• 13 Aoû 2020
  • Canada
  • Communiqué de presse

Lettre à Nadine Girault et Marco Mendocino

Montréal, 10 août 2020

Nadine Girault
Ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration
1200, boulevard Saint-Laurent, 7e étage
Montréal (Québec) H2X 2S5

L’honorable Marco Mendocino
Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6

 

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

Nous vous écrivons aujourd’hui, au nom des sympathisantes et sympathisants d’Amnistie internationale Canada francophone, afin de rappeler à votre gouvernement votre obligation d’assurer la protection pleine et entière de l’ensemble des droits humains de toute personne se trouvant sur son territoire. Dans ce sens, nous vous demandons de viser la protection des personnes migrantes, peu importe leur statut, dans cette période d'insécurité sanitaire et d’instabilité économique et sociale.

Au Québec comme au Canada, les personnes migrantes à statut précaire, temporaire ou en situation irrégulière, ont néanmoins constitué une force de travail indispensable au cours des derniers mois, alors que la pandémie sévissait. La pandémie a cependant révélé, du même coup, que ces personnes sont très souvent exploitées, notamment par des agences de placement et des employeurs peu soucieux d’offrir des conditions de travail décentes.

Beaucoup de travailleurs et travailleuses migrant.e.s ont contracté la COVID-19 dans leur lieu de travail, et certaines en sont mortes. Ces personnes sont ainsi devenues des vecteurs involontaires de transmission du virus, tout en effectuant du travail qui est maintenant reconnu comme étant essentiel.

Le Canada et le Québec ont l’obligation de protéger les droits humains de toutes les personnes présentes sur leur territoire, sans égard à leur statut d’immigration. Et pourtant, les droits des personnes migrantes au Canada et au Québec sont encore trop souvent bafoués : notamment leurs droits à la santé, à la sécurité, au travail, et dans certains cas, leur droit à la vie.

Dans le cadre d'une urgence de santé publique, la régularisation des personnes migrantes en situation irrégulière, et l’octroi d’un statut permanent aux personnes migrantes à statut précaire doivent être envisagés comme le moyen le plus efficace pour l'État de remplir ses obligations en matière de droits humains, tout en assurant la santé et la sécurité de toutes et tous.

C’est pourquoi, nous accueillons favorablement l’intention du gouvernement fédéral, en coordination avec le gouvernement du Québec, de mettre sur pied un programme spécial de régularisation. Cependant, nous demeurons hautement préoccupés par les exclusions éventuelles de plusieurs catégories de personnes migrantes de ce programme.

Pour garantir la protection des droits humains dans le contexte de pandémie sans précédent que nous vivons, il faut envisager un programme beaucoup plus inclusif.

De la même façon, si nous voulons par ce fait reconnaître le travail de première ligne réalisé par ces personnes -- au risque important de leur santé, de leur sécurité et de leur vie -- pour assurer les services essentiels et la sécurité de toutes et tous en temps de crise sanitaire, il ne faut pas se limiter aux personnes oeuvrant dans le système de santé. Dans les faits, beaucoup du travail essentiel, notamment dans le cadre de la chaîne alimentaire, dépend énormément de la main d’oeuvre des personnes migrantes à statut précaire. Cette population comprend les demandeurs d’asile, mais aussi les travailleurs étrangers temporaires et les personnes sans statut. Notre système d’immigration et notre infrastructure du travail permet l’utilisation d’une main d’oeuvre migrante, racisée, et précaire ou temporaire pour combler des emplois essentiels qui ne sont pas du tout temporaires.

Nous vous demandons ainsi d’envisager, dans ce temps de pandémie, un programme extraordinaire, à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous vivons, permettant aux personnes migrantes à statut précaire, temporaire ou irrégulier de soumettre une demande de résidence permanente, reconnaissant le caractère essentiel du travail réalisé par ces personnes.

Comme vous le savez, un tel programme n’est pas sans précédent au Canada. En 1986 une amnistie partielle a permis l’obtention du statut de résident permanent pour plus de 22 000 demandeurs et demandeuses d’asile, et ce,pour des raisons administratives. Si nous avons pu agir ainsi pour des raisons ne relevant pas d’un contexte humanitaire, le contexte d’insécurité sanitaire que nous vivons actuellement, justifie d’autant plus que nous mettions en place rapidement un régime d’exception.

Notre société et notre économie sont en mesure d’accueillir ces personnes, à qui nous devons énormément, et il nous incombe d’assurer la stabilité de notre économie en humanisant notre système d’immigration, et ce, en assurant la protection et la réalisation des droits humains de toutes et tous.

Veuillez agréer, Madame la Ministre et Monsieur le Ministre, mes sincères salutations,

France-Isabelle Langlois
Directrice générale
Amnistie internationale Canada francophone