• 18 Aoû 2020
  • Égypte
  • Communiqué de presse

Parmi les influenceuses TikTok poursuivies en justice, certaines ont été victimes d’agressions sexuelles et de violences en ligne

Les autorités égyptiennes doivent immédiatement cesser de réprimer les influenceuses TikTok poursuivies pour des accusations absurdes d’« atteinte aux bonnes mœurs » et de « violation des principes et des valeurs de la famille », a déclaré Amnistie internationale le 13 août 2020. Parmi les influenceuses sur les réseaux sociaux qui font les frais des méthodes répressives mises en œuvre par les autorités pour régenter le cyberespace en contrôlant le corps et la conduite des femmes et en sapant leur capacité à mener une vie indépendante, certaines ont dénoncé des agressions sexuelles, des violations de leur droit à la vie privée et des violences en ligne.

Depuis le mois d’avril, 10 influenceuses TikTok ont été arrêtées et inculpées de violation de la loi draconienne sur la cybercriminalité et d’autres dispositions légales très vagues en lien avec les « bonnes mœurs » et l’« incitation à l’immoralité ». Elles ont toutes de nombreux abonné·e·s sur les réseaux sociaux, allant de centaines de milliers à plusieurs millions. Quatre d’entre elles ont été condamnées à des peines comprises entre deux et trois ans d’emprisonnement et à de lourdes amendes, tandis que les six autres attendent leur procès.

Après avoir mené des entretiens avec leurs avocats et leurs proches, et examiné des investigations réalisées par le parquet et des documents judiciaires portant sur cinq affaires, Amnistie internationale dévoile des éléments inquiétants.

« Dans l’un des cas, une influenceuse sur les réseaux sociaux a posté une vidéo en live, apparaissant le visage couvert de contusions, implorant l’État de poursuivre en justice les hommes qu’elle accusait de l’avoir violée. Elle a été arrêtée, ses agresseurs présumés également, et leurs déclarations ont servi de base pour l’inculper d’" incitation à la débauche " et de " violation des principes et des valeurs de la famille ", a déclaré Lynn Maalouf, directrice régionale par intérim pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnistie internationale.

« Au lieu de contrôler les femmes en ligne, le gouvernement doit s’attacher à enquêter sur les nombreux cas de violences sexuelles et de violences fondées sur le genre dont sont victimes les femmes et les filles en Égypte et doit prendre des mesures fermes afin de combattre la discrimination fondée sur le genre, en droit et en pratique. »

Dans au moins deux autres cas, les tribunaux ont utilisé à titre de « preuves » des photos privées ayant été divulguées pour faire chanter ces femmes, alors qu’elles avaient déjà signalé des violences à la police.

Le 29 avril 2020, peu après l’arrestation des premières influenceuses TikTok, le parquet a publié une déclaration « réaffirm[ant] sa détermination à poursuivre le combat contre les crimes honteux qui bafouent les principes et les valeurs de notre société », avertissant de nouveau le 2 mai que l’Égypte protégeait « la nouvelle cyberfrontière… piétinée par les forces du mal ».

 

Poursuivies pour avoir « bafoué les valeurs de la famille » ou « montré ses charmes »

Depuis le mois de juin, les tribunaux égyptiens ont condamné Manar Samy et Sama El Masry, actives sur les réseaux sociaux, à trois ans de prison, et Hanin Hossam et Mawada el Adham à deux ans de prison, pour de vagues accusations de « violation des principes et des valeurs de la famille » et d’incitation à « l’immoralité » et à « la débauche ». Leurs audiences d’appel doivent avoir lieu dans les prochaines semaines. Six autres femmes attendent d’être jugées pour des accusations similaires.

D’après les dossiers, les verdicts et les témoignages d’avocats, ces femmes sont sanctionnées en raison de la manière dont elles s’habillent, agissent, « influencent » un public plus large sur les réseaux sociaux et gagent de l’argent en ligne. Elles se sont retrouvées sur le banc des accusés à la suite de plaintes déposées par des hommes soi-disant outrés par leur comportement et d’investigations menées par le service du ministère de l’Intérieur en charge de la moralité.

Dans l’affaire concernant Sama el Masry, danseuse du ventre, sa photo en maillot de bain a été retenue à titre de preuve pour la déclarer coupable d’avoir publié des vidéos et des photos « montrant ses charmes » et présentant « des mouvements et des expressions suggestifs à caractère sexuel ».

« Les autorités égyptiennes doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les influenceuses TikTok et abandonner les accusations scandaleuses portées à leur encontre. Elles doivent aussi abroger ou modifier toutes les lois restreignant l’autonomie corporelle, le droit à la vie privée et la liberté d’expression et de croyance au nom de la " moralité " ou des " bonnes mœurs ", a déclaré Lynn Maalouf. 

« Criminaliser les femmes parce qu’elles exercent ces droits va à l’encontre du droit international et perpétue une culture de l’inégalité et de la violence à leur égard. »

 

Traitée comme une criminelle après avoir dénoncé un viol

Menna Abdelaziz, influenceuse de 18 ans, a posté une vidéo en live sur Instagram le 22 mai pour appeler à l’aide. Elle est apparue le visage couvert de contusions et a affirmé avoir été violée, frappée et filmée sans son consentement.

Amnistie internationale a appris qu’elle avait auparavant tenté de déposer plainte au poste de Talbiya, au Caire. Toutefois, les policiers l’ont renvoyée vers un autre poste car les faits s’étaient déroulés dans une autre juridiction géographique.

Le 26 mai, les forces de sécurité ont arrêté Menna Abdelaziz et les six hommes accusés de l’avoir agressée. Selon son avocat, les procureurs l’ont interrogée pendant près de huit heures et se sont fondés sur les déclarations des inculpés pour l’accuser de « violation des principes et des valeurs de la famille » et d’« incitation à la débauche ».

Le parquet reproche aux victimes de violence sexuelle d’avoir « partagé » publiquement leurs récits d’« attentat à la pudeur », au lieu de les signaler de manière privée aux forces de sécurité.

Menna Abdelaziz se trouve aujourd’hui dans un centre d’accueil gouvernemental pour les victimes de violences, où elle continue de faire l’objet d’une enquête. Amnistie internationale avait déjà fait part de ses inquiétudes au sujet du fonctionnement de ces refuges, qui imposent notamment des restrictions à la liberté de mouvement.

« Poursuivre une victime d’agression sexuelle qui demande publiquement de l’aide est une injustice choquante qui risque de décourager d’autres femmes de s’exprimer et de dénoncer de tels faits. Au contraire, les femmes qui subissent des atteintes sexuelles doivent avoir accès à des recours adéquats et en temps voulu, notamment à des soins médicaux et à une aide psychologique, et les autorités doivent mener des investigations approfondies et impartiales sur les crimes qu’elles dénoncent », a déclaré Lynn Maalouf. 

 

Retenir à titre de « preuves » des photos privées ayant fuité

Le 15 mai, les forces de sécurité ont arrêté l’influenceuse sur les réseaux sociaux Mawada el Adham et le procureur a ordonné sa détention pour plusieurs chefs d’inculpation, notamment « violation des principes et des valeurs de la famille ». Selon son dossier, qu’Amnistie internationale a pu consulter, 17 photos décrites comme « indécentes » ont été présentées à titre de preuves contre elle. Mawada el Adham a affirmé que ces photos avaient été divulguées à partir de son téléphone après qu’on le lui ait volé en mai 2019. À ce moment-là, elle avait signalé le vol et la divulgation des photos, mais au lieu d’enquêter, la police lui avait simplement demandé pourquoi elle avait elle-même pris ces clichés.

En outre, des photos privées ont été présentées à titre de preuves contre l’actrice et mannequin Manar Samy au tribunal. Amnistie internationale a appris qu’elle avait porté plainte en 2018 contre son ex-mari, l’accusant d’avoir rendu publiques des photos intimes qu’il avait prises lors de leur mariage, en vue de la faire chanter et d’obtenir la garde de leur fille. Le 29 juillet 2020, elle a été condamnée à trois ans de prison et à une amende de 300 000 livres égyptiennes (16 000 euros). Elle est actuellement en liberté sous caution.

 

Oser gagner sa vie en ligne

Les recherches d’Amnistie internationale indiquent que les poursuites sont en partie liées à la popularité de ces femmes sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à leur capacité à gagner leur vie de manière indépendante grâce à TikTok et d’autres plateformes de réseaux sociaux.

L’examen du verdict d’Hanin Hossam montre qu’elle a été condamnée en raison de « sa popularité sur les plateformes de réseaux sociaux et de son influence sur les jeunes filles ». Hanin Hossam est aussi inculpée dans le cadre d’une autre affaire d’implication dans le « trafic d’êtres humains » en lien avec une vidéo postée sur Instagram, dans laquelle elle encourageait les femmes de plus de 18 ans à poster des vidéos d’elles-mêmes sur l’application Likee, qui est monétisée en fonction du nombre de vues. En examinant cette vidéo, Amnistie internationale n’a trouvé aucun élément crédible permettant de la relier à une infraction dûment reconnue par le droit international.

L’avocat de Manar Samy a déclaré que son mandat d’arrêt se fondait sur une plainte déposée par un autre avocat, selon lequel ses vidéos de danse étaient « indécentes » et avaient pour objectif « d’attirer l’attention et de gagner de l’argent ».

D’après une déclaration du procureur général, une situation sociale difficile a conduit Menna Abdelaziz « avec son manque d’expérience, de compétence et la faiblesse de sa personnalité à rechercher la gloire par tous les moyens ».

 

Complément d’information

Les défenseur·e·s égyptiens des droits des femmes appellent de leurs vœux des réformes globales en droit et en pratique depuis des années afin de remédier aux violences sexuelles et fondées sur le genre, notamment l’anonymat et la sécurité des victimes et des témoins en vue de les encourager à dénoncer les violences sexuelles. Le 8 juillet, le conseil des ministres égyptien a adopté un amendement de procédure autorisant le parquet à ne pas révéler l’identité et les informations personnelles des victimes dans leurs dossiers en cas de violences sexuelles.

 

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