• 13 nov 2020
  • Canada
  • Communiqué de presse

Réunion des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux : La coopération pour faire respecter les droits humains au Canada s’avère toujours insuffisante

À la suite de la rencontre des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables des droits humains, les 24 groupes de la société civile qui ont participé à la session de discussion avec les ministres au cours de cette rencontre ont condamné l’attitude d’obstruction de certains gouvernements et exprimé leur déception quant à l’incapacité des  gouvernements à réellement faire progresser un programme de collaboration, pourtant essentiel à la mise en œuvre cohérente et efficace des obligations internationales du Canada en matière de droits humains.

Cette rencontre, de deux demi-journées consécutives les 9 et 10 novembre, n’était que la troisième au cours des 32 dernières années, à réunir des ministres de tout le pays pour discuter de la protection des droits humains au Canada. Les réunions précédentes avaient eu lieu en 1988 et en 2017. Cette attention politique très sporadique pour un programme des droits humains intergouvernemental au Canada inquiète depuis longtemps les groupes de la société civile, les organisations autochtones, les instances des Nations Unies sur les droits humains et les comités parlementaires.

En amont et durant la rencontre de cette semaine, des groupes ont fait pression sur les gouvernements pour qu’ils s’engagent dans une réforme législative nationale qui obligerait légalement les gouvernements à adopter une approche collaborative, responsable, cohérente, transparente et bien coordonnée, afin de mettre en œuvre efficacement les obligations internationales du Canada en matière de droits humains. Partout au pays, les gens en ont besoin et ne méritent rien de moins. Aucun engagement n’a toutefois été pris dans ce sens.

Un seul nouvel engagement concret émerge de la rencontre de cette semaine, la création d’un Forum des ministres responsables des droits humains qui se réunira tous les deux ans. Il n'y a eu aucune forme d’engagement préalable de la société civile pour ce Forum, ni même d’indication sur l’intention de créer cette plateforme. Les groupes de la société civile accueillent, avec une certaine réserve, ce développement et espèrent que cela améliorera le leadership politique intergouvernemental et la coordination qui ont fait cruellement défaut au Canada au cours des dernières décennies. Il est essentiel que ce Forum comprenne un engagement significatif des organisations des peuples autochtones et des groupes de la société civile. En l’absence d’informations complémentaires quant à son mandat ou à ses méthodes de travail, ce que le Forum aura véritablement à offrir demeure encore incertain à cette étape.

Les groupes déplorent que deux gouvernements provinciaux aient essentiellement boycotté la réunion de cette semaine. Les gouvernements du Québec et de l’Alberta ont refusé d’envoyer leurs ministres responsables pour participer à la réunion, désignant plutôt des représentants du gouvernement pour observer les débats.

  • Le gouvernement du Québec a décliné l’invitation parce qu’il s’oppose à ce qu’on inclut une référence au racisme « systémique » dans le communiqué final, une position qui ignore, de façon flagrante, la réalité indéniable du racisme systémique profondément enraciné dans la province et dans tout le Canada, et qui ainsi mis en lumière la présence du racisme systémique dans tout le pays.
  • Le gouvernement de l’Alberta n’a pas participé parce qu’il considère que la province n’est pas tenue de rendre des comptes ou de s’impliquer dans les instruments ou les mécanismes internationaux dont elle n’est pas partie prenante, une position qui contrevient au droit international qui précise clairement que le fédéralisme ne constitue pas une excuse ou une justification pour éviter de se conformer aux obligations internationales.

Les positions politisées et sans fondements prises par ces deux gouvernements, ainsi que leur attitude cavalière de se tenir à l’écart d’une rencontre aussi importante, démontrent le peu d’importance qu’on accorde aux droits humains, une prise de position particulièrement troublante étant donné les sérieux enjeux de droits humains au pays et la faible fréquence de telles rencontres.

En 2017, à l'occasion d’une première rencontre en 29 ans, les ministres ont pris plusieurs engagements pour renforcer leur collaboration envers la protection des droits humains au Canada. Depuis, l’absence d’avancées significatives est stupéfiante et le demeure après la réunion de cette semaine :

  • En 2017, les ministres avaient pris en compte l’appel de la Commission de vérité et réconciliation auprès des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, « d’adopter dans son entièreté et de mettre en œuvre » la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Trois ans plus tard, seuls les gouvernements de la Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest l’ont fait, alors que le gouvernement fédéral promet que cette législation sera déposée d’ici la fin de cette année. Qu’il n’y ait aucune référence à cette Déclaration dans le communiqué final de la réunion de cette semaine est une omission choquante et inacceptable.
  • En 2017, les ministres avaient réaffirmé leur engagement pour la mise en œuvre progressive des droits économiques, sociaux et culturels, souligné l’importance de ces droits, et s’étaient entendus pour promouvoir les principes des droits humains dans l’élaboration des politiques sociales. Toutefois, la pandémie a cruellement mis en lumière l’incapacité du Canada à mettre en œuvre les droits sociaux et économiques, et les menaces à la vie et à la santé que cela a engendré pour les personnes en situation de précarité. Il est urgent que les gouvernements agissent maintenant, de manière concertée, pour la mise en œuvre des droits sociaux et économiques. Devant les menaces grandissantes aux droits humains posées par les changements climatiques et autres crises écologiques, il est essentiel que les droits environnementaux soient ajoutés à l’équation. Mais malheureusement, au cours des huit derniers mois de réponse à la pandémie de COVID-19, aucun gouvernement n’a appliqué un cadre de référence explicite des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux pour analyser les problèmes que cela a révélé ou pour structurer des solutions.

En avril 2020, une proposition, largement endossée par 302 groupes de la société civile, d’organisations des peuples autochtones et d’un vaste éventail d’experts, adressée aux gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux, visait à instituer une surveillance significative des droits humains dans les réponses à la COVID-19. Elle n’a été prise en compte par aucun des gouvernements de ce pays.

Au cours de la rencontre de cette semaine, les ministres ont discuté des implications de la pandémie de COVID-19 sur les droits humains et ont convenu qu’« il est important que les principes des droits humains soient pris en compte dans l’élaboration de plans pour une relance post-pandémie solide et équitable pour tous les Canadiens et les Canadiennes », mais n’ont reconnu d’aucune façon, ni fait aucune référence aux droits sociaux et économiques de manière spécifique. La proposition de surveillance des droits humains dans les réponses à la COVID-19 n’a pas été abordée.

  • En 2017, les ministres s’étaient engagés à examiner la possibilité d’adhérer à trois importants traités internationaux sur les droits humains. Le Canada est éventuellement devenu Partie de l’un de ces instruments, le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.  Mais il ne semble y avoir aucune indication voulant que le Canada devienne signataire, dans un avenir rapproché, du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture, qui établit des mécanismes essentiels pour la prévention de la torture, ou de la Convention des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Au cours de la réunion de cette semaine, les ministres ne sont pas allés plus loin que de réitérer la possibilité d’adhérer à ces traités.  

Par ailleurs, le Canada n'a toujours pas ratifié la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles ni le protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ou l'un des traités des droits humains de l'Organisation des États américains. Aucun rapport public n'a été publié pour expliquer que le Canada n’ait pas ratifié ces traités.

En 2017, les ministres se sont aussi engagés à instituer des réformes structurelles pour améliorer leur coordination et leur coopération afin de répondre aux obligations internationales du Canada en matière de droits humains : 

  • Ils ont convenu de «renforcer la coopération FPT grâce à un mécanisme de haut niveau ».  Un Comité de hauts fonctionnaires responsables des droits humains a été créé, mais il ne rend pas de comptes au public, ne divulgue pas son ordre du jour, et n’a pas de relations régulières avec la société civile ou les organisations des peuples autochtones. Ce comité recevra dorénavant son orientation du Forum des ministres responsables des droits humains qui verra le jour bientôt.
  • Ils se sont engagés à élaborer un « protocole de suivi des recommandations'' que le Canada reçoit des organismes internationaux des droits de la personne et une stratégie de mobilisation. » À notre grande surprise, un protocole et une stratégie ont été adoptés par les ministres participant à la rencontre, après une consultation minimale au cours des trois dernières années. L’absence d’implication significative des parties prenantes dans l’élaboration d’une stratégie de mobilisation est déconcertante. Le protocole et la stratégie ont été endossés tous les deux lors de la rencontre, mais il reste encore à les rendre publics ou à les partager avec la société civile.

Que les gouvernements soient si réticents et semblent si incapables de travailler ensemble sérieusement pour répondre à la responsabilité collective qu’ils partagent, qui est d’assurer que les obligations internationales du Canada en matière de droits humains soient mises en œuvre de façon cohérente et efficace, dépasse l’entendement.

L’approche désordonnée et inefficace du Canada à la coordination intergouvernementale de mise en œuvre de ses obligations en matière de droits humains pose un double problème. D’abord, il s’agit clairement d’un problème sérieux au niveau domestique puisque cela mine les efforts pour s’attaquer aux importantes et récurrentes violations des droits humains. Deuxièmement, la diplomatie du Canada sur la question des droits humains s’en trouve affaiblie sur le plan international, ce qui empêche nos diplomates d’encourager d’autres nations à prendre des mesures que nous n’avons pas réussi à prendre nous-mêmes.  

Dans le futur, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux qui collaborent avec les organisations des peuples autochtones et les groupes de la société civile, devront saisir les importantes occasions qui se présentent en matière de droits humains. Par exemple, 2021 marque le 20e anniversaire de la Conférence mondiale contre le racisme et de sa Déclaration et Programme d'action de Durban, ainsi que le 60e anniversaire de la Convention des Nations unies sur les réfugiés. En 2021, le bilan du Canada en matière de droits humains doit également être examiné par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies.

Au cours des dernières années, plusieurs de nos groupes ont fait de nombreuses présentations, recommandations et suggestions aux gouvernements pour améliorer leur approche pour la mise en œuvre des droits humains. Il devient évident que la solution ne se trouve pas dans des ajustements à ce qui est déjà en place, mais plutôt dans un leadership audacieux pour promouvoir un agenda des droits humains véritablement transformateur.

Action Canada pour la santé et les droits sexuels
Amnistie Internationale
Amnesty International Canada
BC Civil Liberties Association
La Ligue des Noirs du Québec
Canada Without Poverty
Association Canadienne des Libertés Civiles
Conseil canadien pour les réfugiés
L'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale
Centre for Equality Rights in Accommodation
Chinese and Southeast Asian Legal Clinic
Colour of Poverty - Colour of Change
Council of Agencies Serving South Asians
Réseau action climat Canada
Egale Canada
Inclusion Canada
Voix juives indépendantes Canada
International Longevity Centre Canada
Réseau national du droit au logement
Oxfam-Quebec
Rise Women’s Legal Centre
The Shift
Social Rights Advocacy Centre
South Asian Legal Clinic of Ontario (SALCO)
Women’s Law Association of Ontario
Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes