Les organes régionaux de protection des droits humains luttent pour faire respecter les droits face à des vents politiques contraires
Pour la deuxième année consécutive, Amnistie internationale constate que les gouvernements africains mettent en grand péril les organes régionaux de protection des droits humains, en ne respectant pas leurs décisions, en ignorant leurs appels urgents, en omettant de leur signaler des situations relatives aux droits humains au niveau national et en les privant des ressources dont ils ont désespérément besoin pour fonctionner. En outre, les gouvernements ont négligé les droits des personnes souffrant de handicaps et des personnes âgées en ne ratifiant pas les traités ayant trait à leur protection.
« Étant donné l’ampleur des violations flagrantes des droits humains perpétrées sur le continent africain, les organes régionaux de protection des droits humains jouent un rôle crucial pour ce qui est de garantir justice et obligation de rendre des comptes. Ces mécanismes doivent être protégés et pleinement soutenus. Ce sont des moyens essentiels pour les citoyen·ne·s d’avoir accès à la justice et à des recours utiles lorsque les systèmes nationaux sont compromis ou inadaptés. » »
Dans la deuxième édition de la Situation des organes et mécanismes régionaux de protection des droits humains en Afrique – 2019-2020, publiée à l’occasion de la Journée africaine des droits de l'homme et des peuples, Amnistie internationale écrit que les mécanismes établis pour garantir les droits fondamentaux à travers le continent sont confrontés à d’énormes défis et que l’existence de l’un d’entre eux est même menacée.
Le rapport d’Amnistie internationale examine et analyse les activités et les résultats des organes africains de suivi des traités relatifs aux droits humains : la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission africaine), le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE) et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour africaine).
Crise existentielle à la Cour africaine des droits de l’homme
Le rapport tire la sonnette d’alarme : l’avenir de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est menacé par les décisions de trois gouvernements – le Bénin, la Côte d'Ivoire et la Tanzanie – de supprimer le droit des particuliers et des ONG de saisir directement la Cour. Le Rwanda a supprimé ce droit en 2016, portant à quatre le nombre de pays qui restreignent désormais l’accès à cette voie vitale vers la justice.
Amnistie internationale a conclu que le Bénin, la Côte d'Ivoire et la Tanzanie ont supprimé cette possibilité de saisine directe en réaction à des décisions perçues comme défavorables et dans un contexte d’intolérance croissante vis-à-vis des défenseur·e·s des droits humains et de détérioration générale de la situation des droits humains à l’échelle nationale.
La Tanzanie l’a supprimée en novembre 2019, affirmant de manière erronée que la Cour avait traité des questions qui étaient du ressort des juridictions nationales. Le Bénin et la Côte d'Ivoire l’ont supprimée en mars et avril 2020 respectivement. Le Bénin s’est opposé à un arrêt de la Cour ordonnant de suspendre la saisie des biens d’un demandeur dans le cadre d’un litige avec une banque, faisant valoir que cet arrêt nuisait aux intérêts économiques et à la stabilité politique du pays. Quant à la Côte d'Ivoire, elle n’a pas apprécié la décision de la Cour de suspendre un mandat d’arrêt international émis contre l’ancien Premier ministre Guillaume Soro et de libérer sous caution 19 opposant·e·s placés en détention, clamant que la Cour empiétait sur sa souveraineté.
« Il est très préoccupant que ces pays aient décidé de riposter contre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples concernant des décisions sur lesquelles ils sont en désaccord. Les États africains ne devraient pas faire usage de la puissance politique contre des institutions dont l’objectif même est de garantir l’accès à la justice pour tous, quelle que soit la politique de leur gouvernement », a déclaré Netsanet Belay.
À ce jour, la Cour africaine a rendu, et de loin, la plupart de ses arrêts contre la Tanzanie. En outre, ce pays est celui qui a le plus grand nombre d’affaires en instance devant la Cour, la plupart ayant trait au droit à un procès équitable.
Le Burkina Faso est le seul pays à s’être pleinement conformé aux arrêts de la Cour africaine. La Tanzanie n’y a que partiellement donné suite, tandis que la Côte d'Ivoire a présenté à la Cour un rapport de suivi. Le Bénin, le Kenya, la Libye et le Rwanda, contre lesquels des jugements ont été émis, n’ont pas obtempéré du tout, certains faisant valoir avec insolence qu’ils ne se plieraient pas aux ordonnances et aux arrêts de la Cour.
Mauvaise note pour le respect et la coopération
Amnistie internationale a mis une mauvaise note au niveau du respect global par les États africains de leur obligation de présenter des rapports à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Au 30 juin 2020, seuls six pays avaient présenté leurs rapports périodiques, comme l’exige la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Six États – les Comores, la Guinée équatoriale, la Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe, la Somalie et le Soudan du Sud – n’ont jamais soumis de rapport.
Les gouvernements n’ont répondu qu’à 4 des 14 appels urgents adressés par la Commission africaine au sujet d’allégations de violations des droits humains. La plupart des appels urgents émis (57 %) étaient des interventions au nom de défenseur·e·s des droits humains. Cependant, on ignore si les quatre réponses reçues prenaient réellement en compte les allégations ou ne faisaient qu’accuser réception des communications de la Commission.
Dans son rapport, Amnistie internationale relève que de nombreux gouvernements africains ont imposé une série de mesures afin de faire face à la pandémie de COVID-19, bien souvent appliquées à coups de recours excessif à la force, d’arrestations ou de détentions arbitraires, de restrictions de l’espace civique et d’un déni général du droit de solliciter l’asile.
« Les effets néfastes de la COVID-19 exacerbent les problèmes des trois organes africains de défense des droits humains, qui souffraient déjà du manque de finances et de ressources. Malgré tout, ils ont fait preuve de progrès et d’innovation dans certains domaines de leur travail, offrant un contraste saisissant avec la stagnation et la régression qui a prévalu dans d’autres », a déclaré Netsanet Belay.
Personnes souffrant de handicaps et personnes âgées
Amnistie internationale a été choquée de constater que pas un seul État membre de l’Union africaine n’a encore ratifié le Protocole relatif aux droits des personnes handicapées en Afrique, deux ans après l’adoption de ce traité. De même, presque cinq ans après l’adoption du Protocole relatif aux droits des personnes âgées en janvier 2016, seuls deux pays, le Bénin et le Lesotho, l’ont ratifié.
« La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples célèbrera ses 40 ans en 2021. Il est décevant de constater qu’un si grand nombre de gouvernements n’ont pas encore traduit leurs paroles en actes concrets en soutien aux organes et instruments régionaux de protection des droits. Il est grand temps que les États membres de l’Union africaine mettent en pratique leurs engagements affichés envers les droits humains, notamment en accélérant la ratification, l’intégration dans la législation nationale et la mise en œuvre de tous les instruments régionaux de protection des droits humains », a déclaré Netsanet Belay.