potentiel inhérent à chacun d’intervenir dans sa propre santé mentale en tant que participant actif et comme titulaire de droits disposant de moyens d’action, plutôt que comme bénéficiaire passif des soins prodigués ».

Les données disponibles sur les besoins en matière de santé mentale des réfugiés et des migrants par rapport à ceux des citoyens font apparaître un tableau contrasté. Plusieurs études ont montré une forte variation des taux de pathologies mentales chez les personnes réfugiées et migrantes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré qu’« il n’existe pas de données claires et concordantes quant à une plus forte prévalence de troubles psychotiques, de l’humeur ou anxieux chez les réfugié·e·s et les migrant·e·s au moment de leur arrivée par rapport aux populations hôtes. Le seul trouble pour lequel des différences substantielles et persistantes en matière de prévalence ont été observées est le trouble de stress post-traumatique. » En Europe, l’OMS a mis en évidence un taux élevé de surconsommation d’alcool et de drogues, de dépression et d’anxiété chez les populations migrantes installées dans cette région. Au Canada, par contre, le taux de « troubles mentaux » chez les nouveaux arrivants est souvent légèrement plus faible que celui de la population générale. En ce qui concerne la dépression, des études ont montré une prévalence allant de 5 % à 44 % au sein des groupes de réfugié·e·s et de migrant·e·s, contre 8 % à 12 % dans la population générale. Le problème se pose avec plus d’acuité dans le contexte des camps de réfugié·e·s qu’en dehors de ces camps. Dans les structures de l’île grecque de Lesbos, par exemple, qui sont surpeuplées et présentent un manque chronique de ressources, Médecins sans frontières (MSF) a mis en évidence des « besoins extrêmement importants en matière de soins de santé mentale » .

LACUNES DANS L’ÉTABLISSEMENT DES PRIORITÉS ET SOUTIEN INADÉQUAT CONCERNANT LE BIEN-ÊTRE PSYCHIQUE DES PERSONNES EN MOUVEMENT

Il existe très peu de données sur la disponibilité réelle des services de santé mentale pour les personnes en déplacement, ce qui constitue en soi un problème auquel il faut remédier. Cela dit, d’après les informations disponibles, il est clair que ces services ne sont pas adaptés. En 2015, le financement public par habitant de l’ensemble des services de santé mentale allait de 0,10 dollar américain en Afrique et en Asie du Sud-Est à 11,80 dollars sur le continent américain et 21,70 dollars en Europe. La même année, dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire faible, le niveau médian des dépenses publiques par habitant dans le domaine de la santé mentale était respectivement de 0,02 dollar et 1,05 dollar. Étant donné que la grande majorité (85 %) des réfugié·e·s dans le monde vivent dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire faible, la plupart des besoins de ces personnes en matière de santé mentale sont vraisemblablement non satisfaits, au vu des sommes négligeables qui sont globalement consacrées à la prestation de services. Ces observations sont étayées par les conclusions d’une évaluation internationale des programmes de santé publique menée en juin 2020 par le HCR, dans laquelle cette organisation a montré que les réfugié·e·s pâtissent d’un manque en matière de services de santé mentale intégrés. En ce qui concerne les personnes migrantes, la situation au regard de la législation sur l'immigration est souvent ce qui détermine l’accès aux soins de santé, et l’Organisation mondiale de la santé indique que nombre d’entre elles se voient refuser cet accès. Le fait que les pays à revenu élevé n’encouragent pas les initiatives des pays moins riches pour soutenir la santé mentale des personnes se trouvant sur leur territoire constitue un autre problème de taille ; entre 2007 et 2013, seul 1 % du budget de l’aide internationale pour la santé était consacré à la santé mentale.

Il est essentiel de souligner que le sous-financement des services de santé mentale nuit à tout le monde, et pas uniquement aux personnes réfugiées et migrantes. La communauté internationale a collectivement échoué à financer adéquatement les services de santé mentale. En 2015, les dépenses des États dans le domaine de la santé mentale représentaient moins de 2 % de la valeur médiane des dépenses publiques mondiales dans le domaine de la santé, et le niveau médian des dépenses de santé mentale dans le monde n’était que de 2,5 dollars des États-Unis par habitant. 

En effet, Apostolos Veizis, directeur de l’unité d'appui aux opérations de MSF en Grèce, souligne l’importance d’une approche globale de la santé mentale des personnes en déplacement, qu’il est possible de mettre en œuvre en veillant à ce que les services soient également accessibles à la population du pays d’accueil, car de nombreuses populations locales sont elles aussi mal desservies. 

POLITIQUES ET PRATIQUES MIGRATOIRES, OU COMMENT AGGRAVER UNE SITUATION DÉJÀ DIFFICILE

Non seulement la plupart des États négligent de fournir aux personnes présentes sur leur territoire des services de santé mentale adaptés, mais de nombreux pays – particulièrement les plus riches et ceux accueillant le moins de réfugiés – mettent activement en œuvre des politiques migratoires qui aggravent la souffrance des personnes en mouvement. 

En Grèce, Apostolos Veizis, directeur de l’unité d'appui aux opérations de MSF en Grèce, explique : « Les conditions de vie sur les îles grecques fragilisent des personnes qui n’étaient pas particulièrement vulnérables à l’origine, et aggravent l’état de celles qui l’étaient déjà. Cette situation montre clairement, une fois de plus, que les politiques migratoires nées de l’accord sur l'immigration entre la Turquie et l'Union européenne signé en 2016 créent des souffrances inutiles et mettent de nombreuses vies en danger. » Aux termes de cet accord, les demandeurs d’asile qui arrivent sur les îles grecques doivent être remis à la Turquie, tandis que ce pays a accepté d’empêcher les personnes migrantes de quitter son territoire pour se rendre en Europe. En échange, l’Union européenne a versé à la Turquie des milliards de dollars pour la soutenir dans cette entreprise. Pourtant, le transfert des personnes migrantes depuis les îles grecques vers le reste de l’Europe s’est avéré extrêmement lent, ce qui a entraîné une dégradation extrême de leurs conditions de vie et une surpopulation choquante de ces territoires – plus de 600 % à la mi-2020. Selon MSF, l’accord en lui-même a un effet direct sur la souffrance mentale des réfugié·e·s bloqués sur les îles grecques ; en effet, des centaines de consultations sur Lesbos et Samos ont mis en évidence une « dégradation nette de la santé mentale des personnes immédiatement après la mise en œuvre [de l’accord]  ».

MSF a indiqué qu’à Nauru, qui accueille le système australien de traitement extraterritorial, régime délibérément punitif, l’anxiété au sein de la population réfugiée sur l’île compte parmi les plus graves jamais observées par l’organisation. Amnistie internationale a fait des constats similaires dans le cadre de ses recherches, ce qui a amené l’organisation a affirmer que la cruauté délibérée et systématique de ce régime s’apparente à la torture au titre du droit international. 

Aux États-Unis, Amnistie internationale est arrivée à la même conclusion à propos de la politique gouvernementale consistant à séparer les enfants migrants de leurs parents et à les détenir dans des centres surpeuplés, et a ainsi déclaré : « Les graves souffrances psychologiques que des représentant·e·s de l’État ont volontairement infligées aux familles à des fins de coercition ont fait de ces mesures des actes de torture au titre du droit américain et international. »

On sait que même des formes de détention moins cruelles causent des souffrances mentales, et que leurs effets sont particulièrement graves sur les enfants. Pourtant, plus de 100 pays continuent de placer systématiquement des enfants en détention pour des motifs liés à leur statut migratoire.

SANTÉ MENTALE ET DROITS HUMAINS

Au lieu de mener activement des politiques migratoires néfastes et de sous-financer les services de santé mentale, les États devraient fonder leur approche du bien-être des personnes réfugiées et migrantes sur les normes et le droit international en matière de droits humains, qu’ils sont tenus de respecter. 

Le droit international est sans ambiguïté en ce qui concerne le droit des personnes réfugiées et migrantes à jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible et ce, sans discrimination. Ce droit est inscrit dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), l’un des outils internationaux les plus ratifiés dans le monde. Le PIDESC est complété par d’autres outils, comme la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant.

Comme c’est le cas pour tout droit social ou économique, certains aspects du droit à jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible sont concrétisés progressivement, en fonction des moyens du pays – qui comprennent à la fois les ressources propres de l’État et la coopération et l’assistance internationales. Néanmoins, certaines obligations doivent être appliquées immédiatement, comme l’interdiction de la discrimination, y compris en raison de l’origine nationale, du statut à la naissance ou du statut juridique. Cela concerne également les personnes étant en situation irrégulière au regard de la législation sur l’immigration ou n’ayant pas de statut migratoire établi par des documents.

Des expert·e·s internationaux ont déjà élaboré des lignes directrices utiles sur la façon dont garantir ce droit dans la pratique, et recommandent notamment de placer les droits humains au cœur des politiques et des stratégies relatives à la santé mentale. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé a affirmé que pour que les États garantissent le droit à la santé des personnes en déplacement, ils devraient mettre en place les éléments suivants : une stratégie nationale relative à la santé mentale qui tienne compte des personnes migrantes et réfugiées ; un projet concret de création d’un mécanisme de coordination qui prendra en main la santé et le bien-être des personnes en déplacement, et qui se fera avec la participation de ces personnes ; et une feuille de route qui se détourne des traitements coercitifs pour viser une égalité d’accès aux services de santé mentale. Pour les personnes réfugiées n’ayant pas encore atteint un endroit sûr et se trouvant encore en situation d’urgence, le Comité permanent interorganisations a élaboré des consignes pratiques et détaillées.

CONCLUSION

Les gouvernements ont échoué à faire passer en priorité le bien-être mental des personnes, malgré son importance indiscutable, et n’ont pas apporté le financement et les services adaptés aux personnes réfugiées et migrantes. En outre, de nombreux gouvernements mettent activement en œuvre des politiques migratoires qui aggravent les situations déjà difficiles en matière de santé mentale des personnes en mouvement. 

Les États doivent ancrer leurs politiques et leurs pratiques dans les normes internationales qui les engagent en matière de droits humains. Cela signifie au moins trois choses. Premièrement, ils doivent faire en sorte que leurs politiques sanitaires tiennent pleinement compte des personnes réfugiées et migrantes, dans le but de garantir le meilleur état de santé physique et mentale susceptible d'être atteint. Deuxièmement, les États les plus riches doivent aider de manière adaptée les pays à plus faible revenu dans leurs initiatives visant à respecter, à protéger et à garantir le droit des personnes – y compris des personnes en mouvement – au sein des territoires relevant de leur responsabilité. Troisièmement, les États doivent s’abstenir de mettre en œuvre des politiques et des pratiques qui violent les droits humains et provoquent des souffrances psychiques, telles que la séparation de familles et la détention d’enfants. 

La pandémie de COVID-19 est un redoutable défi pour toute l’humanité, qui menace non seulement nos moyens de subsistance, mais aussi notre vie. Dans le même temps, elle donne à notre communauté mondiale un nouvel élan vers une refonte de nos sociétés, afin de les rendre plus saines, plus inclusives et plus équitables.